[Critique] N.W.A – STRAIGHT OUTTA COMPTON

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : Straight Outta Compton

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : F. Gary Gray
Distribution : O’Shea Jackson Jr., Corey Hawkins, Jason Mitchell, Neil Brown Jr., Aldis Hodge, R. Marcus Taylor, Carra Patterson, Alexandra Shipp, Paul Giamatti, Keith Powers, Marlon Yates Jr….
Genre : Biopic/Musical/Drame
Date de sortie : 16 septembre 2015

Le Pitch :
En 1987, à Compton, dans la banlieue de Los Angeles, cinq amis versés dans la musique, décident d’exprimer leur révolte à l’encontre des autorités et des inégalités, en formant N.W.A. Un groupe de rap hardcore qui va rapidement s’imposer comme la nouvelle référence, tout en déclenchant de nombreuses polémiques, notamment par le biais de leurs virulentes charges contre la police. Un succès énorme qui va également entraîner plusieurs problèmes inhérents à la gloire, aux conflits d’ego ou encore à l’argent…

La Critique :
Bienvenue à Compton, au beau milieu des années 80. La police fait régulièrement de violentes descentes, les gangs contrôlent le trafic de drogue, les différents se règlent à coups de battes de base-ball et lors des fusillades, la pauvreté aggrave les choses et le racisme de certains représentants de l’autorité n’arrange rien non plus. À quelques années de l’affaire Rodney King, l’Amérique des oubliés macère dans son jus. Voici précisément le terreau dans lequel a poussé N.W.A, l’un des groupes de rap les plus populaires de l’Histoire de la musique moderne, qui vit percer des personnalités encore aujourd’hui unanimement considérées comme des pionners, comme Dr. Dre, Ice Cube et Eazy-E, pour ne citer que les plus connus.
Un seul album, sorti en 1988 et justement intitulé Straight Outta Compton, a suffi pour embraser le monde du rap, complètement abasourdi par la puissance de ces 5 types sortis de nulle-part, lancés dans un combat musical pour dénoncer les inégalités, en prenant bien garde à y mettre les formes.

Nombreux sont les biopics de rock stars, mais on compte beaucoup moins de films retraçant l’histoire de personnalités rattachées au rap ou au hip-hop. Gros carton de l’été 2015 au box-office américain, N.W.A – Straight Outta Compton s’est alors vite imposé comme la référence du genre, tout en comblant un vide et répondant du même coup à une vraie demande. En traitant de la trajectoire éclair du groupe, le long-métrage se paye ainsi le luxe d’illustrer les histoires de plusieurs figures majeures du milieu, Dr. Dre et Ice Cube en tête, sans oublier le regretté Eric Wright, alias Eazy-E, le fondateur du collectif et du label Ruthless Records. Un ancien dealer, venu à la musique par le biais de ses amis, qui est aujourd’hui considéré comme le père fondateur du gangsta rap et auquel le film rend d’ailleurs hommage, étant donné qu’il a tiré sa révérence en 1995, après avoir contracté le virus du Sida. Il faut aussi signaler que si ce sont ces trois-là qui squattent le haut de l’affiche, le film nous présente aussi les jeunes Tupac et Snoop Doggy Dog, couvrant ainsi une large période, se voulant le plus exhaustif possible.
Sans mal, N.W.A sait fédérer son public. Qu’il soit fan de rap ou pas, n’a aucune sorte d’importance, tant le rythme, les personnages, l’écriture et la mise en scène captivent d’emblée l’attention. Néanmoins, malgré le fait qu’il parle d’une musique finalement assez délaissée au cinéma, le métrage adopte tous les codes du biopic, dans ce qu’il peut avoir de plus classique. D’une longueur lui permettant de prendre son temps (presque 2h30), il raconte l’ascension d’un groupe de potes, leurs différents, la séparation, la chute des uns et l’explosion des autres, les rivalités et les retrouvailles, sans dévier de la ligne directrice imposée par tous les films qui traitent de la vie de personnalités célèbres pour une raison ou pour une autre. F. Gary Gray, qui a par ailleurs tourné son premier film, Friday, avec Ice Cube, avant de se spécialiser plus ou moins dans l’action hollywoodienne (avec Le Négociateur, ou Braquage à l’Italienne) et le thriller (on lui doit aussi la bourrin Que Justice soit faite), s’empare des lieux communs du biopic, qu’il ne sublime pas mais dont il adapte les contours pour au final livrer un film fleuve passionnant de A à Z, situé quelque part entre Boyz N the Hood (mentionné dans N.W.A vu qu’Ice Cube y tient l’un des premiers rôles) et des œuvres comme Walk the Line, Great Balls of Fire ou encore Tina.
Chose appréciable, il tient relativement compte de son contexte et de l’époque dans laquelle est ancré son récit. L’affaire Rodney King est citée et régulièrement le long-métrage prend soin de raconter en filigrane l’histoire d’un pays pétri de problèmes. Le premier album de N.W.A a offert à une frange d’opprimés des représentants capables d’exprimer à voix haute ce que beaucoup osaient à peine penser, de peur de se faire molester. Une composante essentielle que le film n’oublie jamais, lui permettant ainsi de sonner avec une belle universalité et d’être beaucoup plus qu’un simple long-métrage sur un groupe de rap, aussi apprécié et populaire soit-il.

Dommage qu’en parallèle, beaucoup de détails aient été ignorés et que de nombreux angles un peu trop droits aient été arrondis pour coller, rendant l’ensemble un peu trop lisse, compte tenu des protagonistes concernés. On ne sait par exemple pas ce qu’il advient de la femme et de la fille de Dr. Dre. On les voit se barrer en voiture et ne jamais revenir dans le récit. Mis à part ce qui concerne leurs relations et leur musique, la vie privée des membres de N.W.A n’est jamais vraiment développée, réduisant considérablement la portée de leur présence à l’écran. On comprend la teneur de leur discours, leur colère et leurs désirs, mais c’est tout. Par rapport au caractère finalement plutôt « tout public » de l’œuvre, on pourra regretter que Dr. Dre et Ice Cube, tous les deux producteurs, aient fait l’impasse sur leurs parts d’ombre respectives. De vrais rebelles certes, des précurseurs, c’est indéniable, mais pas des enfants de cœur non plus. Des choses à propos desquelles le film se tait, faisant passer les musiciens pour de braves gars exempts de tous les défauts qui pourraient rebuter les fans les plus sensibles. Surtout concernant Dr. Dre, qui a profité du film pour caser un nouvel album et qui ne se gène pas, lors du générique de fin, pour nous causer de ses casques audio et des grandes choses qu’il a accomplies. C’est ce côté très « corporate », qui plombe N.W.A. Il manque de rugosité. Là où on devrait sentir le souffre ne se dégage qu’une vague odeur de scandale bien étouffée, nous rappelant que les ex-Bad Boys sont maintenant des hommes d’affaires respectables qui aiment bien quand tout est à sa place et quand rien ne déborde.

Nous voici donc en face d’un film de facture très conventionnelle. Ultra efficace, passionnant, il jouit également d’un casting aux petits oignons. Quelle idée géniale que d’avoir confié le rôle d’Ice Cube au fils du chanteur ! Non seulement super ressemblant, O’Shea Jackson Jr. adopte la gestuelle et les expressions de son paternel avec un naturel confondant. À côté, Corey Hawkins campe un Dr. Dre très convainquant, tout comme Jason Mitchell, qui capture avec conviction l’essence d’Eazy-E, par ailleurs le personnage le plus intéressant du lot, justement car il est le seul à ne pas être brossé dans le sens du poil en permanence.
Mis à part Paul Giamatti, aucune star n’est impliquée dans N.W.A. Une bonne chose. L’authenticité s’en trouve renforcée, ainsi que la spontanéité. Deux composantes essentielles qui font de ce biopic boosté par le meilleur du rap californien de la fin des 80’s et du début des 90’s, un pur film générationnel. Du genre qui reste. Les gars de Compton ont à nouveau fait exploser les scores. Leur film (car c’est plus le leur que celui de F. Gary Gray) est à leur image. Le hic, c’est qu’on parle bien de leur image en 2015 et non de celle qui les définissait en 1987.

@ Gilles Rolland

Crédits photos : Universal Pictures International France