Le masque est lui-même masqué. Il a perdu son sens premier occulté par la superposition des significations, un sens primordial qui renvoie à la " ritologie ", au théâtre et à l'identité, au rapport de soi et de l'autre. Il faut donc " démasquer les masques " pour retrouver ce sens.
On établit également des classifications d'inspiration esthétique, distinguant un art réaliste (comme la majorité des masques du Zaïre) et un art abstrait (comme les masques Bambara et, en général, les masques des cultures proches du désert), une inspiration " cubiste " en Afrique et " surréaliste " en Mélanésie, des modèles anthropomorphes ou zoomorphes sans perdre de vue les formes qui ne sont ni d'un côté ni de l'autre ou celles qui, comme chez les Inuït, unissent l'une et l'autre. On arrive même, non sans négliger de nombreuses exceptions, à répartir sur chaque aire des caractéristiques précises : le " baroque " au Nord-Ouest de l'Amérique, le " gigantisme " en Océanie, le " naturisme " en Afrique.
D'autres classifications s'en tiennent à une répartition géographique. On relève aussitôt le lien particulier du masque avec l'ancêtre en Mélanésie, avec le pouvoir en Afrique, avec les esprits en Amérique du Nord; et encore les masques sans visage en Océanie et en Amazonie, ou avec le visage en Afrique et en Amérique. Mais cette association d'une répartition géographique à une analyse thématique ne rend pas assez compte des caractères communs à tous les masques. A trop les cloisonner dans une culture, une région ou un contenu, on perd de vue qu'ils participent à l'ordre symbolique signifiants disponibles à maints contenus successifs ou signification offerte à plusieurs formes différentes.
Plus sociologique, la répartition des masques selon leur fonction sociale, leur rôle dans l'initiation ou dans les funérailles (tantôt sur le visage du défunt, tantôt sur celui des survivants), dans la police du village ou les sociétés secrètes, dans la médecine des corps ou les rites de fécondité, dans les divertissements ou les ordalies .
Peut on à partir, de cette classification sommaire, de cette histoire du masque, dégager certaines caractéristiques anthropologiques propres à tous les masques ?
Une des meilleures définitions du masque dans les sociétés traditionnelles est sans doute celle de W. Fagg a propos du masque africain : " . " Tous les objets auxquels le nom de " masque " doit être attribué peuvent se définir en deux mots : ils masquent. Cela signifie qu'ils cachent voire occultent l'identité
On peut à partir, de la définition précédente, dégager différentes caractéristiques anthropologiques.
--D'abord le sens " populaire " entrainant avec lui avec une connotation péjorative et dubitative nous dit, comme exprimé plus haut que le masque dissimule qu'on est dans le déguisement, le maquillage, le travestissement mais aussi qu'on en est pas dupe. Dans
L'étymologie du mot véhicule d'ailleurs tout ce sens dans son imprécision même : Il pourrait dériver du latin masca signifiant " sorcière " ou de mascarare, " se noircir le visage " ; à moins qu'il ne vienne de l'espagnol mascara, lui-même emprunté à l'arabe mask-hera, qui désigne le bouffon. Il est intéressant de rappeler,et on y reviendra, qu'en latin le masque de l'acteur est désigné par le terme " persona ", qui a donné " personne " en français. À l'origine liturgique puis théâtral, le " masque " en est rapidement venu, dès l'Antiquité, à prendre le sens de rôle qu'il faut tenir afin de pouvoir vivre en société.
Dans beaucoup de sociétés antiques, chez les Egyptiens, les Grecs, (on a cru retrouver à Mycènes le masque d'or d'Agamemnon) et les Etrusques on pensait que l'âme ne quittait pas le corps mais continuait à vivre obscurément dans la tombe ; plus tard on admit qu'elle se rendait aux Enfers afin d'y subir sa peine ou s'y relever pour expiation. Ainsi s'explique la présence des divinités infernales reproduites sur beaucoup de peintures ou de bas-reliefs funéraires.
Pour préserver l'ombre de l'anéantissement, on multipliait dans la tombe les portraits du mort ; on trouvait aussi des figures sculptées ou moulées sur les. couvercles des sarcophages ; en outre on a découvert des masques funéraires sur des urnes primitives, ou plus exactement sur des canopes, à savoir des vases funéraires égyptiens ou étrusques, munis d'un couvercle représentant une figure humaine et qui servaient à enfermer les viscères des morts une fois embaumés.
Dans maintes sociétés traditionnelles la mort est conçue comme passage vers un autre état, l'ancestralisation : ce passage doit être réussi sous peine de voir revenir l'âme ou l'ombre redoutées du défunt ,d'où des rites et des masques.
Pour lever les tabous, un premier masque apparaît. Il parcourt le village pour signifier la fin des interdits. Ensuite, un autre masque plus important accomplit une danse qui lève les tabous dans l'enclos cérémoniel.
Les masques utilisés pour la levée des tabous sont lourds et souvent très élaborés. Ils se reconnaissent aux planches, ou ailes, qu'ils portent à la place des oreilles. D'autres masques les accompagnent dans leur réparation de la société : les masques Ges, qui transmettent les biens du mort aux vivants. Par l'action de ces deux masques Malagan, le clan surmonte la mort.
--Le masque non seulement a un pouvoir de dissimulation, de lien avec la mort mais liée aux deux fonctions précédentes, un pouvoir de transcendance, de métamorphose, de transformation, changement d'une forme en une autre. Comme l'a écrit Jean-Pierre Vernant " porter un masque, c'est cesser d'être soi et incarner, le temps de la mascarade, la Puissance de l'Au-delà qui s'est emparée de vous, dont vous mimez tout ensemble la face, la gesture et la voix. " Le masque est donc dans beaucoup de cultures instrument de possession, d'envoutement. Telle était la fonction du sphinx égyptien du plateau de Gisey qui selon Georges Buraud dans son étude sur les masques, constituait le premier d'entre eux. Son visage énigmatique guettait et attendait le soleil tourné vers le Nil pour le ramener sur terre.il avait aussi une fonction d'envoutement de qui le regardait.
la sortie des masques dans l'Afrique traditionnelle,elle est l'apparition ,la présence d'une puissance supérieure venu d'un ailleurs , elle intervient dans l'initiation et manifeste le pouvoir ou la justice sociale mais reste en même temps un spectacle divertissant : ainsi les maques dogons n'étaient pas que l'incarnation des mythes mais aussi la dérision envers l'étranger , le touriste ou le colon.(du moins tant qu'ils n'ont pas voulu ressembler à ce que voulaient le tourisme)
" Un des mystères principaux de l'ethnographie réside manifestement dans l'emploi général des masques dans les sociétés primitives. Une extrême et religieuse importance est partout attachée à ces instruments de métamorphose. Ils apparaissent dans la fête, interrègne de vertige d'effervescence et de fluidité, où tout ce qu'il y a d'ordre dans le monde est passagèrement aboli pour en ressortir revivifié. Les masques, toujours fabriqués en secret et, après usage, détruits ou cachés, transforment les officiants en Dieux, en Esprits, en Animaux-Ancêtres, en toutes sortes de forces surnaturelles terrifiantes et fécondantes.
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A l'occasion d'un vacarme et d'un brouhaha sans limite, qui se nourrissent d'eux-mêmes et qui tirent leur valeur de leur démesure, l'action des masques est censée revigorer, rajeunir, ressusciter à la fois la nature et la société. L'irruption de ces fantômes est celle des puissances que l'homme redoute et sur lesquelles il ne se sent pas de prise. Il incarne alors, temporairement, les puissances effrayantes, il les mime, il s'identifie à elles, et bientôt aliéné, en proie au délire, il se croit véritablement le dieu dont il s'est d'abord appliqué à prendre l'apparence au moyen d'un déguise-, ment savant ou puéril. La situation est retournée: c'est lui qui fait peur, c'est lui la puissance terrible et inhumaine. Il lui a suffi de mettre sur son visage le masque qu'il a lui-même fabriqué, de revêtir le costume qu'il a cousu à la ressemblance supposée de l'être de sa révérence et de sa crainte, de produire le vrombissement inconcevable à l'aide de l'instrument secret, du rhombe, dont il a appris,seulement depuis l'initiation, l'existence, l'aspect, le maniement et la fonction. Il ne le connaît inoffensif, familier, tout humain, que depuis qu'il l'a entre ses mains et qu'il s'en sert à son tour pour épouvanter. C'est ici la victoire de la feinte: la simulation aboutit à une possession qui, elle, n'est pas simulée. Après le délire et la frénésie qu'elle provoque, l'acteur émerge de nouveau à la conscience dans un état d'hébétude et d'épuisement qui ne lui laisse qu'un souvenir confus, ébloui, de ce qui s'est passé en lui, sans lui.... "
" Le groupe est complice de ce haut mal, de ces convulsions sacrées. Lors de la fête, la danse, la cérémonie, la mimique ne sont qu'une entrée en matière. Le prélude inaugure une excitation qui, ensuite, ne sait que grandir. Le vertige se substitue alors au simulacre. Comme en avertit la Cabbale, à jouer au fantôme, on le devient. Sous peine de mort, les enfants, les femmes ne doivent pas assister à la confection des masques, des déguisements rituels et des divers engins qui sont ensuite utilisés pour les terrifier. Mais comment ne sauraient-ils pas qu'il n'y a là que mascarade et fantasmagorie où se dissimulent leurs propres parents? Ils s'y prêtent pourtant, car la règle sociale consiste à s'y prêter. En outre, ils s'y prêtent sincèrement, car ils imaginent,
comme d'ailleurs les officiants eux-mêmes, que ces derniers sont transformés, possédés, en proie aux puissances qui les habitent. Pour pouvoir s'abandonner à des esprits qui existent seulement dans leur croyance et pour en éprouver soudain la saisie brutale, les interprètes doivent les appeler, les susciter, se pousser eux-mêmes à la débâcle finale qui permet l'intrusion insolite. A cette fin, ils usent de mille artifices dont aucun ne leur paraît suspect: jeûne, drogues, hypnose, musique monotone ou stridente, tintamarre, paroxysmes de bruit et d'agitation; ivresses, clameurs et saccades conjuguées.
La fête, la dilapidation des biens accumulés durant un long intermède, le dérèglement devenu règle, toutes normes inversées par la présence contagieuse des masques, font du vertige partagé le point culminant et le lien de l'existence collective. Il apparaît comme le fondement dernier d'une société au demeurant peu consistante. Il renforce une cohérence fragile qui, morne et de peu de portée, se maintiendrait difficilement s'il n'y avait cette explosion périodique qui rapproche, rassemble et fait communier des individus absorbés, le reste du temps, par leurs préoccupations domestiques et par des soucis quasi exclusivement privés.
Roger Caillois Le Masque Et Le Vertige Dans Les Jeux Et Les Hommes .Folio
P
Son masque était sombre et terrifiant. Il comprenait trois parties : une figure, une coiffure et un habillage. La figure est toujours sculptée dans du bois, avec un grand nez crochu. Généralement quelques dents étaient cassées car le porteur a ses yeux placés à la hauteur de la bouche du masque. La coiffure était constituée d'une énorme chevelure faite de cheveux des deuilleurs : des hommes ayant veillé un parent mort jusqu'à la décomposition complète du cadavre, puis ayant porté dans la forêt sa dépouille squelettique .La chevelure des deuilleurs était tenue abritée sous un grand turban ovoïde qu'ils ne devaient quitter que deux ou trois années plus tard, lors d'une cérémonie officielle où leur longue chevelure était coupée puis conservée. Ces mèches crépues étaient ultérieurement mises en valeur sur un dôme de lianes entrelacées, le dôme du masque. Peut-être figurent-elles là comme la trame d'une pensée où s'entrelaçait la vie et la mort
On pourrait enfin citer citons les masques indiens , représentant des ancêtres divinisés et évoquant les divinités correspondantes. Ces masques étaient et sont encore l'objet d'un culte spécial qui, s'il n'était pas respecté, attirerait la vengeance des ancêtres. Et ' même le porteur encourrait, selon la tradition, un péril mortel s'il n'avait, par une préparation bien déterminée, atteint la pureté d'âme nécessaire au port du masque de la divinité incarnée.
--Enfin la masque , dès l'antiquité gréco-romaine, eut à voir avec la personne , avec ce qui fait l'identité humaine :
. De visage,
On ne trouve pourtant aux époques archaïque et classique ni dans le monde latin aucun concept de personne - si l'on cherche par là un équivalent à la notion d'un être humain singulier, conscient de soi, défini par la conscience de sa singularité et de son unicité, et autonome. Là où le moderne parle de personne, le grec parle d'être humain ( anthrôpos en grec et homo en latin). Il semble donc qu'il n'y ait pas place en Grèce ancienne pour un débat qui sépare être humain et personne ; que l'idée de personne ait une histoire, est un thème éminemment " moderne ". dans les Sciences sociales par exemple, Marcel Mauss a largement contribué à défaire le présupposé que l'idée de personne était " naturelle " ou " innée ", fond de la conscience " de " tout le monde " et d'entrée tout équipée de la morale qui s'en déduit " .Il nous a engagé dans une vue plus précise de son histoire. Selon les catégorie de marcel Mauss le masque est un fait social ,on pourrait dire , un fait social total avec tout ce qu'on peut classer avec lui : les peintures corporelles, les costumes, le maquillage.il ne saurait plus être étudié sans se référer à l'identité de l'être humain et à l'histoire de celle-ci.
"
Voici comment, avec quelque hardiesse, je puis me figurer cette histoire. Il semble bien que le sens originel du mot soit exclusivement " masque ". Naturellement, l'explication des étymologistes latins, persona venant de per/sonare, le masque à travers (per) lequel résonne la voix (de l'acteur) est inventée après coup. (Bien qu'on distingue entre persona et persona muta, le personnage muet du drame et de la pantomine). En réalité, le mot ne semble même pas de bonne souche latine ; on le croit d'origine étrusque, comme d'autres noms en na) le comparent à un mot mal transmis farsu. M. Benveniste me dit qu'il se peut qu'il vienne d'un emprunt fait par les Étrusques au grec [...] (perso). Toujours est-il que matériellement même l'institution des masques, et en particulier des masques d'ancêtres semble avoir eu pour foyer principal l'Étrurie.
Mais si ce ne sont pas les Latins qui ont inventé le mot et les institutions, ce sont du moins eux qui lui ont donné le sens primitif qui est devenu le nôtre. Voici le processus.
D'une simple mascarade au masque, d'un personnage à une personne, à un nom, à un individu, de celui-ci à un être d'une valeur métaphysique et morale, d'une conscience morale à un être sacré, de celui-ci à une forme fondamentale de la pensée et de l'action, le parcours est accompli. Qui sait ce que seront encore les progrès de l'Entendement sur ce point ? Quelles lumières projetteront sur ces récents problèmes la psychologie et la sociologie, déjà avancées, mais qu'il faut promouvoir encore mieux. ". ( C 'est moi qui souligne!)
Mais aussi ne spéculons pas trop. Disons que l'anthropologie sociale, la sociologie, l'histoire, nous apprennent à voir comment la pensée humaine " chemine " (Meyerson) ; elle arrive lentement, à travers les temps, les sociétés, leurs contacts, leurs changements, par les voies en apparence les plus hasardeuses, à s'articuler. Et travaillons à montrer comment il faut prendre conscience de nous-mêmes, pour la perfectionner, pour l'articuler encore mieux "
. MARCEL MAUSS. UNE CATEGORIE DE L'ESPRIT HUMAIN : LA NOTION DE PERSONNE,CELLE DE MOI.