Devils Line : les mangas de vampires ont encore de l’avenir !

Publié le 21 novembre 2015 par Paoru

L’amour et les vampires : c’est le genre de combo qui, a force d’être lu à toutes les sauces, bonnes et moins bonnes, aurait plus tendance à me faire déguerpir qu’à capter mon attention. Ainsi, quand fin septembre j’ouvre l’épreuve du premier tome de Devils Line, je finis le premier chapitre avec un a priori plutôt négatif : en plus de quelques écueils graphiques se profile un amour impossible entre un vampire et une jeune femme fragile, un topo mille fois rencontré. Néanmoins… l’héroïne pas trop cruche, l’humour, les personnages secondaires, l’ambiance assez sombre et la relation amoureuse franche et directe fait que je finis le tome 1 avec un point d’interrogation, avec le bénéfice du doute. Or Kana a eu l’excellente idée de sortir les deux premiers tomes pour lancer sa série. C’est ainsi que, le 16 octobre dernier, le second tome finissait sur le bureau du chocobo. Et là… On en vient à cette chronique parce qu’il y a beaucoup plus à dire !

Avant de vous plonger dans le cœur du sujet, finissons les présentations  : Devils Line est un seinen signé par Ryo HANADA, un inconnu au bataillon. Au dessin et scénario, le mangaka publie ce qui ressemble assez à une première oeuvre dans un magazine qui a toujours toute mon attention : le Gekkan Morning 2 de Kodansha (image ci-dessous), qui contient Kokkoku, Les vacances de Jésus & Bouddha et Moyasimon. De quoi y jeter un œil, rien que pour ça. A ce jour cinq tomes sont parus et la série est toujours en cours.

Mais quelque soit sa jeunesse Devils Line, avec sa phrase d’accroche ambiguë et mystérieuse, « Le démon est humain, L’homme est démon« , serait-il plus complexe et mature que ce à quoi il ressemble, au premier feuilletage ? Le manga de vampire a encore des choses à dire ? Mais tant mieux mon bon monsieur, regardons ça de plus près !!!

L’amour ne connait pas le sang froid…

Tsukasa, jeune femme sans soucis à la vie banale découvre du jour au lendemain que les pages à sensation de certains magazines ne racontent pas que des âneries : les vampires existent bel et bien, se cachant parmi nous et vivant une double-vie, mais ne pouvant pas réprimer leur envie de sang. Pour Tsukasa c’est une découverte qui aurait pu lui coûter cher, car l’un de ses amis de fac s’apprêtait à faire d’elle son prochain repas. Heureusement un jeune homme en charge de surveiller les vampires, Anzai, intervient in extremis pour neutraliser son camarade… en réalité un tueur en série qui se défoulait sur autrui pour pouvoir se contenir face à Tsukasa.

Le soucis est que Anzai, lui aussi, n’est pas vraiment un adulte ordinaire : mi-humain, mi-vampire, il fait partie d’une unité spéciale de la police, l’unité 5, chargée de veiller sur les vampires et leurs… « débordements ». Ces créatures ont beau s’être intégrées dans notre société, allant jusqu’à épouser des humains, elles restent malheureusement incapables de se contenir à la vue de la moindre goutte de sang : leurs yeux changent alors de couleur et elles dévorent tout ce qui bouge. Seul l’injection d’un tranquillisant semble capable de les refréner pendant un petit moment. Et Anzai a beau être semi-humain, la blessure de Tsukasa à la commissure des lèvres lui fait perdre à lui aussi la raison, un court instant : le temps d’embrasser passionnément la jeune fille… puis de la quitter précipitamment, totalement embarrassé.

Mais Tsukasa ne semble pas le moins du monde embêtée par l’animal qu’elle a entraperçu et elle est davantage touchée et préoccupée par la solitude d’Anzai que par les risques qu’elle prend en fréquentant ce semi-vampire. Leur histoire compliquée semble donc sur le point de commencer, mais les vampires, tout comme l’unité spéciale, vont avoir d’autres chats à fouetter. Une organisation secrète, au courant pour les vampires et pleine de haine à leur égard, prépare depuis longtemps un coup d’éclat… qui pourrait bien tout changer.

Love at first bite…

Tout commence donc avec une romance, jeune femme d’un coté, homme vampire ou presque de l’autre. Je vous avais prévenu, sur le papier rien ne semble bien nouveau ni forcément attractif. Heureusement l’approche seinen sauve rapidement le tout, même la love story. Comme je l’évoquais en intro, l’ambiance est davantage sombre que glamour, donc pas de beau vampire semi-nu et aguicheur qui se joue de l’innocence d’une jeune lycéenne « en quête d’un amour extraordinaire et de nouvelles sensations – oh mais non, il ne faut pas, voyons ! – dans son corps qui change« . On prend un postulat fantastico-romantique assez différent ici. Les vampires sont des gens assez lambda, tant qu’on ne discute pas hémoglobine comparée bien sûr, et leur allure est assez commune. Ils ont même une durée de vie plutôt courte, aux alentours de 39 ans, et sont voués à des histoires d’amour qui se finissent mal, revenant à eux après avoir vidé leur bien-aimé(e) de leur sang. Pas vraiment de super-pouvoirs – ils plus costauds et agiles que la moyenne mais c’est tout – donc pas de fantasme twilightien : la vie de vampire tient vraiment plus du cauchemar.

Seinen toujours, la folie sanguine a tendance à éveiller la libido en même temps que la soif, donc dans Devils Line le sexe est très rapidement mis sur le tapis (sans regorger de scènes X pour autant). Même si ce n’est qu’en rêve pour le moment, Tsukasa et Anzai ont bien envie de s’adonner à la passion des corps, comme dans toutes relations adultes normales vous me direz. Pas besoin de 10 tomes avant de se rouler une pelle, problème réglé dès le premier chapitre, et on peut penser que le reste suivra. La relation entre nos deux personnages principaux est intense dès le départ, grâce à une certaine honnêteté dans les sentiments, loin de la dramaturgie collégienne du « je-t’aime-moi-non-plus » ou des quiproquos improbables. Si tout ça avance donc à une vitesse des plus sympathique c’est aussi parce que le récit a d’autres choses sur le feu, et la romance peut aisément passer au second plan.

Who’s bad ?

C’est sur ces premières rencontres qu’arrive le second volume. Le premier tome s’achève en plein combat entre une tueuse de vampire et Anzai, mal en point, qui est sauvé in extremis par un dénommé Hans Ri (qui fait la couverture du tome 3, ci-contre). Aussi désinvolte que puissant et très bien informé sur la condition vampire ce dernier est, comme Anzai, un autre hybride humain-vampire. Le combat avec la tueuse de vampire dégénère et Tsukasa passe à un cheveu de se faire découper par un Anzai possédé et fou, mais le fameux Hans Ri parvient à calmer le jeu. Néanmoins la relation entre nos deux amoureux est clairement mise sur pause car Anzai refuse de mettre son étudiante bien aimée en péril une fois de plus. Une occasion en or pour découvrir le fameux Hans Ri puis de savoir ce qui se trame derrière l’humaine qui a voulu les tuer tous les deux. Car elle n’est qu’un pion au service de gens bien plus dangereux.

On apprend d’abord pas mal de choses sur la morphologie des vampires et leur lien si particulier avec le sang humain, puis sur les protagonistes de la section 5 que nous avions découvert en surface dans le premier volume. D’une redoutable intelligence qui va de pair avec une moralité pragmatique, Hans Ri nous explique tout ceci – à Tsukasa en réalité, mais à nous aussi, donc – tout en s’amusant et en nous amusant de la relation amoureuse entre elle et notre gardien de la paix vampirique. Pendant ce temps ce dernier est mis de côté, en congé en quelque sorte. On passe, en fait, d’un protagoniste à l’autre dans ces deux premiers volumes, en changeant régulièrement de point de vue et d’ambiance : la romance, les enquêtes autour des meurtres, les affrontements entre les vampires ou avec leurs ennemis humains… Une histoire riche mais qui s’équilibre à merveille et garde très bien sa cohérence.

Après cette pause qui étoffe donc l’univers de Devils Line, la phase suivante est encore plus passionnante car elle dévoile les vrais salauds de l’histoire, du côté des humains, ainsi que leur plan fort bien ficelé pour partir en guerre contre les buveurs de sang. Ils font preuve d’une cruauté digne des plus beaux psychopathes et mettent en exergue la problématique posée par Hans Ri au début du tome 2 : qu’est-ce qui nous dit que quelqu’un est un monstre à cause de sa condition de vampire… il y a des malades partout donc pourquoi cette nature en serait de facto la cause ?

   

Entre des vampires qui tentent de vivre avec leur instinct et de se surveiller les uns les autres et des humains qui veulent les éradiquer quelques soient les moyens employés, qui est vraiment le démon au final ?

Voilà donc comment se pose l’intrigue assez riche de The Devils Line, qui pose pas mal de bonnes choses dans ses deux premiers volumes. L’écueil, car il y en a bien un, reste le graphisme : du chara-design balbutiant aux décors presque absents, on sent que Ryo HANADA débute, clairement, et c’est une des raisons qui m’avait fait faire la moue sur le premier chapitre : « c’est pas très original ni très joli dis donc !« 

Heureusement, l’auteur y travaille et progresse – les doubles pages du tome 2 sont assez chouettes d’ailleurs – et il montre quelques aptitudes intéressantes dans toutes les phases d’actions : bonne chorégraphie, ampleurs et puissance des mouvements ou des impacts sont bien suggérés. Les regards et les expressions passent également bien les messages et les émotions, quitte à forcer le trait parfois mais on s’y habitue, et les moments complices et humoristiques sont très bien rendus avec quelques bonnes bouilles et des têtes en SD qui font sourire.

 

C’est donc loin d’être parfait, mais on a l’impression de voir un jeune mangaka éclore grâce à une chouette histoire, riche et bien narrée. On a finalement envie de le suivre, de voir où il nous emmène. Un coup de cœur en somme !

Fiche descriptive

Titre : Devils Line
Auteur : Ryo HANADA
Date de parution du dernier tome : 16 octobre 2015
Éditeurs fr/jp : Kana / Kodansha
Nombre de pages : 224 n&b
Prix de vente : 7.45 €
Nombre de volumes : 2/5 (en cours)

Visuels : DEVILSLINE © Ryo Hanada / Kodansha Ltd.

Pour en savoir plus vous pouvez suivre l’auteur sur son compte Twitter ou vous rendre sur son site internet ou vous trouverez notamment un diagramme des relations entre personnage, qui montre bien la toile complexe que HANADA est en train de tisser :