RENTRÉE LITTÉRAIRE… Petit Piment, Alain Mabanckou (2015) ...

Par Quinquin @sionmettaitles1

RENTRÉE LITTÉRAIRE…

Petit Piment, Alain Mabanckou (2015)

J’ai compté sur mes petits doigts boudinés, que cela faisait déjà de trop nombreuses années que je n’avais replongé le nez dans la littérature enchanteresse et décalée de l’un de nos plus beaux magiciens littéraires – discret et donc fantasmé – , Alain Mabanckou. Presque dix ans, c’est long, trop long… Nouvelle parution – en lice pour le Goncourt – et me voilà rapidement réintégrée à l’univers singulier de l’écrivain franco-congolais qui poursuit son exploration africaine et continue de nous narrer avec passion, tendresse et sévérité ce continent qu’il connaît si bien. La plume Mabanckou reste la même, singulière et aérienne, lustrée par la douceur et l’espièglerie, entre récit mélancolique et bravades humoristiques, l’œil acéré et bienveillant de l’auteur clignant cette fois-ci du côté d’un petit orphelin aussi attachant qu’héroïque…

Papa Moupelo, prêtre fantasque engagé auprès de bambins d’un orphelinat catholique, baptisa l’un d’entre eux à son arrivée, Tokumisa Nzambe po Mose yamoyindo abotami namboka ya Bakoko, signifiant « Rendons grâce à Dieu, le Moïse noir est né sur la terre de ses ancêtres »… Ce petit être abandonné se nommera donc – de manière plus concise – Moïse, plus tard surnommé Petit Piment, en référence à Petit Jean, célèbre comparse de Robin des Bois.  Ici, c’est donc la voix de l’auteur qui nous conte Petit Piment, son histoire d’enfant en plein apprentissage de la vie et confronté à une éducation stricte et liberticide au sein d’un établissement tenu d’une main de despote par le terrible et corrompu Dieudonné Ngoulmoumako. La vie suit bon an mal an son chemin jusqu’à ce que la Révolution socialiste vienne perturber le fragile équilibre de Petit Piment qui y perdra son innocence et les gens qu’il aime, le catapultant dans un autre monde, loin de l’orphelinat, celui de la survie, des magouilles et des petits larcins. Jusqu’au jour où, comme un soleil s’ingérant au creux d’un nuage, son chemin croise celui de Maman Fiat 500, mère maquerelle au grand cœur et à la gouaille irrésistible, qui prendra Petit Piment sous son aile et fera de lui – et malgré lui – un homme. Un homme fragilisé par son passé et mutilé par le présent dont la conscience se mettra au fil du temps au service de la folie ; une folie douce, belle, poétique mais dévastatrice…

Entre critique sociale et politique et conte des temps modernes, Alain Mabanckou livre un écrit d’une bénignité extraordinaire et d’une extravagance lumineuse. La vie entre ses pages y est dure, l’existence malmenée, les dirigeants africains largement raillés et critiqués, la vie de Petit Piment distordue, et pourtant l’humour moqueur, absurde, lucide et parfaitement dosé de l’écrivain donne à cette œuvre une force vive et solaire incroyable. Parce que le magnanime Alain Mabanckou, s’il domine la misère et les tourments, maîtrise encore mieux la douceur et cette petite lumière salvatrice que l’on appelle l’espoir. Ses personnages sont drôles, émouvants ou ridicules et la vie, une route tortueuse où il préfère que l’on marche la tête haute en se dandinant fièrement plutôt qu’abattu et à plat ventre. Chez Mabanckou l’on affronte le pire avec l’humour, l’on recouvre l’indigence d’aspirations et de joliesse, l’on ne cache rien mais l’on s’adapte et l’on croque avec une grâce et une tendresse hors du commun un portrait de l’Afrique tout en humanité, une Afrique à la fois pudique et insolente, un continent silencieux mais si vivant…

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