La route du rock 2015 | du rock, du sable et de la fête

Publié le 30 septembre 2015 par Acrossthedays @AcrossTheDays
Dans la longue liste des festivals d’été qu’on adore à Across The Days, il y en un qu’on ne raterait pour rien au monde. Les pieds dans la boue, le k-way sur les épaules et les bottes aux pieds, nous avons pris nos tentes pour le rendez-vous de bord de mer indispensable à tous les fans de rocks indépendants : La Route du Rock. Depuis plus de vingt ans le festival malouin fait vibrer les murs du Fort Saint Père et le cœur de ses festivaliers. Et le notre, bien entendu, depuis qu’on est en âge de partir à l’aventure musicale bretonne. Une fois n’est pas coutume, on est rentré fatigué, lessivé (mais pas par la pluie cette fois) et heureux d’avoir pu, cette année encore, faire partie de cette si belle expérience.

Vendredi : 

On arrive tard sur le site du festival, quelques minutes après la fin de la pluie. Les bottes s’enfoncent dans la boue mais ça n’a pas l’air de déranger qui que ce soi : on retrouve plutôt l’ambiance si conviviale du festival, promesse de trois jours sous le signe de la fête. Après une courte file d’attente au stand cashless – carte sans-contact nécessaire pour acheter boissons, goodies et nourriture sur le site – on se dépêche de s’installer au camping tandis qu’on entend la forêt résonner déjà sur les rythmes de Fuzz. Sur scène, ils sont maquillés, la foule est sur-excitée. Le side-project de Ty Segall (qui prend ici place derrière la batterie) livre un set aussi précis que bruyant : « FUZZ YEAH!« La nuit est tombe pendant l’étrange set d’Algiers. La voix profonde du chanteur transporte les festivaliers dans une spirale de soul intense aux guitares vibrantes. Loin de la scène pourtant, on ressent une dimension mystique s’installer autour de nous, sorte d’incantation aux icônes de la soul, du gospel et du punk. Rien que ça.Lorsque Timber Timbre prend le relais sur la grande scène, on se fait soudainement envelopper dans une petite couverture chauffante, volante, soyeuse. Tout en douceur, on se laisser bercer par le timbre (c’était gratuit) chaud du Canadien qui nous entraîne peu à peu avec lui dans les sonorités mélancoliques de son dernier album Hot Dreams. On se rêve dans un champ un soir d’hiver, seul au monde, guidé par le son de sa voix et les rythmes lancinants des claviers, en même temps que l’on ne parvient pas à s’empêcher de comparer ce concert à celui, mémorable, de Nick Cave sur cette même scène.De l’autre côté du site, Girl Band répond à Timber Timbre avec folie, comme si le groupe désirait réveiller un public quelque peu endormi par les deux derniers concerts. Et les Irlandais nous bousculent sans gêne (un peu provocateur, un des membres porte un t-shirt à l’effigie de Björk, décidément le running-gag du week-end). Le groupe s’amuse, gesticule d’un bout à l’autre de la scène, saute, grillant les oreilles du public de leurs guitares assourdissantes. Drôle, festif, punk et bruitiste : un live réussi pour l’ambiance et le style, malgré l’impression d’immense bordel qui se dégage de leur concert.Ratatat arrive enfin sur scène. Lee duo new-yorkais est attendu : beaucoup de festivaliers se souviennent de leurs anciens titres, d’autres les ont redécouvert cette année avec leur dernier album, Magnifique, tout juste sorti cet été. Pop ou trip-hop, électronique et toujours enivrant, le duo attaque avec ferveur le public de la Route du Rock. Un live qui rappelle des souvenirs et que nous écoutons avec nostalgie, et un peu d’amertume : le live manque de vie et d’énergie, d’intérêt même. La fête bat son plein au Fort Saint-Père lorsque Rone prend les rênes. L’attendue tête d’affiche électro de la soirée, que nous avions déjà vu présenter son dernier live aux Rencontres Transmusicales en décembre dernier, lâche ses Créatures avec force. On reconnaît les emblématiques titres de son album, ses visuels réussis et ses anciens tubes. Peu de surprises donc, à l’exception d’une courte apparition de François Marry venu chanter « Quitter la ville » très peu mis en avant visuellement; mais une jolie réussite pour l’artiste qui semble prendre autant de plaisir que les festivaliers lors de cette clôture de la première soirée.

Samedi : 

Direction la plage de Bon Secours pour un après-midi musical et ensoleillé au bord de la mer. Lorsque nous arrivons sur le sable, Pan European envoie ses disques aux baigneurs et aux quelques festivaliers déjà présents. On attend patiemment que Flavien Berger monte sur scène. L’artiste est visiblement attendu et on comprend pourquoi : sa voix correspond parfaitement au lieu dans lequel nous nous trouvons. Au bord de l’eau, Flavien nous embarque dans un voyage en sous-marin vers les profondeurs de l’amour, comme il tente de nous l’expliquer avec humour entre chacun de ses morceaux. Le temps passe si vite qu’on aimerait qu’il joue toute la journée, mais l’artiste a pourtant réussi à nous faire voyager dans des abysses musicales de Léviathan, hypnotiques et sensuelles.Only Real commence pourtant bientôt son concert au Fort Saint Père, il nous faut revenir sur terre pour prendre notre navette. Et on a raison de se dépêcher : l’anglais est déjà en train de remuer toute une foule sur la scène des Remparts. On ne sait pas encore que commence déjà l’un des meilleurs concerts du festival : Only Real fait chanter et danser tout le public au fil des titres déjà bien connus de son album Jerk At The End of The Line. Rock, hip-hop ou carrément pop, on peine tous à qualifier les origines musicales de l’artiste, et à vrai dire on s’en moque carrément et préférons reprendre tous en chœur ses refrains entraînants et l’écoutons aussi religieusement qu’amoureusement durant chacun de ses couplets. Le charme du londonien fait mouche.Quand Kiasmos, duo islandais oscillant entre deep-house et techno minimale, entre en scène sous la lumière chaude du soleil rasant de la fin de journée, c’est l’émerveillement qui s’empare d’une partie de la foule, tandis qu’une autre partie reste circonspecte, préférant que les sonorités électroniques restent cantonnées aux fins de nuit. De notre côté, on est ravis que l’électro puisse se jouer de jour, devant un public encore sobre : c’est le moment idéal pour surprendre et enchanter. Signés sur l’excellent label Erased Tapes (dont on avait parlé ici), Ólafur Arnalds et Janus Rasmussen charment à grands coups de beats qui s’entrechoquent avec la légèreté de leurs cordes samplées : un régal diurne comme on en a rarement vu.Hinds, c’est le contraire : ces quatre espagnoles braillardes, vendues comme la sensation de cette fin d’année, déçoivent. En prétextant proposer une musique lo-fi, elles croient s’octroyer le droit d’être à côté de la plaque trois quarts d’heure durant. Personne dans le public ne réussira vraiment à tenir aussi longtemps face à un spectacle aussi triste. The Soft Moon, eux, séduisent bien plus : la noirceur des rythmes martiaux accolés à ces lignes de guitares qui n’en finissent plus charment aisément : le concert est plus carré et travaillé que ceux auxquels ils nous ont habitué, mais ce n’est pas pour nous déplaire. Quant à Spectres, l’incroyable groupe de l’excellent label Sonic Cathedral, ils jouent la carte bruitiste à merveille : l’ensemble se déchaîne et dévoile une énergie dévorante.Foals arrive enfin sur scène. La collective joke du festival consistant à attendre Bjork impatiemment comme si elle allait jouer sur scène est parvenue jusqu’aux oreilles du groupe (programmé à la suite de l’annulation de la chanteuse, pour ceux qui serait passé à côté du petit bad buzz de l’islandaise de ce début août) qui se chargera de s’en faire le relaie pendant l’ensemble de son live. Musicalement, le groupe remue le public intensément en reprenant avec puissance les titres de son album Holy Fire et ses anciens succès, dont l’emblématique Spanish Sahara. Les pogos s’enchaînent dans la foule qui reprend en cœur les refrains des classiques des anglais. Les guitares assourdissantes et la voix puissante de Yannis Philippakis fonctionnent bien : ce n’est pas une claque mais on prend du plaisir à réécouter l’album de Foals, qui arrive rapidement à faire oublier l’absence de Bjork.Puis, la déception. Daniel Avery, surprend en nous présentant un set ennuyant et surtout très, très, très (et même encore très très très) mou. Nous qui avions écouté avec tant de plaisir Drone Logic, nous qui le faisions encore tourner régulièrement dans nos oreilles, nous qui avions découvert l’obscurité techno de l’artiste avec intérêt, nous sommes les premiers déçus. Certains rentrent, amers. D’autres restent et ont raison, car la fête repart de plus belle grâce à Lindstrøm. Pour la clôture de cette seconde soirée de festival, l’artiste a décidé de ne pas ménager son public. Hyper festive et surtout très efficace, sa disco nous enflamme et nous puisons dans toutes nos réserves pour savourer avec bonheur nos derniers pas de la soirée. 

Dimanche : 

Lorsqu’on arrive sur la plage de Bon Secours, la foule s’est déjà rassemblée pour les premiers concerts de l’après-midi. Jimmy Whispers ne pas va tarder à monter sur scène et à… intriguer. Si on peine à percevoir le génie musical de l’anglais, on rigole bien pendant une heure de live. L’artiste boit plus de bières qu’il ne chante et raconte plus de blagues qu’il ne joue de la musique, si bien qu’on commence à se demander si finalement, ce n’est pas lui, la joke du festival. Jimmy qui se plait à répéter durant l’intégralité de son titre Vacation qu’il a besoin de vacances… on ne le retient pas trop longtemps, préférant nous ruer au Fort pour The Districts. Grand bien nous en a pris, puisque les jeunes ricains mettent tout le monde le cul par terre. Entre envolées fougueuses et mélodies prenantes, ils font une ouverture parfaite pour cette dernière journée, collant un large sourire sur chacun des visages des spectateurs, ensoleillés par quelques rayons de soleil persistants. Mais la claque du dernier jour, elle se tient devant nous dans un costume ajusté, belle barbe de cent (au moins) jours et lunettes de soleil sur le nez. Charismatique à souhait, Father John Misty nous hypnotise à grands coups de ballades folk sublimés par un live mené à la perfection de bout en bout. We love you, honeybear.Quant à Viet Cong, dont on attendait beaucoup, difficile de ne pas s’avouer un peu déçus : leur live manque furieusement d’âme. Si les fans hardcore sont divisés, ceux qui ne connaissent pas l’intégralité de l’album restent majoritairement de marbre, tout comme devant Savages, qui s’hystérisent entre elles plus qu’elles n’hystérisent la foule. On leur préfèrera aisément Ride, même si on sait que la nostalgie y joue un rôle incontestable : qu’on ait connu leurs albums quand ils sont sortis ou quand on a découvert le shoegaze, ils rappellent en tout cas un temps révolu que le crâne dégarni de Mark Gardener accuse impitoyablement.Dan Deacon était attendu au tournant lui aussi : ce « geek foutraque » (aurait-on dit si on écrivait dans un magazine tiré à quelques dizaines de milliers d’exemplaires) s’excite sur ses machines comme un enfant de quatre ans qui joue à Hippos Gloutons. Si sa bonne humeur est communicative, il est difficile de comprendre ce qu’il nous ordonne quand il s’empare du micro pour hurler des phrases sans queue ni tête. Tout juste comprend-on qu’il nous demande de séparer la foule en deux et d’imiter les dance moves de deux énergumènes qu’on peine à distinguer sur les écrans géants. Ce genre d’exercice étant plus adapté à l’intimité des petites salles et les concerts de Dan Deacon reposant beaucoup sur ces jeux, la sauce a du mal à prendre… On se contentera finalement de hocher la tête gaiement et ce n’est pas pour ne déplaire. C’est d’ailleurs ce qu’on continuera à faire, avec infiniment plus d’entrain, devant le génial Juan MacLean et ses copains recrutés pour le live, notamment Nancy Whang (ex-LCD Soundsystem) qui occupe la scène à elle toute seule tant elle attire les regards (encore plus que le thérémine, pourtant lui aussi très aguicheur).  Pendant qu’ils alernent entre disco-punk, électro-rock et techno-pop (pour résumer), nos émotions alternent entre joie infinie de faire la fête et tristesse (contenue, tout de même) que le festival touche à sa fin. On décidera alors de partir sur cette joie quasi-mélancolique plutôt que sur les rythmes groovy mais aux tendances lassantes de Jungle.Sur le chemin du retour, les pieds traînent dans la poussière. Même les chauffeurs de navettes ont l’air attristés que le festival soit fini. Au fond de nous, chacun cache un grand sourire : celui de la certitude. La certitude que l’année prochaine, on sera toujours là. Pour fêter le rock indépendant, les pieds dans la boue, la tête au paradis.