A l’Opéra de Nice, La Traviata a sonné comme une célébration du Paris éternel et de l’Amour

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Ce mardi 17 novembre, nous avons pu assister à la dernière représentation de La traviata à l’Opéra de Nice, sous la direction de Philippe Auguin, après que celle de dimanche fut annulée en raison du deuil national de trois jours consécutifs aux actes de barbaries du 13 novembre. A cette occasion, l’orchestre, les solistes, les chœurs et l’équipe technique de l’Opéra ont rendu un vibrant hommage aux disparus en entonnant La marseillaise et en respectant une minute de silence. Dans ce contexte, La traviata, opéra de Giussepe Verdi, sur un livret de Francesco Maria Piave, créée pour la première fois à La Fenice de Venise, le 6 mars 1853, a eu une résonance particulière appelant à la primauté de l’Amour devant tout autres valeurs et rappelant la terrible sanction de lui préférer l’obscurantisme.

Alfredo Germont (Giuseppe Varano), un bourgeois provençal  à Paris, tombe éperdument amoureux, lors d’une soirée privée qu’elle donne, d’une courtisane Violetta Valéry (Cristina Pasaroiu que l’on avait déjà entendu dans Adriana Lecouvreur). Cette dernière se laisse tenter par cet amour véritable et s’installe avec lui. C’est alors que son père Giorgio Germont (Vittorio Vitelli) vient la convaincre d’abandonner son bien-aimé pour ne pas mettre en péril le mariage de sa sœur dont la belle-famille conservatrice voit d’un mauvaise œil l’union d’une catin et d’un bourgeois.

Dans la vision de Pascale-Sabine Chevroton qui a mis en scène l’opéra à Nice, Violetta est présenté comme une chanteuse d’opéra par la mise en abîme du décor. Le premier acte s’ouvre donc sur l’héroïne finissant sa représentation tandis que le public l’ovationne et lui amène des fleurs. Pour fêter son triomphe, elle organise alors la fête où elle rencontrera son âme sœur. Alors qu’Alfredo et Violetta flirte à l’écart de la foule, une fête de style moderne, presque une boite de nuit est mis en scène à l’arrière. Si les costumes de Katharina Gault , de bon aloi, reste simple, ne faisant pas dans l’excentricité, Roy Spahn, pour ses décors, également à l’œuvre pour Peter Grimes, l’année dernière, n’hésite pas à utiliser constamment la profondeur pour lui donner du relief. Ce procédé permet de dépossédé davantage les protagonistes de leur destin dont les ficelles sont tiré dans l’arrière-cour par Giorgio. Utilisant avec sagesse les lumières et l’infographie, cet outil est utilisé avec discernement, donnant lieu à de très beau moment, sublimant les orchestrations magnifiques de Verdi en ouverture du troisième acte et laissant entrevoir le spectacle terrible d’une rose qui se fane. La musique de Verdi, élancée par les vents, soutenu par les cordes et rythmée par les cuivres résonnent en nous comme une célébration du Paris éternelle de la fête et de la candeur.

Si cette rose se fane, outre la terrible maladie qui la cerne et qui la condamne, c’est aussi et surtout à cause de son cœur brisé et de son corps qui ne veut plus suivre, maintenant sans but. La justification de son martyr ne trouve de source que dans l’arriération bourgeoise de son beau-père, véritable manipulateur pervers qui lui donne du sentiment filiale pour mieux s’en débarrasser, qui ne voit pas le problème de la laisser mourir seule, la sachant déjà atteinte par une tuberculose ravageuse. A de nombreuses reprises, le livret évoque le fait que Giorgio est inspiré par Dieu dans sa demande insidieuse. De tout temps, Dieu a servi d’arguments aux puissants et aux violents pour justifier les actes les plus infâmes. Violetta doit mourir pour des idées qui ne sont même pas les siennes. Quelle belle affaire ! Celle-ci est entendue. Il semblerait que les transactions matrimoniales valent mieux que l’Amour. L’obscurantisme religieux rejoint ici le traditionalisme béat de la réaction et unissant ces deux valeurs mortifères met un terme éprouvant au plus noble des sentiments humains. Il y a dans La traviata, une condamnation sans équivoque des raisons du drame, Giorgio croulant lui-même sous les remords et la foule apostrophant Alfredo lorsque celui-ci, désespéré, se laisse aller à la goujaterie.

Novateur, le caractère intimiste, débarrassé de la pesanteur des dieux et du destin, ramené à sa dimension humaine, ce qui ne le rends pas moins dramatique, avait dérouté le public de la Fenice lors de la création de La traviata. De nos jours, le sous-texte de cette œuvre majeure et majestueuse, nous apparaît plus nécessaire et limpide que jamais. Impossible de ne pas faire un lien avec les moments difficiles que nous traversons lorsque tel Giorgio Germont, les fous de Dieu instrumentalise leur foi pour de plus sombres dessein, foulant au pied ce qui fait la beauté de notre humanité, ce qui devrait toujours être le seule guide de notre conscience, un amour éclairé aussi bien par le cœur que par l’esprit.

Boeringer Rémy