Mission Impossible : Rogue Nation – La Cruisière s’amuse

Par Julien Leray @Hallu_Cine

L’important dans toute grande franchise, c’est d’en respecter les fondamentaux. Ne pas en dénaturer l’essence : l’institution avant tout. Changez Robert Downey Jr pour Benedict Cumberbatch, Sherlock Holmes sera toujours Sherlock (même si bien meilleur dans la série que chez Guy Ritchie et ses films en toc). Substituez à Pierce Brosnan Daniel Craig, Bond sera toujours James Bond. Troquez Edgar Wright pour Peyton Reed, et Ant-Man sera finalement… un ratage… Mais passons.

Car l’essentiel, c’est qu’un Mission Impossible aura beau succéder à un autre à un rythme désormais de métronome (rien à voir avec Lorànt Deutsch), Tom Cruise sera toujours Tom Cruise.

Star incontestable en devenir dans le premier opus, acteur mégalo dans le second épisode avec à la barre un John Woo en roue libre (ou crevée), célébrité déchue en quête de rédemption dans MI:3 de l’inénarrable J.J. Binks Abrams, et de nouveau acteur bien dirigé sachant bien jouer dans Mission Impossible : Ghost Protocol. On le voit, notre quinqua favori est passé par tous les états, mais une chose est sûre : il est encore bel et bien là.

La mise en chantier de ce nouveau Mission Impossible fut pourtant loin d’être une sinécure. Orpheline de Brad Bird parti voler sous d’autres cieux, la suite de Ghost Protocol avait de quoi faire peur (le traumatisme de Die Hard 4 et 5 restant encore bien trop vivace). Car rares ont été les metteurs en scène capables de tenir tête au décideur omnipotent qu’est Tom Cruise, à plus forte raison sur la franchise devenue sa chasse-gardée, sinon son bébé. Et tant pis pour la série télévisée.

Brad Bird donc, Steven Spielberg aussi, Paul Thomas Anderson dans une moindre mesure, ou encore Tony Scott qui aura finalement « fait » Tom Cruise avec Top Gun.

Mais depuis, que ce soit dit, on ne « fait » pas Tom Cruise. Au même titre que Chuck Norris sait parler le braille, Tom Cruise, lui, parle le film. L’imprime de sa patte, le façonne à son image. Oblivion, les Mission Impossible, ou encore Walkyrie sont Tom Cruise.

Le cadre étant posé depuis des années, tout se joue désormais dans la manière avec laquelle son ego sera canalisé.

Ce fut d’ailleurs l’une des grandes forces de Mission Impossible : Ghost Protocol, et probablement la base-même de son succès. Voir un Tom Cruise/Ethan Hunt malmené dans son statut de héros invincible et indestructible, sûr de lui et de sa force apportait une saveur rarement goutée, mais diablement sublimée. Dans ce quatrième épisode autant film d’action que d’animation, Brad Bird fit de Tom Cruise l’acteur de sa propre introspection, de sa propre remise en question tout comme celle de son héros qui, désormais, aura plus que jamais besoin de son équipe pour parvenir à ses fins. Du Mr. Indestructible « je travaille en solo », Tom Cruise se meut désormais en chef d’équipe à l’écoute, lui, l’ancien salaud.

Les bases sont là, la recette du succès aussi : voyons ce qu’en a fait Christopher McQuarrie.

Scénariste de l’acclamé (même si un peu tombé dans l’oubli depuis quelques années) Usual Suspects de Bryan Singer, ce dernier est devenu un collaborateur privilégié de Tom Cruise après avoir porté sur grand écran les aventures de Jack Reacher, succès-surprise au box-office 2013 (par ailleurs actioner assez quelconque et inoffensif), et scénarisé Edge of Tomorrow, film de science-fiction mal-aimé mais en passe d’être réhabilité.

Déjà la plume à l’oeuvre sur Ghost Protocol, Christopher McQuarrrie allait-il caméra au poing réussir à prendre le relais du virtuose Brad Bird, et à se mettre de manière plus globale au niveau de ses prédécesseurs ?

Car s’il est bien une chose que l’on ne peut enlever à la franchise Mission Impossible, c’est de toujours s’être pourvue en (grands) cinéastes – sauf J.J., merci… -. En bref, il avait fort à faire Mr. McQuarrie.

Et une heure durant, le bougre s’en sort relativement bien. Mieux, il réussit à surprendre. Outre une mise en contexte à la fois prenante et intimiste (bien que la séquence de d’introduction – éventée dans la bande-annonce – ne soutient pas un seul instant la comparaison avec celle du Burj Khalifa du quatrième volet), avec à la clé une apparition saisissante du grand méchant du film que l’on n’aura rarement connu aussi angoissant et révulsant (Sean Harris, excellent), McQuarrie surfe également sur les forces du précédent opus en reprenant à son compte toute la fragilité (relative, mais fragilité tout de même) d’Ethan Hunt et l’esprit de groupe entretenu de main de maître par ses acolytes Simon Pegg et Jeremy Renner (impeccables), pour se jouer lui aussi des codes du film d’espionnage.

S’en jouer, sans piétiner. La nuance peut parfois s’avérer ténue, mais reste de taille. Loin de la gaudriole Jurassic World, Mission Impossible : Rogue Nation reste un vrai film d’espionnage, soucieux et garant des codes inhérents à son genre, avec ce qu’il faut de rebondissements, de faux-semblants, d’action évidemment, mais aussi de plans iconiques, de trahisons pour maintenir la tension (on y reviendra pour l’attention).

Christopher McQuarrie fait par ailleurs montre d’une maîtrise assez inattendue de l’espace et du découpage, rappelant par instant (toutes proportions gardées évidemment) les plus beaux moments du Mission Impossible de De Palma, avec deux séquences sortant sans conteste du lot : celle prenant pour cadre l’Opéra de Vienne, et celle avec Tom Cruise en plan-séquence et en apnée, au cours desquelles McQuarrie fait parler sa science du rythme toute scénaristique, et se permet des envolées visuelles pour le coup franchement inattendues.

Cependant, la mécanique bien huilée lancée à pleine vitesse commence à sérieusement toussoter au milieu du récit, pour franchement se gripper par la suite et ne plus pouvoir rattraper l’allant du début.

Passée l’impressionnante séquence de course-poursuite en motos carburant au super à faire pâlir de jalousie Vin Diesel – merci GoPro -, les péripéties d’Ethan Hunt et du MI5 finissent par sentir le réchauffé, mal servies par un réalisateur que l’on sent dans le dur et ayant du mal à conclure. Passe encore la lutte intestino-fraternelle (gare aux aigreurs) entre Ethan Hunt et l’antagoniste principal du film. Si l’on reste en terrain connu (toute ressemblance avec le Skyfall de Sam Mendes reste – il paraît – purement fortuite), l’exécution se montre suffisamment solide pour passer outre ce lieu commun scénaristique.

En revanche, se retrouver de nouveau face à une menace mondiale incarnée par une société obscure d’au mieux une dizaine d’agents aussi secrets que les courriels d’Hillary Clinton, dont la moitié ne verra de toutes façons pas le premier tiers du film sous les coups de boutoirs d’un Tom Cruise forcément énervé, ça fait davantage grincer.

Bien sûr, la vraisemblance n’a jamais été l’apanage de la série, et Ethan Hunt n’est pas Jason Bourne, c’est acté. Mais quand le film se retrouve tiraillé entre un sérieux souvent hors sujet et mal amené, aux poncifs dramatiques pachydermiques en guise – pour McQuarrie – de légitimité artistique, et un humour et un burlesque totalement repris de Ghost Protocol mais mal assumés et intégrés, on se retrouve dès lors face à un film donnant la désagréable sensation de manger à tous les râteliers.

Y’a-t-il un pilote dans l’avion ?

Et c’est en soi le principal problème qui gangrène fâcheusement ce dernier Mission Impossible. Somme de clins d’oeil et de références aux autres franchises du film d’espionnage ou du cinéma d’action, quand il ne recycle tout simplement pas sa propre mythologie voire pille littéralement son prédécesseur avec lequel il partage une bonne partie de son équipe technique et artistique, Rogue Nation a bien du mal à faire oublier ses figures tutélaires et à exister en tant qu’oeuvre propre et originale.

Là où Brad Bird avait embarqué la franchise dans une voie toute « Pixarienne » sans jamais dévier de son parti-pris initial, faisant de Ghost Protocol une oeuvre ressortant inévitablement du lot, Christopher McQuarrie, lui, peut-être un peu timoré, peut-être écrasé par le poids d’une telle production et de son diable d’acteur principal, se fond dans le moule, sans dépasser, et sans réellement proposer du neuf, de l’osé…

… à l’exception notable cependant de l’unique (la parité, c’est pas encore gagné…) personnage féminin du film. On guettait – évidemment – un nouveau one-man-show de la part de Tom Cruise, on l’a eu. Ce que l’on attendait moins en revanche, c’est qu’un second couteau soit capable de lui tenir tête, voire, dans la majorité des scènes qu’ils partagent, de lui voler la vedette. Et quand ce bon vieux James se retrouve encore et toujours empêtré dans des débats à n’en plus finir concernant son machisme et son conservatisme patentés, Mission Impossible a l’intelligence de vouloir fédérer un public féminin trop souvent laissé de côté et mal représenté.

Une nouvelle fois, tenons-le nous pour dit : c’était déjà le cas dans Ghost Protocol. Tout en charisme et en présence, Paula Patton occupait une place de choix, même si, dans une certaine mesure, encore celle de l’appât.

La grande nouveauté, cette fois, est que Rebecca Ferguson tient le rôle de la femme d’action. Dans les combats, les gunfights oui, mais aussi au sein du récit. Elle devient moteur au même titre qu’Ethan Hunt car elle est active et partie-prenante dans la résolution des enjeux, narratifs et dramatiques. Adieu la scream queen ou la James Bond Girl uniquement décorative, verte et plante verte. Un personnage, un vrai, écrit, construit. Présent à l’écran, et au sacré potentiel futur.

Après Ex Machina il y a quelques mois, on le dit, on le martèle : le féminin reprend un tant soit peu ses droits au cinéma, et ce n’est pas Jane Fonda qui s’en plaindra.

À défaut d’avoir sublimé le reste et fait dans l’inédit, ce sera toujours ça à mettre au crédit de Christopher McQuarrie.