A la poursuite de Stevenson.
Publié le 18 septembre 2015 par Alexcessif
Ralentir.
De Robert Louis Stevenson, je me souvenais
vaguement ma lecture juvénile et pubère de "L’étrange cas du Docteur
Jekill et Mister Hyde" quand me tomba dans l’oreille, de la bouche d’un
chroniqueur de France inter, l’allusion au périple de l’écrivain et de
Modestine durant douze jours et 200
kilomètres en territoire camisard à l’origine du GR 70.
In petto j’ai fabriqué
les images de soleil, d’eaux vives et de grand chemin que m’inspiraient les
mots Territoire et Grande Randonnée. En ce qui concerne "camisard",
c’est plus énigmatique d’où ma curiosité pour le Gévaudan, sa bête et….. Mr
Hyde. L’occasion aussi de faire un peu de rangement dans ma tête en passant par
les archives.
En 1876 Robert Lewis Balfour Stevenson, était en travaux :
santé, scolarité, famille, amour interdite….. Pas encore écrivain, de santé et de fortune fragile, Bob était
dans l’impossibilité de suivre Fanny Osbourne, aux States. La fortune était
celle de son père et Fanny, mariée à Mr Osbourne.
Interdite donc essentielle !
Sans
doute et déjà Doc Jekill lui conseillait
l’oubli et Mister Hyde, la rancœur.
Rupture ou crise
existentielle j’sais pas et je m’en fous mais c’est à Monastier sur Gazeille que fut conçu
le projet de Stevenson qui deviendra un récit point de départ de sa carrière
d’écrivain : "Voyage avec un âne dans les Cévennes" L’âne est une ânesse, amie ou ennemie Modestine c’est Hyde avant l’heure. Une bête de somme lente,
rétive et capricieuse, harnachée du barda de l’aventurier. C'est la part animale, la
voix intime qui indique la voie la plus sûre. Avec quelques digressions
nécessaires.
Ambivalence des
sentiments, ambiguïté des résistances et alliance des antinomies, ça me parlait
bien à l’€go le mien étant à jamais work in progress.
Dans
l’Eden de ma vie conjugale, j’étais l’innocent aux mains pleines des seins
lourds de Betty.
« Betty pour moi,
c’est Fanny pour Bob sans la rupture : Je suis libre et elle, bientôt le sera
pour nos vacances en commun. Fuyard et primesautier, je me projette en
éclaireur avide d’espace me disant que je convaincrai ultérieurement Betty de
me rejoindre sur quelques étapes. »
La mécanique inexorable
de la perversité de l’imprévisible est contenue dans cet incipit.
Hyde
déjà était en moi !
J’ignorais
l’influence (mon
animal de compagnie est un bouc émissaire) perverse de l’ingérable doublon et à quel point
j’allai me retrouver seul et être à la fois, le fardeau et l’âne.
Bordeaux,
Agen, Montauban, Albi, Rodez, Mende, ma Modestine perso, la Ducati véloce, soumise
et ensorceleuse, a pris six heures par les chemins de traverse pour me livrer, centaure
fourbu, livide et silencieux, à Monastier sur Gazeille, point de départ du
chemin historique. Le Puy en Velay au début et Alès à la fin sont des ajouts
touristiques : ils ont étés parcourus en calèche par l’écrivain et à
ce titre je les ai zappés.
Je retrouve l’usage des
jambes et de la parole pour négocier avec Emmanuel du gîte Falgon, le garage de la Ducat’ jusqu’à samedi contre la prestation gite et couvert pour la nuitée
de dimanche qui est la finalité de mon hôte plutôt que celle de geôlier de la belle
italienne.
Tandis que je transfère le contenu des
sacoches de la bécane dans mon sac à dos, je dévoile à l’attention de Manu que
je n’ai pas résolu le problème du trajet retour vers l’italienne de fer, ma
partenaire de goudron qui me ramènera vers l’italienne de chair (et de fer un peu aussi) au bercail.
« -il
y a la malle poste ! me suggère-t-il
-La malle poste ? »
(Wouahoo, je me retrouve direct en redingote le 22 septembre 1876. Les gonzes
de l’office du tourisme méritent leur master en marketing.
Derrière l’appellation
aguichante et désuète je renifle le bon gros diesel avec la tronche à Steevy
sérigraphiée sur la carrosserie et le prix du billet indexé sur la mode des
baroudeurs de salon, mais cette opinion négative n’a pas franchie mes lèvres.)
-
Oui, mais il faut réserver.» Je décline : j’ignore où et quand je serai où.
« -
vous partez maintenant ?
-oui.
Vers Le Bouchet Saint Nicolas. »Economie
de mots et de temps. Comprendrait-il que je suis affamé ? Qu’il me faut engager
au plus tôt mon corps à corps avec la nature ? Je sais pertinemment que
les guides papiers du GR, indiquent 5 heures pour parcourir les 22Kms sans
musarder.
Dubitatif, il a lorgné
mon mini sac à dos et sa montre qui indiquait 18h.
«- vous dormez où?
-J’ sais pas ! »
Total impro : Je
n’ai pas, non plus, pourvu au minimum
vital à mon existence physiologique glou-glou/miam-miam/dodo/popo. A part chez
lui et pour mon retour, je n’ai réservé aucun gite sur le trajet. En même
temps, comme pour la malle poste, réserver un gite m’obligerais à m’y rendre
sans savoir si mes petites jambes y consentiraient.
« - vous avez une
tente ?
-Non, juste un duvet et
un drap de soie ! »
Vu la taille de mon sac
et les Five Fingers qui me chaussent, il en déduit goguenard la performance
thermique de mon duvet, la ruine de mes métatarsiens et la frugalité de mon
prochain repas.
« -vous savez que
nous sommes, un peu, en altitude ?
-Oui, mais le drap de
soie me fait gagner quelques degrés et on n’est pas dans les Pyrénées. »
Je ne dois pas être le
premier fanfaron du GR 70 qu’il rencontre.
Dans le ciel qui
poudroie au-delà du vallon derrière mon hôte, j’aperçois le squelette de mon
imprudence dont l’insensibilité à la
météo, le dédain du confort et la désinvolture pour la pitance forment la
substantifique moelle.
On s’en serre cinq et je
me casse.
19 H : Je
ravitaille chez le petit Casino du village une frugale collation que
j’écornerais en gravissant le premier raidillon.
Ainsi débute un mano à
mano…. pédestre et anachronique entre :
-
A
ma droite Robert Lewis Balfour Stevenson, jeune, impécunieux, souffreteux, son
chagrin d’amour et Modestine pour 12 jours et 200 kilomètres de désert broussailleux
et de doute à essarter.
-
A
gauche toute sa majesté Moi, randonneur dilettante, vieux mais pas obsolète,
une carte bleue, une boussole et 3 jours
pour parcourir les 200 bornes d’un chemin touristique, commercial et bien
fléché.
Les
five fingers sont le bon choix dans la montée rocheuse après le moulin de Savin
vers le plateau plein ouest.
Les
« five » sont des chaussures minimalistes que j’ai choisies pour leur
simplicité et dans ma logique d’extrême dénuement. Ce sont de simples semelle
de caoutchouc cousues sur un tissu qui enserre le pied et chaque orteil comme le
ferait un gant, une seconde peau plus endurante, préhistorique d’avant
l’invention de la chaussure. Sans amorti, elles optimisent la pronation et les
sensations telluriques sans filtre ni déformation. Il faut compléter
l’équipement avec des mini-guêtres de chez Salomon pour éviter l'intrusion des scrupules, ces petits cailloux qui nuisent à l'avancement (?!). Je
vais, je cours, je vole. Il me faut franchir au plus tôt le point de non
retour. Ce moment ultime/exquis où le
chemin devant est aussi interminable et dissuasif que le chemin d’avant.
22-19
= 3 heures claires puis le jour cessera. Courmarcès,
Le Cros puis Saint Martin de Fugères, « on » me donne de l’eau, la
ferme de Prémajoux où des chiens aboient sur une sente de chèvres que je dévale
plein badin. Au Goudet « on » me parle. Il va faire nuit. Je franchis
La Loire, déchausse, lave et masse mes pieds consternés des bornes bâclées.
Expédiée aussi, la tablette de chocolat fondue et survivante du kilomètre 11
que j’achève dans des effluves d’Akileine de la main libre, celle qui ne masse
pas mes pieds. En direction d’Ussel, ça monte sévère à gauche jusqu’au village
de Montagnac puis un faux plat, on devrait dire une vraie montée, bien droite, érigée
vers les Bargettes. Le déplacement à moto n’est pas le choix le plus
reposant et je paie le prix des six heures de selle du préambule mécanique. J’ai
juste envie de …….ralentir.
A la sortie d’Ussel,
j’ai bien vu l’âtre, le gite et les commensaux autour de la table d’hôte. Même
pas mal, j’ai poursuivi solitaire et affamé ma route persuadé que plus loin,
c’était mieux !
« Baaandit un peu maudit […..]
Dans ma veste de soie
rôôôse
Je déambuleee morose….
Le crépuscule est
grandiôôse »
Voilà, c’est ça :
grandiose !!! La luzerne en guise de couche, le ciel pour plafond, Vénus
façon lustre et des milliards d’étoiles comme autant de lucioles qui me
font des appels de phare: il est temps de diner et de passer à l’horizontale.
De toute façon ma lampe frontale ne détecte plus le balisage blanc et
rouge du GR.
Je récite comme un
mantra pour me persuader que je suis rassasié la mention sur la boite : « sans-huile-ajoutée-riche-en-oméga-3-sans-huile-ajoutée-riche-en-om-sans-huile-ajoutée-rich……. »
en mâchant religieusement les 2 sardines accompagnées du quignon de pain.
23.00h
et 1200 mètres d’altitude. Prodrome mortifère, l’herbe est déjà humide,
prémisse que la nuit sera longue,
fraiche et mouillée. Blanche nuit du chasseur, ou celle de la proie. J’ai
froid, j’ai faim, j’ai peur !
Abruti de fatigue, je m’endors
indifférent aux ombres fantomatiques qui m’encerclent.
Je gamberge entre sommeil paradoxal et profond :
Cette obstination à marcher coûte que coûte n’est-elle pas destinée à retarder
le moment d’affronter la nuit ? « Rien ne s’oppose à la nuit »Sa
venue est impitoyable comme la fin de l’été. C’est un assez mauvais plan car dans
l’obscurité je n’ai pu sélectionner mon bivouac selon les critères de
Stevenson : La protection des arbres contre les précipitations et la
rosée, dans le cocon d’un fossé de fougères m’isolant de la capillarité du sol
et à l’écart des maraudeurs. Pour mémoire, Bob avait dans son paquetage un
revolver chargé, moi pas.
Silence ! Je réclame du silence. Pourtant
ce ne sont que bruissements, chuintements, murmures. Qui va là ? Ai-je
envie de dire sans vraiment souhaiter de réponse.
Une voix Shakesparienne
répond hors sujet à la question que je n’ai pas posée puisque je dors:
«Lord save the little
children ! Because with every
children ever born of woman’s womb there is time of running trought a shadowed
place, and alley with no doors, and a hunter whose foostep ring brightly along the bricks behind him ».
Hyde ! C’est Mister
Hyde à n’en pas douter ! Hey Mister, l’anglais et moi ca fait deux.
Je me rendors et j’entends :
« Le seigneur préserve les enfants car tout enfant est issu du sein d’une
femme et se profile un temps où il fuira au travers d’un lieu ombreux et se
dresse un chasseur dont les pas sonnent derrière lui ».
Bien foutu les
cauchemars, non ? Il suffit d’un peu de concentration pour se rendormir en
milieux hostile et les sous-titres s’affichent.
Pas
faux. Suggéré par une voix intérieure, j’entends des pas subliminaux. Ce serait
un chasseur ?
Un
œil furtif sur la montre qui dit : minuit et la
boussole/sifflet/thermomètre : 3°. Une heure est passée alors que
j’estimais à une minute ma sensation de chute dans un puits imaginaire et
sournois.
En vigilance orange, je vérifie
simultanément la franchise de la prairie et la pureté stellaire. Le souffle
coupé, j’aperçois les constellations formant un jeu de points à relier. Bon,
j’ai le temps, je cherche la grande ourse et toutes les constellations dont
j’ai entendu parler. Je relie les astres d’un doigt enfantin pointant le ciel
en tirant la langue, me disant qu’il faut une bonne dose d’imagination pour
convertir des milliards de pointillés aléatoires en Orion, Pégase ou Persée.
Je conseille aux ufologues pour leur
rencontre cosmique la martingale : plutôt que des photos
douteuses, sur-ex ou floues, il suffit de relier les points pour apercevoir les
extra-terrestres : Deux culturistes procèdent de mon jeu à points. L’un
barbu, vêtu d’une chemise de nuit entouré de chérubins, enceint de femmes nues,
bras tendu, main ouverte vers un imberbe
dénudé et solitaire lui-même tendant une main avide de savoir le B à Ba de la
couture qui lui éviterait de s’exhiber en tenue….. d’Adam. Grâce à une connexion 4G avec
Wikipédia, je redécouvre Dieu, Adam et la métaphore de la transmission, la vie,
le savoir, tout ça…..regrettant toutes mes nuits confortables et
abritées qui m’ont tenu dans l’ignorance du doigt de dieu. Je décode
émerveillé : la belle étoile c’est la chapelle Sixtine, Orion est le
chasseur et la phrase en VO est tirée de « La nuit du chasseur ».
Franchement ? J’eus
préféré Eve à Adam ! Et pas que pour des raisons esthétique car il me
semble qu’il y a une chronologie : « every children ever born of woman’womb »
euh : « …tout enfant est issu du sein d’une femme… » Alors ?
Et dieu dans tout ça ? Les mystérieuses, confuses et anachroniques
connexions du cerveau, cet inconnu, mettent en scène selon son bon vouloir
David Grubbs, Michel Ange avec la voix de Stevenson sans soucis de cohérence,
de chronologie et de vraisemblance dans les pleins du sommeil et les déliés de
l’éveil. Promis, y en aura d’autres.
Le
froid a progressé plus que la durée. Il est rare que je souhaite accélérer
l’écoulement du temps mais l’humidité gagne du terrain. Dans cette nuit des
merveilles et de l’effroi à quoi seul un anthropomorphisme puéril attribue des
intentions néfastes, le sommeil devient néanmoins un traquenard avec ses
cauchemars fallacieux à l’offensive de l’esprit et l’hypothermie à l’assaut de
la chair. Le corps réagit à la froidure en régulant la circulation sanguine.
Les terminaisons, doigts et orteils, endurent la privation et c’est le cerveau
qui s’arroge la part du lion diffusant des messages toxiques comme les chaines
d’info entretiennent l’insécurité. Je pense stupidement aux montagnards que
l’on ampute. Je tiens tant à mes extrémités que j’amplifie un risque largement
improbable. Une bonne pneumonie à la limite…..
Fataliste
autant que régressif je décide d’ignorer
et repousser cette version pessimiste dans la réminiscence enfantine du baiser
maternel qui ne viendra plus conclure un conte de fée. Adulte, c’est plutôt la
séquence inéluctable d’un sempiternel décompte de faits au cours desquels j’ai
acquis peu d’amis et peu d’alliance! Sans rancune, maman le jour l’emportera.
Version
courte : je me rendors !
En compagnie de tous mes
contempteurs, je m’endors.
Un nécromancien se
glisse dans mon duvet.
Son job à lui c'est de faire parler les morts et voici qu'une
troupe de troncs humains s’avance en lévitation étrangement vêtue. Des brandons
élevés au dessus de leurs têtes éclairent la prairie. Une silhouette se hisse
sur l’éminence d’un talus, les autres s’agenouillent. Puis, l’homme debout apparaît dans un rayon de lune. Son bras au poignet encore sanguinolent de la
main fraîchement coupée. Il cautérise son moignon à l’ancienne avec la torche
devant un aréopage pétrifié et d’une voix sans trémolos éructe son discours dans
l’odeur immonde de la chair brulée:
« …..car le zèle de ta maison me dévore et les
outrages de ceux qui t’insultent retombent sur moi.
Je verse des larmes et je jeûne : on m’en fait
l’opprobre.
Je prends un sac pour vêtement et je suis l’objet de leurs
sarcasmes.
Ceux qui sont assis à la porte parlent de moi et les buveurs
de liqueurs fortes font sur moi des chansons….
Et moi je t’adresse ma prière Yahvé, dans le temps favorable
de ta grande bonté exauce-moi selon la vérité de ton salut.
Retire-moi de la boue et que je n’y reste plus enfoncé. Que
je sois délivré de mes ennemis et des eaux profondes. »
Pas mal ça ! Je
quitte mon duvet désormais trempé et rejoint la troupe à la recherche d’un peu
de chaleur humaine. Sans compter que, quand ça
commence à craindre, le concept de la prière, finalement….
« Exauce-moi Yahvé, car ta bonté est compatissante,
dans ta grande miséricorde tourne-toi vers moi »
Bon, y a toujours un peu
de lèche mais qui n’a jamais usé de flatterie et surtout, ce n’est pas le
moment de faire le malin : j’ai pas d’amis et ça caille sévère !
« Approche-toi de mon âme, délivre-la, sauve moi de
mes ennemis »
A la maison on disait
plus sobrement « délivre-nous du mal » mais bon, je m’adapte.
« Et ne cache pas ta face à ton serviteur, je suis
dans l’angoisse, hâte-toi de m’exaucer »
Euh
là c’est un peu raide, non ? Ce n’est pas comme ça qu’on parle au taulier.
Et ça continue encore et encore :
« Déverse sur eux ta colère et que
le feu de ton courroux les atteigne ! Que leur demeure soit dévastée,
qu’il n’y ait plus d’habitants dans leurs tentes !
Car ils persécutent celui que tu frappes,
ils racontent les souffrances de celui que tu blesses.
Ajoute l’iniquité à leur
iniquité et qu’ils n’aient point part à ta justice.
Qu’ils soient effacés du
livre de vie et qu’ils ne soient point inscrits avec les justes. »
A
ce passage, j’ai fait un pas en retrait.
Moi, tu me connais dés qu’il y a du sang, je tombe dans les pommes. Sont pas
meilleurs que ceux du camp d’en face
grommelais-je dans ma barbe naissante. Persécutés ou vengeurs, je ne suis
d’aucune de ces chapelles et me tiens à distance des fanatismes.
Des mousquets, des pierres et des fourches sont
sortis des havresacs et la troupe s’est ébranlée aux cris de « Au Pont-de-Monvert !
Au Pont-de-Monvert »laissant la place nette.
Je viens d’assister à la harangue de Pierre dit
Esprit Séguier très inspirée du psaume 69 avant l’escarmouche du Pont de
Monvert et l’assassinat entre autres dragons, de François de Langlade du Chayla
le 24 juillet 1762.
Nous
sommes bien le 24 juillet mais déjà celui de 2015 et il n’est pas encore une heure du matin. Pas d’herbe foulée, ni de
sang, ni de cendres. La luzerne est vierge des évènements de la dernière heure.
A part cette faux peut-être…Avec le puits qui n’était pas là tout à l’heure, ça
commence à (bien) faire !
Pestant
contre le désordre de ce pré mal rangé je
note intrigué, qu’à ce stade du parcours je ne suis pas encore à l’entrée de la
ville et ignorant de la présence de l’affiche décrivant le coup de force de
Séguier pour délivrer ses amis et venger Françoise Brès des tortures de l’abbé
du Chayla. Somnolent j’aperçois l’émergence
d’une source. Ce vague souvenir humide d’être venu dans les Cévennes
du coté de Saint André de Valborgne, du Mont Aigoual et de mes 5 ans. Persuadé
que j’ignorais tout ou presque des dragonnades, des camisards et des
protestants. J’avais aussi oublié ou en tout cas omis que j’étais……que je
suis…..protestant.
Je
suis dans l’étau du froid en position fœtale. Pourtant rien n’empêche sa
morsure. Les mains entre les jambes, le front sur les rotules préservant un peu
de chaleur animale font une posture dérisoire dans ce congélateur.
Je
rêve que je dors (que l’on me pardonne mes amphigourisme puisque je suis
au-delà du réel). Pour vaincre l’engourdissement, je me suis glissé à l’abri
d’un caveau sans le savoir et un gisant se disloque. Son squelette se renverse sur moi. Sont-ce
l’odeur de charogne, la vermine qui grouille
tout autour ou le froid qui me réveille ? Suis-je bien sûr d’être éveillé ?
J’ai du mal avec la réalité…. Je décide de faire quelques pas pour me
réchauffer. Mon pied accroche la margelle du puits et je chute. Longuement je fuis
chute et j’atterri sans dommage sur une chose molle. Une odeur infernale
envahie mes sinus jusqu’au vomissement. A tâtons je tâte (j’aime bien) mon air
bag. C’est un corps ! Il y a des bras, des jambes, un peu décharnés,
plutôt normal puisque les asticots sont à la manœuvre. Ah, c’est… c’était une
fille ! Je continu la visite, pas de tête !
L’instinct
de conservation me commande de fuir mais la curiosité est plus forte que la
panique. Une bouche lucide mais fétide me glisse à l’oreille: la sortie
n’existe pas dans un caveau. Ma part rationnelle ne croit pas à cette mise en
scène mais l’égarement est souvent inclus dans mon kit de survie. J’aime assez
voir au-delà de l’erreur et apercevoir cette autre version de la vérité. C’est
sans risque car je me réveille quand je veux. Dans ce cauchemar, ou cette réalité
puisque c’est moi qui rêve, je trouve opportunément
dans la poche d’un pyjama que je n’ai pas enfilé un néon de mécano que je n’ai
pas apporté.
Dans
la lumière, le décor est aussi terrifiant qu’édifiant! Je suis dans une crypte
et ma décapitée a une épitaphe :
« L’an 1764 et le1erjuillet, a été enterrée, Jeane Boulet,
sans sacremens, ayant été tuée par la bette féroce, présans Joseph Vigier et
Jean Reboul. »
Je suis tombé avec mon portable et j’ai du réseau. Wikipédia me confirme que : Jeanne Boulet, 14 ans a été retrouvée sans tête
victime de la bête du Gévaudan au village des
Hubac prés de Langogne et enterrée sans sacrement car elle n’avait pas
eu le temps de se confesser.
Je
salue bien bas cette très inhumaine logique de curé et poursuis mon chemin
laissant la vermine à son éternelle
besogne.
Il
y a les autres victimes, celles de la forêt de Mercoire et du hameau de
Masméjean et de la paroisse de Puylaurent dans le même état de décomposition
curieusement réunies dans « mes » oubliettes. Mon gisant de tout à
l’heure est là, avec plein de ses semblables mais je ne suis pas d’humeur à
jouer aux osselets, malgré l’air devenu
respirable et la température en hausse, je ne vais pas rester. Apercevant à la
lueur de ma baladeuse une silhouette féminine debout, je quitte l’ossuaire
comme Aragon se disant que la femme est l’avenir de l’homme. Un couloir rectiligne et sans issu que je reconnais
aisément c’est celui de celui de l’espérance, l’autre nom de l’illusion, mais
je n’ai pas d’autres choix. Des objets
de brocante jonchent le sol. Un vieux
décodeur C+, une Olympia vétuste l’azerty en vrac, de la paperasse, des portes
entrouvertes, des étagères couvertes des œuvres de H.P Lovecraft, Edgard Allan
Poe, Charles Nodier, Stephen King, A.E Van Vogt, Lewis Balfour Stevenson, C. Troussecotte. Ceci
expliquant cela.
Par
l’entrebâillement d’une porte, j’aperçois
un capharnaüm invraisemblable digne de l’arrière boutique d’un magasin de sport,
un stock anachronique d’engins pas
encore inventés : roues, guidons, embarcation, coques, cordes, harnais,
avirons, planches, fixations, chaussures enchevêtrés. Le maître des lieux y dort
tout habillé. Bien qu’il connaisse sans doute la sortie, je ne réveillerai pas
cet hyperactif peu envieux de sa peur du
vide avec sa porte mi-fermée, ni ouverte (laisse, c’est voulu) du gars
qui ne veut pas décrocher et se laisse surprendre par le sommeil épuisé par
l’ébauche de multiples projets. Au terme du couloir il y a un fronton grec marqué : « ARCHIVES » donnant sur
un patio avec des roses trémières, des spathiphyllum et des plantes que je ne saurai nommer. Voilà la silhouette entraperçue. Point de
chair mais du marbre. C’est une statue miscellanées
de la Vénus de Milo et de la victoire de Samothrace. Fastoche : Vénus !
C’est vrai qu’elle était belle, maman. Sans tête : la folie,
l’internement, la solitude, la mort. L’absence de bras : l’impuissance (va
falloir s’occuper des frangins, frangines). Les ailes : l’évasion.
C’est
clair, la sortie n’est pas loin.
Je
me dirige vers la veilleuse verte devant moi et je pousse une porte improbable de
salle de cinéma avec sa barre anti-panique débouchant sur ma prairie.
Je
sens dans mon sommeil et sur mes lèvres la bouche fétide de tout à l’heure. Je
cherche dans l’obscurité à identifier la bête : Des sabots, des cornes, une
queue ? Du poil recouvre son abdomen. J’appuie sur le champignon et sans
attendre la permission de Julien Lepers, j’hurle :
« Satan !!! »
Perdu !
C’est la petite chèvre de Mr Seguin. Elle en a marre de son vieux et elle est
venue voir dans le pré d’à coté si l’herbe est plus verte.
Pas
faux ! J’y suis dans le pré d’à coté et je me réveille.
A
suivre....