Daumier - les pierres se moquent!

Publié le 09 juin 2008 par I_love_vintage
Nous avons pu jouer les prolongations à la BNF et profiter d'une exposition passionnante sur les lithographies d'Honoré Daumier. Je ne suis pas spécialement férue de caricature, mais je gardais un souvenir foudroyant d'une série de petits bronzes de l'artiste, vus à Lyon (si je ne m'abuse pas), parfaitement acérés. Et j'avais spécialement envie de me plonger dans ce XIXème flaubertien que j'aime tant!


C'est donc entourés des réminiscences de L'Education Sentimentale, qu'il faudrait décidément relire dans la foulée, que nous découvrons les 160 lithographies exposées dans la galerie Mazarine. Première mise au point, le bonhomme, né en 1808, et mort en 1880, n'a pas connu moins de huit régimes! Et là, c'est le drame. Louis-Philippe, c'est avant ou après Charles X? Les Trois Glorieuses c'est après ou avant les 100 jours? Bein, heu-heu-heureusement, il y a une chronologie à l'entrée.


Ces messieurs de l'hémicycle seraient aujourd'hui accompagnés de quelques dames. A part ça, rappel historique:
- 1815 : les Cent jours, restauration de Louis XVIII. Mais dès 1824, Charles X accède au trône
En 1830, les Quatre ordonnances prononcées par Charles X le 5 juillet, dont l'une soumet la presse à la censure, suscitent une révolte populaire qui aboutit fin juillet à sa chute - les Trois Glorieuses - et à l'accession au trône de Louis-Philippe. Daumier le représente ci-dessous sous les traits de Gargantua, avec la fameuse tête en forme de poire qui reste dans toutes les mémoires d'écoliers (à défaut des dates)!


- 1831 : révolte des canuts lyonnais; en avril 1834, répression de révoltes populaires. 1835 : attentat contre le roi. 1842 : Balzac entame la publication de la Comédie Humaine. 1845 : Baudelaire publie le Salon de 1845 et il y mentionne Balzac
- 1848 : le 24 février, Louis-Philippe est chassé par une révolution. Proclamation de la République; la liberté de la presse est rétablie, mais dès le mois de juin, des insurrections sont réprimées et le 10 décembre, Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la République. La loi du 31 mai 1850 restreint le suffrage universel (déjà réduit aux hommes...) et la loi rédigée par Thiers du 16 juillet réduit la liberté de la presse.


En 1852 la censure est rétablie et le 2 décembre, l'Empire est proclamé. Entre 1853 et 1856, c'est la guerre de Crimée. En 1870, suite à la guerre franco-allemande et à la défaite de Sedan (2 septembre), la république est proclamée alors que sont publiés un mois plus tard les Châtiments. L'armistice est signé en janvier 1871, et deux mois plus tard ce sont les sanglants évènements de la Commune.
Les choses étant à peu près en place, on constate qu'il y a des choses qui vieillissent et d'autres non...

Certains dessins se savourent un peu comme un réquisitoire de Desproges dont on a oublié l'accusé (Georges-Jean Arnaud, qui le connait?) mais dont on savoure les sorties toujours vivantes sur les chauffeurs de taxis ("nan mais r'gardez moi cette ceunnasse!") et les ravissantes petites bourgeoises en mini (ou en smart), ou autres espèces en voie de non-disparition.
Les ressources de la lithographie permettent de traiter de multiples effets graphiques qui font droit à la spontanéité du dessin impitoyable de Daumier. Outre l'esprit acéré de la plupart des dessins de moeurs (et leur misogynie chronique!) on est frappé par la mise en scène très recherchée de chacun, lors même que le caricaturiste dessinait à même la pierre, sans croquis préalable.



On pense avec amusement à la figure de Corot, fidèle ami de Daumier, découvrant cet hommage à la ferveur créatrice des peintres paysagistes.


En clin d'oeil aux orages désirés évoqués à propos du Musée de la Vie romantique, voici le point de vue de Daumier sur les "Sentiments et Passions" de son temps...

Tout le monde en prend pour son grade, les femmes particulièrement, surtout celles qui ont des prétentions libérales et libertaires; la série des bas-bleus, féroce charge contre les femmes écrivains (pauvre George...), les femmes socialistes, les suffragettes...

Il y a aussi les crooners de l'époque. "Femmes, je vous aime!"


Pour finir en beauté, un peu de poésie: Eros (?) et Psyché. Sur ces courbes voluptueuses, je vais rejoindre... euh, Morphée.