(note de lecture) Jacques Josse, "Marco Pantani a débranché la prise", par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

 
Jacques Josse, l’écrivain, l’homme, a une capacité d’empathie pour les vies cassées, démontées ou malmenées qui a peu d’égal en sincérité, ses écrits attestent une présence humaine parmi ce monde-là. Est moins connue sa passion pour le cyclisme, pour la Grande Boucle notamment, or, voilà quelques années qu’il rumine ce livre-ci, son désir d’exprimer sa sympathie pour le coureur cycliste et l’homme que fut Marco Pantani, retrouvé mort dans des circonstances demeurées obscures, dans une chambre d’hôtel, au bord de l’Adriatique, le jour de la Saint Valentin 2004, dans une résidence nommée, paradoxe ( ? ) du destin, pour un vainqueur du Tour d’Italie et porteur du maillot rose, une résidence nommée Le Rose. Circonstances demeurées obscures d’une mort provoquée par une prise excessive et conjuguée d’anti-dépresseurs et de cocaïne, prise et mort accidentelle ou « auto-suppressive », quand la famille du coureur cycliste se bat pour la thèse de l’homicide volontaire, du meurtre. Le mystère n’est pas élucidé. Le livre de Jacques Josse ne s’attarde pas sur les circonstances et le mystère, ne fait pas son miel avec la dose de scandale d’un fait divers, ni effet de mode (ainsi que dans le domaine romanesque). Il relate la carrière fulgurante et accidentée, au sens propre comme au sens figuré, d’un homme qui rêvait de sommets, au sens propre comme au sens figuré de même. Escaladeur, grimpeur hors pair, époustouflant, le coureur italien, avalant le bitume, faisait rêver, remuait des mythes, par son esprit combattif, guerrier, battant, franc-tireur et opiniâtre contre le sort qui le malmenait (de multiples accidents ont entravé son ascension) et sa légèreté aérienne dès lors que la route s’élevait. En 98 proses courtes, l’écrivain suit l’ascension chaotique de celui qu’on surnommait Le Pirate, pour la raison de son apparence (boucle d’oreille, barbiche et bandana sur le crâne chauve) et de son esprit d’attaquant à l’abordage de la difficulté penteuse et tortueuse. Des proses qui demeurent dans la description, presque journalistiques par moments, en retrait, dans l’ombre du champion déchu, par respect autant pour sa mémoire que pour sa pétulance volontaire, proses qui ne procèdent pas par démarrages foudroyants et mimétiques du grimpeur, mais, par avancées sûres et certaines, dans le sillage à distance respectueuse, gardant en ligne de mire celui qui est insuivable, aussi bien sur la route que dans sa vie d’homme. Aucune emphase, aucune gradation, rien qui ne montre une volonté première d’émouvoir le lecteur, la discrétion d’écriture est de mise, en ce livre, et force l’admiration pour ce qu’elle parvient à provoquer ce qu’elle ne cherche pas à provoquer directement, l’émotion. On sort de ce livre ébranlé, quand bien même n’est-on point un amateur de courses cyclistes, c’est la réussite de ce livre, qui, à l’instar de ceux de Jacques Josse s’attachant aux vies de marins ou de piliers de bars, nous clouent et nous scotchent de trouble profond, c’est la réussite : une non-biographie, mais l’hagiographie d’un saint maudit. Si la canonisation est le fruit d’une procédure catholique, la canonisation littéraire peut bien être celle mise en place par un écrivain, en tant que « postulateur », ainsi comme Jacques Josse pour Marco Pantani. 
 
 
Jean-Pascal Dubost 
 
 
 Jacques Josse, Marco Pantani a débranché la prise, éditions La Contre-Allée, 14€