A la poursuite de Stevenson.

Publié le 18 septembre 2015 par Alexcessif
Ralentir.
 De Robert  Louis Stevenson, je me souvenais vaguement ma lecture juvénile et pubère de "L’étrange cas du Docteur Jekill et Mister Hyde" quand me tomba dans l’oreille, de la bouche d’un chroniqueur de France inter, l’allusion au périple de l’écrivain et de Modestine durant  douze jours et 200 kilomètres en territoire camisard à l’origine du GR 70. In petto j’ai fabriqué les images de soleil, d’eaux vives et de grand chemin que m’inspiraient les mots Territoire et Grande Randonnée. En ce qui concerne "camisard", c’est plus énigmatique d’où ma curiosité pour le Gévaudan, sa bête et….. Mr Hyde. L’occasion aussi de faire un peu de rangement dans ma tête en passant par les archives.  En 1876 Robert  Lewis Balfour Stevenson, était en travaux : santé, scolarité, famille, amour interdite….. Pas encore écrivain, de santé et de fortune fragile, Bob était dans l’impossibilité de suivre Fanny Osbourne, aux States. La fortune était celle de son père et Fanny, mariée à Mr Osbourne. Interdite donc essentielle ! Sans doute et déjà Doc Jekill  lui conseillait l’oubli et Mister Hyde, la rancœur.  Rupture ou crise existentielle j’sais pas et je m’en fous mais  c’est à Monastier sur Gazeille que fut conçu le projet de Stevenson qui deviendra un récit point de départ de sa carrière d’écrivain : "Voyage avec un âne dans les Cévennes" L’âne est une ânesse, amie ou ennemie Modestine c’est Hyde avant l’heure. Une bête de somme lente, rétive et capricieuse, harnachée du barda de l’aventurier. C'est la part animale, la voix intime qui indique la voie la plus sûre. Avec quelques digressions nécessaires.  Ambivalence des sentiments, ambiguïté des résistances et alliance des antinomies, ça me parlait bien à l’€go le mien étant à jamais work in progress. Dans l’Eden de ma vie conjugale, j’étais l’innocent aux mains pleines des seins lourds de Betty. « Betty pour moi, c’est Fanny pour Bob sans la rupture : Je suis libre et elle, bientôt le sera pour nos vacances en commun. Fuyard et primesautier, je me projette en éclaireur avide d’espace me disant que je convaincrai ultérieurement Betty de me rejoindre sur quelques étapes. » La mécanique inexorable de la perversité de l’imprévisible est contenue dans cet incipit. Hyde déjà était en moi !

J’ignorais l’influence (mon animal de compagnie est un bouc émissaire) perverse de l’ingérable doublon et à quel point j’allai me retrouver seul et être à la fois, le fardeau et l’âne. Bordeaux, Agen, Montauban, Albi, Rodez, Mende, ma Modestine perso, la Ducati véloce, soumise et ensorceleuse, a pris six heures par les chemins de traverse pour me livrer, centaure fourbu, livide et silencieux, à Monastier sur Gazeille, point de départ du chemin historique. Le Puy en Velay au début et Alès à la fin sont des ajouts touristiques : ils ont étés parcourus en calèche par l’écrivain et à ce titre je les ai zappés. Je retrouve l’usage des jambes et  de la parole pour négocier avec Emmanuel du gîte Falgon, le garage de la Ducat’ jusqu’à samedi contre  la prestation gite et couvert pour la nuitée de dimanche qui est la finalité de mon hôte plutôt que celle de geôlier de la belle italienne.  Tandis que je transfère le contenu des sacoches de la bécane dans mon sac à dos, je dévoile à l’attention de Manu que je n’ai pas résolu le problème du trajet retour vers l’italienne de fer, ma partenaire de goudron qui me ramènera vers l’italienne de chair  (et de fer un peu aussi) au bercail. « -il y a la malle poste ! me suggère-t-il -La malle poste ? » (Wouahoo, je me retrouve direct en redingote le 22 septembre 1876. Les gonzes de l’office du tourisme méritent leur master en marketing. Derrière l’appellation aguichante et désuète je renifle le bon gros diesel avec la tronche à Steevy sérigraphiée sur la carrosserie et le prix du billet indexé sur la mode des baroudeurs de salon, mais cette opinion négative n’a pas franchie mes lèvres.) - Oui, mais il faut réserver.» Je décline : j’ignore où et quand je serai où. « - vous partez maintenant ? -oui. Vers  Le Bouchet Saint Nicolas. »Economie de mots et de temps. Comprendrait-il que je suis affamé ? Qu’il me faut engager au plus tôt mon corps à corps avec la nature ? Je sais pertinemment que les guides papiers du GR, indiquent 5 heures pour parcourir les 22Kms sans musarder. Dubitatif, il a lorgné mon mini sac à dos et sa montre qui indiquait 18h. «- vous dormez où? -J’ sais pas ! » Total impro : Je n’ai pas, non plus,  pourvu au minimum vital à mon existence physiologique glou-glou/miam-miam/dodo/popo. A part chez lui et pour mon retour, je n’ai réservé aucun gite sur le trajet. En même temps, comme pour la malle poste, réserver un gite m’obligerais à m’y rendre sans savoir si mes petites jambes y consentiraient. « - vous avez une tente ? -Non, juste un duvet et un drap de soie ! » Vu la taille de mon sac et les Five Fingers qui me chaussent, il en déduit goguenard la performance thermique de mon duvet, la ruine de mes métatarsiens et la frugalité de mon prochain repas. « -vous savez que nous sommes, un peu, en altitude ? -Oui, mais le drap de soie me fait gagner quelques degrés et on n’est pas dans les Pyrénées. » Je ne dois pas être le premier fanfaron du GR 70 qu’il rencontre. Dans le ciel qui poudroie au-delà du vallon derrière mon hôte, j’aperçois le squelette de mon imprudence dont  l’insensibilité à la météo, le dédain du confort et la désinvolture pour la pitance forment la substantifique  moelle.  On s’en serre cinq et je me casse.

19 H : Je ravitaille chez le petit Casino du village une frugale collation que j’écornerais en gravissant le premier raidillon. Ainsi débute un mano à mano…. pédestre et anachronique entre : -   A ma droite Robert  Lewis Balfour Stevenson, jeune, impécunieux, souffreteux, son chagrin d’amour et Modestine pour 12 jours et 200 kilomètres de désert broussailleux et de doute à essarter. -   A gauche toute sa majesté Moi, randonneur dilettante, vieux mais pas obsolète, une carte bleue, une boussole et  3 jours pour parcourir les 200 bornes d’un chemin touristique, commercial et bien fléché.  Les five fingers sont le bon choix dans la montée rocheuse après le moulin de Savin vers le plateau plein ouest. Les « five » sont des chaussures minimalistes que j’ai choisies pour leur simplicité et dans ma logique d’extrême dénuement. Ce sont de simples semelle de caoutchouc cousues sur un tissu qui enserre le pied et chaque orteil comme le ferait un gant, une seconde peau plus endurante, préhistorique d’avant l’invention de la chaussure. Sans amorti, elles optimisent la pronation et les sensations telluriques sans filtre ni déformation. Il faut compléter l’équipement avec des mini-guêtres de chez Salomon pour éviter l'intrusion des scrupules, ces petits cailloux qui nuisent à l'avancement (?!). Je vais, je cours, je vole. Il me faut franchir au plus tôt le point de non retour. Ce moment ultime/exquis  où le chemin devant est aussi interminable et dissuasif que le chemin d’avant.   22-19 = 3 heures claires puis  le jour cessera. Courmarcès, Le Cros puis Saint Martin de Fugères, « on » me donne de l’eau, la ferme de Prémajoux où des chiens aboient sur une sente de chèvres que je dévale plein badin. Au Goudet « on » me parle. Il va faire nuit. Je franchis La Loire, déchausse, lave et masse mes pieds consternés des bornes bâclées. Expédiée aussi, la tablette de chocolat fondue et survivante du kilomètre 11 que j’achève dans des effluves d’Akileine de la main libre, celle qui ne masse pas mes pieds. En direction d’Ussel, ça monte sévère à gauche jusqu’au village de Montagnac puis un faux plat, on devrait dire une vraie montée, bien droite,  érigée  vers les Bargettes. Le déplacement à moto n’est pas le choix le plus reposant et je paie le prix des six heures de selle du préambule mécanique. J’ai juste envie de …….ralentir. A la sortie d’Ussel, j’ai bien vu l’âtre, le gite et les commensaux autour de la table d’hôte. Même pas mal, j’ai poursuivi solitaire et affamé ma route persuadé que plus loin, c’était mieux ! « Baaandit un peu maudit […..] Dans ma veste de soie rôôôse Je déambuleee morose…. Le crépuscule est grandiôôse » Voilà, c’est ça : grandiose !!! La luzerne en guise de couche, le ciel pour plafond, Vénus façon lustre et des milliards d’étoiles comme autant de lucioles qui me font des appels de phare: il est temps de diner et de passer à l’horizontale. De toute façon ma lampe frontale ne détecte plus le balisage blanc et rouge  du GR.

Je récite comme un mantra pour me persuader que je suis rassasié la mention sur la boite : « sans-huile-ajoutée-riche-en-oméga-3-sans-huile-ajoutée-riche-en-om-sans-huile-ajoutée-rich……. » en mâchant religieusement les 2 sardines accompagnées du quignon de pain.  23.00h et 1200 mètres d’altitude. Prodrome mortifère, l’herbe est déjà humide, prémisse que la  nuit sera longue, fraiche et mouillée. Blanche nuit du chasseur, ou celle de la proie. J’ai froid, j’ai faim, j’ai peur ! Abruti de fatigue, je m’endors indifférent aux ombres fantomatiques qui m’encerclent.  Je gamberge entre sommeil paradoxal et profond : Cette obstination à marcher coûte que coûte n’est-elle pas destinée à retarder le moment d’affronter la nuit ? « Rien ne s’oppose à la nuit »Sa venue est impitoyable comme la fin de l’été. C’est un assez mauvais plan car dans l’obscurité je n’ai pu sélectionner mon bivouac selon les critères de Stevenson : La protection des arbres contre les précipitations et la rosée, dans le cocon d’un fossé de fougères m’isolant de la capillarité du sol et à l’écart des maraudeurs. Pour mémoire, Bob avait dans son paquetage un revolver chargé, moi pas.   Silence ! Je réclame du silence. Pourtant ce ne sont que bruissements, chuintements, murmures. Qui va là ? Ai-je envie de dire sans vraiment souhaiter de réponse. Une voix Shakesparienne répond hors sujet à la question que je n’ai pas posée puisque je dors: «Lord save the little children !  Because with every children ever born of woman’s womb there is time of running trought a shadowed place, and alley with no doors, and a hunter whose foostep ring brightly  along the bricks behind him ». Hyde ! C’est Mister Hyde à n’en pas douter ! Hey Mister, l’anglais et moi ca  fait deux. Je me rendors et j’entends : « Le seigneur préserve les enfants car tout enfant est issu du sein d’une femme et se profile un temps où il fuira au travers d’un lieu ombreux et se dresse un chasseur dont les pas sonnent derrière lui ». Bien foutu les cauchemars, non ? Il suffit d’un peu de concentration pour se rendormir en milieux hostile et les sous-titres s’affichent. Pas faux. Suggéré par une voix intérieure, j’entends des pas subliminaux. Ce serait un chasseur ? Un œil furtif sur la montre qui dit : minuit et la boussole/sifflet/thermomètre : 3°. Une heure est passée alors que j’estimais à une minute ma sensation de chute dans un puits imaginaire et sournois. En vigilance orange, je vérifie simultanément la franchise de la prairie et la pureté stellaire. Le souffle coupé, j’aperçois les constellations formant un jeu de points à relier. Bon, j’ai le temps, je cherche la grande ourse et toutes les constellations dont j’ai entendu parler. Je relie les astres d’un doigt enfantin pointant le ciel en tirant la langue, me disant qu’il faut une bonne dose d’imagination pour convertir des milliards de pointillés aléatoires en Orion, Pégase ou Persée. Je conseille aux ufologues pour leur rencontre cosmique  la martingale : plutôt que des photos douteuses, sur-ex ou floues, il suffit de relier les points pour apercevoir les extra-terrestres : Deux culturistes procèdent de mon jeu à points. L’un barbu, vêtu d’une chemise de nuit entouré de chérubins, enceint de femmes nues, bras tendu, main ouverte vers un  imberbe dénudé et solitaire lui-même tendant une main avide de savoir le B à Ba de la couture qui lui éviterait de s’exhiber en tenue…..   d’Adam. Grâce à une connexion 4G avec Wikipédia, je redécouvre Dieu, Adam et la métaphore de la transmission, la vie, le savoir, tout ça…..regrettant toutes mes nuits confortables et abritées qui m’ont tenu dans l’ignorance du doigt de dieu. Je décode émerveillé : la belle étoile c’est la chapelle Sixtine, Orion est le chasseur et la phrase en VO est tirée de « La nuit du chasseur ». Franchement ? J’eus préféré Eve à Adam ! Et pas que pour des raisons esthétique car il me semble qu’il y a une chronologie : « every children ever born of woman’womb » euh : « …tout enfant est issu du sein d’une femme… » Alors ? Et dieu dans tout ça ? Les mystérieuses, confuses et anachroniques connexions du cerveau, cet inconnu, mettent en scène selon son bon vouloir David Grubbs, Michel Ange avec la voix de Stevenson sans soucis de cohérence, de chronologie et de vraisemblance dans les pleins du sommeil et les déliés de l’éveil. Promis, y en aura d’autres. Le froid a progressé plus que la durée. Il est rare que je souhaite accélérer l’écoulement du temps mais l’humidité gagne du terrain. Dans cette nuit des merveilles et de l’effroi à quoi seul un anthropomorphisme puéril attribue des intentions néfastes, le sommeil devient néanmoins un traquenard avec ses cauchemars fallacieux à l’offensive de l’esprit et l’hypothermie à l’assaut de la chair. Le corps réagit à la froidure en régulant la circulation sanguine. Les terminaisons, doigts et orteils, endurent la privation et c’est le cerveau qui s’arroge la part du lion diffusant des messages toxiques comme les chaines d’info entretiennent l’insécurité. Je pense stupidement aux montagnards que l’on ampute. Je tiens tant à mes extrémités que j’amplifie un risque largement improbable. Une bonne pneumonie à la limite….. Fataliste autant que régressif  je décide d’ignorer et repousser cette version pessimiste dans la réminiscence enfantine du baiser maternel qui ne viendra plus conclure un conte de fée. Adulte, c’est plutôt la séquence inéluctable d’un sempiternel décompte de faits au cours desquels j’ai acquis peu d’amis et peu d’alliance! Sans rancune, maman le jour l’emportera. Version courte : je me rendors ! En compagnie de tous mes contempteurs, je m’endors. Un nécromancien se glisse dans mon duvet. Son job à lui c'est de faire parler les morts et voici qu'une troupe de troncs humains s’avance en lévitation étrangement vêtue. Des brandons élevés au dessus de leurs têtes éclairent la prairie. Une silhouette se hisse sur l’éminence d’un talus, les autres s’agenouillent. Puis, l’homme debout apparaît dans un rayon de lune. Son bras au poignet encore sanguinolent de la main fraîchement coupée. Il cautérise son moignon à l’ancienne avec la torche devant un aréopage pétrifié et d’une voix sans trémolos éructe son discours dans l’odeur immonde de la chair brulée:

« …..car le zèle de ta maison me dévore et les outrages de ceux qui t’insultent retombent sur moi. Je verse des larmes et je jeûne : on m’en fait l’opprobre. Je prends un sac pour vêtement et je suis l’objet de leurs sarcasmes. Ceux qui sont assis à la porte parlent de moi et les buveurs de liqueurs fortes font sur moi des chansons…. Et moi je t’adresse ma prière Yahvé, dans le temps favorable de ta grande bonté exauce-moi selon la vérité de ton salut. Retire-moi de la boue et que je n’y reste plus enfoncé. Que je sois délivré de mes ennemis et des eaux profondes. » Pas mal ça ! Je quitte mon duvet désormais trempé et rejoint la troupe à la recherche d’un peu de chaleur humaine. Sans compter que, quand ça  commence à craindre, le concept de la prière, finalement…. « Exauce-moi Yahvé, car ta bonté est compatissante, dans ta grande miséricorde tourne-toi vers moi » Bon, y a toujours un peu de lèche mais qui n’a jamais usé de flatterie et surtout, ce n’est pas le moment de faire le malin : j’ai pas d’amis et ça caille sévère ! «  Approche-toi de mon âme, délivre-la, sauve moi de mes ennemis » A la maison on disait plus sobrement « délivre-nous du mal » mais bon, je m’adapte. «  Et ne  cache pas ta face à ton serviteur, je suis dans l’angoisse, hâte-toi de m’exaucer » Euh là c’est un peu raide, non ? Ce n’est pas comme ça qu’on parle au taulier. Et ça continue encore et encore : « Déverse sur eux ta colère et que le feu de ton courroux les atteigne ! Que leur demeure soit dévastée, qu’il n’y ait plus d’habitants dans leurs tentes ! Car ils persécutent celui que tu frappes, ils racontent les souffrances de celui que tu blesses.  Ajoute l’iniquité à leur iniquité et qu’ils n’aient point part à ta justice. Qu’ils soient effacés du livre de vie et qu’ils ne soient point inscrits avec les justes. » A ce passage,  j’ai fait un pas en retrait. Moi, tu me connais dés qu’il y a du sang, je tombe dans les pommes. Sont pas meilleurs que ceux du  camp d’en face grommelais-je dans ma barbe naissante. Persécutés ou vengeurs, je ne suis d’aucune de ces chapelles et me tiens à distance des fanatismes. Des mousquets, des pierres et des fourches sont sortis des havresacs et la troupe s’est ébranlée aux cris de « Au Pont-de-Monvert ! Au Pont-de-Monvert »laissant la place nette. Je viens d’assister à la harangue de Pierre dit Esprit Séguier très inspirée du psaume 69 avant l’escarmouche du Pont de Monvert et l’assassinat entre autres dragons, de François de Langlade du Chayla le 24 juillet 1762. Nous sommes bien le 24 juillet mais déjà celui de 2015 et il n’est pas encore  une heure du matin. Pas d’herbe foulée, ni de sang, ni de cendres. La luzerne est vierge des évènements de la dernière heure. A part cette faux peut-être…Avec le puits qui n’était pas là tout à l’heure, ça commence à (bien) faire ! Pestant contre le désordre de ce pré mal  rangé je note intrigué, qu’à ce stade du parcours je ne suis pas encore à l’entrée de la ville et ignorant de la présence de l’affiche décrivant le coup de force de Séguier pour délivrer ses amis et venger Françoise Brès des tortures de l’abbé du  Chayla. Somnolent j’aperçois l’émergence d’une source. Ce  vague  souvenir humide d’être venu dans les Cévennes du coté de Saint André de Valborgne, du Mont Aigoual et de mes 5 ans. Persuadé que j’ignorais tout ou presque des dragonnades, des camisards et des protestants. J’avais aussi oublié ou en tout cas omis que j’étais……que je suis…..protestant.

 Je suis dans l’étau du froid en position fœtale. Pourtant rien n’empêche sa morsure. Les mains entre les jambes, le front sur les rotules préservant un peu de chaleur animale font une posture dérisoire dans ce congélateur.

Je rêve que je dors (que l’on me pardonne mes amphigourisme puisque je suis au-delà du réel). Pour vaincre l’engourdissement, je me suis glissé à l’abri d’un caveau sans le savoir et un gisant se disloque. Son  squelette se renverse sur moi. Sont-ce l’odeur de charogne, la vermine qui  grouille tout autour ou le froid qui me réveille ? Suis-je bien sûr d’être éveillé ? J’ai du mal avec la réalité…. Je décide de faire quelques pas pour me réchauffer. Mon pied accroche la margelle du puits et je chute. Longuement je fuis chute et j’atterri sans dommage sur une chose molle. Une odeur infernale envahie mes sinus jusqu’au vomissement. A tâtons je tâte (j’aime bien) mon air bag. C’est un corps ! Il y a des bras, des jambes, un peu décharnés, plutôt normal puisque les asticots sont à la manœuvre. Ah, c’est… c’était une fille ! Je continu la visite, pas de tête ! L’instinct de conservation me commande de fuir mais la curiosité est plus forte que la panique. Une bouche lucide mais fétide me glisse à l’oreille: la sortie n’existe pas dans un caveau. Ma part rationnelle ne croit pas à cette mise en scène mais l’égarement est souvent inclus dans mon kit de survie. J’aime assez voir au-delà de l’erreur et apercevoir cette autre version de la vérité. C’est sans risque car je me réveille quand je veux. Dans ce cauchemar, ou cette réalité  puisque c’est moi qui rêve, je trouve opportunément dans la poche d’un pyjama que je n’ai pas enfilé un néon de mécano que je n’ai pas apporté.
Dans la lumière, le décor est aussi terrifiant qu’édifiant! Je suis dans une crypte et ma décapitée a une épitaphe :
« L’an 1764 et le1erjuillet, a été enterrée, Jeane Boulet, sans sacremens, ayant été tuée par la bette féroce, présans Joseph Vigier et Jean Reboul. » Je suis tombé avec mon portable et j’ai du réseau. Wikipédia me confirme que : Jeanne  Boulet, 14 ans a été retrouvée sans tête victime de la bête du Gévaudan au village des  Hubac prés de Langogne et enterrée sans sacrement car elle n’avait pas eu le temps de se confesser. Je salue bien bas cette très inhumaine logique de curé et poursuis mon chemin laissant la vermine à  son éternelle besogne. Il y a les autres victimes, celles de la forêt de Mercoire et du hameau de Masméjean et de la paroisse de Puylaurent dans le même état de décomposition curieusement réunies dans « mes » oubliettes. Mon gisant de tout à l’heure est là, avec plein de ses semblables mais je ne suis pas d’humeur à jouer aux osselets, malgré  l’air devenu respirable et la température en hausse, je ne vais pas rester. Apercevant à la lueur de ma baladeuse une silhouette féminine debout, je quitte l’ossuaire comme Aragon se disant que la femme est l’avenir de l’homme. Un couloir  rectiligne et sans issu que je reconnais aisément c’est celui de celui de l’espérance, l’autre nom de l’illusion, mais je n’ai pas d’autres  choix. Des objets de brocante  jonchent le sol. Un vieux décodeur C+, une Olympia vétuste l’azerty en vrac, de la paperasse, des portes entrouvertes, des étagères couvertes des œuvres de H.P Lovecraft, Edgard Allan Poe, Charles Nodier, Stephen King, A.E Van Vogt, Lewis Balfour Stevenson, C. Troussecotte. Ceci expliquant cela. Par l’entrebâillement d’une  porte, j’aperçois un capharnaüm invraisemblable digne de l’arrière boutique d’un magasin de sport, un  stock anachronique d’engins pas encore inventés : roues, guidons, embarcation, coques, cordes, harnais, avirons, planches, fixations, chaussures enchevêtrés. Le maître des lieux y dort tout habillé. Bien qu’il connaisse sans doute la sortie, je ne réveillerai pas cet  hyperactif peu envieux de sa peur du vide avec sa porte mi-fermée, ni ouverte (laisse, c’est voulu) du gars qui ne veut pas décrocher et se laisse surprendre par le sommeil épuisé par l’ébauche de multiples projets. Au terme du couloir il y a un fronton grec  marqué : « ARCHIVES » donnant sur un patio avec des roses trémières, des spathiphyllum  et des plantes que je ne saurai nommer. Voilà la silhouette entraperçue. Point de chair mais du marbre. C’est  une statue miscellanées de la Vénus de Milo et de la victoire de Samothrace. Fastoche : Vénus ! C’est vrai qu’elle était belle, maman. Sans tête : la folie, l’internement, la solitude, la mort. L’absence de bras : l’impuissance (va falloir s’occuper des frangins, frangines). Les ailes : l’évasion. C’est clair, la sortie n’est pas loin. Je me dirige vers la veilleuse verte devant moi et je pousse une porte improbable de salle de cinéma avec sa barre anti-panique débouchant sur ma prairie. Je sens dans mon sommeil et sur mes lèvres la bouche fétide de tout à l’heure. Je cherche dans l’obscurité à identifier la bête : Des sabots, des cornes, une queue ? Du poil recouvre son abdomen. J’appuie sur le champignon et sans attendre la permission de Julien Lepers, j’hurle : « Satan !!! » Perdu ! C’est la petite chèvre de Mr Seguin. Elle en a marre de son vieux et elle est venue voir dans le pré d’à coté si l’herbe est plus verte. Pas faux ! J’y suis dans le pré d’à coté et je me réveille.
A suivre....