(anthologie permanente) C.K. Williams

Par Florence Trocmé

Poezibao rappelle à ses lecteurs la disparition du poète américain C.K Williams. Claire Malroux a traduit plusieurs livres de lui en français.  
 
 
Le Critique 
Dans la bibliothèque publique de Boylston Street, à Boston, où le froid pousse tous les clodos puants, 
il y en avait un qui griffonnait pendant des heures d’affilée sur les feuilles d’un classeur délabré. 
Il écrivait sans hésitation visible, vite, et d'un air concentré ; son inspiration était inspirante : 
au second coup d’œil on se rendait compte qu’il retraçait des mots déjà écrits,  
des blocs de cursive gravés dans le papier ramolli, parsemés de poèmes imprimés collés par ses soins.  
L’idée qu’il avait violé des livres pour bâtir son œuvre m’était odieuse, mais il me plaisait malgré tout,  
surtout sa façon d’atteindre souvent la fin, de fermer son cahier avec une satisfaction lasse, et de le rouvrir 
pour recommencer : première page, premier chapitre, ses yeux rougis aussi extasiés que ceux de David à ses psaumes.  
 
 
The Critic 
In the Boston Public Library on Boylston Street, where all the bums come in stinking from the cold, 
there was one who had a battered loose-leaf book he used to scribble in for hours on end. 
He wrote with no apparent hesitation, quickly, and with concentration; his inspiration was inspiring: 
you had to look again to realize that he was writing over words that were already there - 
blocks of cursive etched into the softened paper, interspersed with poems in print he'd pasted in. 
I hated to think of the volumes he'd violated to construct his opus, but I liked him anyway, 
especially the way he'd often reach the end, close his work with weary satisfaction, then open again 
and start again: page one, chapter one, his blood-rimmed eyees as rapt as David's doing psalms. 
 
• 
 
Premiers désirs 
C’était comme écouter le disque d’une symphonie avant de rien connaître à la musique, 
de savoir quel son, quel aspect pouvaient avoir les instruments, leur rôle à chacun dans l’orchestre :  
ce n’étaient que volumes et vélocités, amas et minceurs, cris sinueux de métamorphose 
qui semblaient se toucher en toi, à travers ton corps, faire partie de toi puis s’en séparer.  
Et même ayant appris le timbre grenu du violon solo, les ardents arpèges du cor, 
quand tu essayais de nouveau il restait des confusions et des gênes, un tourment, un désir diffus 
qui te fixaient dans un dissonant chromatisme, prolongé après la résolution de la dominante en tonique, 
comme s’il y avait un défaut de logique dans la structure, ou plutôt (tu le pressentais) en toi.  
 
 
First Desires 
It was like listening to the record of a symphony before you knew anything at all about the music, 
what the instruments might sound like, look like, what portion of the orchestra each represented: 
there were only volumes and velocities, thickenings and thinnings, the winding cries of change 
that seemed to touch within you, through your body, to be part of you adn then apart from you. 
And even when you'd learned the grainy timbre of the single violin, the ardent arpeggios of the horn, 
when you tried again there were still uneases and confusions left, an ache, a sense of longing 
that held you in chromatic dissonance, droning on beyond the dominant's resolve into the tonic, 
as though there were a flaw of logic in the structure, or in (you knew it was more likely) you. 
 
 
C.K. Williams, Chair et sang, traduit de l’anglais et présenté par Claire Malroux, choix de Claire Malroux et de l’auteur, Orphée La Différence, 1993, pp. 24-25 & 30-31.  
 
Bio-bibliographie de C.K. Williams