Je suis mort hier, Patrick Jaulent

Par Marieaimee19
"Ne pleure pas parce que c'est fini, mais parce que c'est arrivé" Dr Seuss, auteur et illustrateur américain pour la jeunesse.

Patrick Jaulent est docteur en électronique, diplômé de l'université de Stanford, enseignant, consultant et conférencier international. Il est un expert en stratégie et en cyber-sécurité. Il a longtemps demeuré aux Etats-Unis où les personnages de Je suis mort hier évoluent dans une écriture influencée par sa passion et la sagesse du Taekwondo.
A partir de l'arrivée du docteur John John au UCSF Medical Center où sa soeur, Caroline Galveston, est plongée dans le coma artificiel, le lecteur pénètre peu à peu les secrets de la famille Carlson retranchée dans une luxueuse villa à Pacific Palisades, un quartier chic de Los Angeles. John, le père, est docteur en chirurgie esthétique dans sa clinique privée. C'est un bel homme d'une quarantaine d'années, séducteur et drôle, joueur de golf, admirateur inconditionnel des Kennedy. Elisabeth, la mère, est un ancien mannequin dont le visage a été brulé après un terrible accident domestique. Elle est obsédée par son poids et impose une abstinence monastique à son mari (ils font chambre à part, ce qui explique l'infidélité de John). John John (JJ), le fils ainé, est un étudiant en médecine tandis que Caroline, sa soeur, travaille officiellement dans la mode (elle est en fait strip-teaseuse au Viper Room, la boite de nuit branchée du tout Hollywood). Quant à Yin et Yang, les deux bouledogues, ils ne font qu'aboyer et se prélasser au soleil (la couleur noire et blanche permet de différencier le mâle et la femelle).
Le jour où le "dispatcheur" (prénommé Charles) annonce à John, le véritable héros du roman, ses dernières heures, celui-ci ne veut plus perdre une seule seconde. Il prend conscience qu'il a raté sa vie (sa femme vient de le quitter) et souhaite racheter ses fautes. Charles lui fait alors franchir le sas : un faisceau de lumières qui transporte les âmes (la vie sur terre est un examen de passage qui oriente la décision de dispatcher les âmes à la sortie du sas vers un autre univers). John rend d'abord visite à sa mère, Jessie, une ancienne prostituée qui vit dans un immeuble insalubre de Skid Row ("le quartier de Los Angeles tristement célèbre par sa renommée de capitale américaine des sans-abris"). Il ne l'a pas vue depuis dix ans. C'est l'occasion de lui déclarer son amour et lui pardonner son enfance meurtrie (elle ne lui a jamais manifesté de tendresse et a été infidèle au père devenu alcoolique). Il discute ensuite avec sa fille Caroline dont il regrette de ne pas avoir été assez proche, privilégiant les études de son fils JJ à qui il lègue sa clinique.
Que s'est-il "réellement" passé après la mort de John dans un accident de voiture ? Il a rejoint Tempora à la sortie du sas (un univers parallèle à la terre où la flèche du temps est inversée : il s'écoule du futur vers le passé). Il est devenu John le dispatcheur pour annoncer à sa fille Caroline son dernier jour sur terre. Elle reçoit la visite de son frère JJ à l'hôpital (retour à la scène inaugurale) où elle meurt sous assistance respiratoire. JJ voit alors son père accompagné de son premier amour Laurence (les deux fantômes lui apparaissent sous forme d'hologrammes).
Ce roman français - mais tellement américain ! - moderne et très original se situe à mi-chemin entre la science fiction et le roman ésotérique. Il délivre en filigrane, via une intrigue complexe qui tient le lecteur en haleine, une critique plutôt drôle de la bulle hollywoodienne et de sa superficialité. Si vous vous questionnez quant à l'existence d'une autre vie après la mort, ce livre vous accompagnera avec la bienveillance d'un être cher vers un monde meilleur : "Et vous cher lecteur, n'avez-vous pas imaginé, rêvé et, parfois même, planifié votre fin sur terre ou celle d'un proche ? Etes-vous certain qu'il n'y a pas un dispatcheur qui vous attend dans le SAS ? Et si c'était vos dernières vingt-quatre heures sur terre, feriez-vous ce que vous vous apprêtiez à faire aujourd'hui ?" (référence au discours de Steve Jobs à l'Université de Stanford le 12 juin 2005).

Le chanteur Johnny Cash sur le mur du Viper Room, photographie de David Flores. Le bar est réputé pour son atmosphère érotique et ses soirées à thèmes intitulées M. Moo's Adventure, d'après le nom du chien de Johnny Depp à qui appartiennent les lieux (Les Vipers est le nom de la bande de copains musiciens de l'acteur).


Le tic-tac de l'horloge est omniprésent tout au long du roman


La montre de John (modèle Apple Watch) affiche le temps restant avant son passage dans le sas : "Pour certains, l'horloge est un concept développé pour appréhender les changements du monde où pourtant les pendules ne sonnent pas à la même heure ! D'autres pensent que nous sommes tous reliés par l'horloge du temps qui s'écoule, tel un sablier qui se vide, mais pour les privilégiés, les lois du cosmos offrent l'opportunité de poursuivre le voyage sur un autre univers." Franchir le sas, c'est accéder à une possible rédemption, se perfectionner, apprendre à s'aimer et à aimer l'autre, découvrir des mondes parallèles complexes et obscurs.

Série Lost Angels, photographie de Lee Jeffries
Cet artiste vit à Manchester au Royaune-Uni et a rencontré 
un grand nombre de sans-abris aux Etats-Unis.


Dans le roman, Charles se présentera sous le nom de Dany, un ancien sans-abri qui mendiait sur les trottoirs du Bronx (quartier de New York) lorsqu'il a choisi de sauver l'âme de John. Il fait partie du gouvernement cosmique et gère le passage du sas : "Ma mission consiste à restituer ce que j'ai reçu en tant que privilégié en suivant les âmes mises à l'épreuve comme la tienne."

Le héros de Patrick Jaulent m'a beaucoup fait penser 
à la nouvelle de F. Scott Fitzgerald, publiée en 1922, dans laquelle 
Benjamin Button naît à 80 ans et vit sa vie à l'envers, 
sans pouvoir arrêter le cours du temps.


Autoportrait de Christian Hopkins, jeune photographe étudiant à Philadelphie
(il a posté des clichés de sa dépression sur le site Flickr afin de combattre 
la maladie). Cette photo pourrait figurer en couverture de Je suis mort hier 
pour illustrer le départ de John, enveloppé dans un linceul qui lui donne des ailes, 
vers l'autre monde et sa transformation symbolique en ange gardien.