Le Baron, de Daniel Abimi

Publié le 26 novembre 2015 par Francisrichard @francisrichard

Naître un 25 décembre, le même jour que le petit Jésus, n'est pas un cadeau de Noël - Laurent Anken le sait, qui est né ce jour-là, en 1947 - mais c'est un bon début pour commencer le récit d'une vie de légende.

Laurent, dit Le Baron, est en effet un personnage de légende, ou de roman, si l'on préfère. Qui n'aime pas trop parler de lui. Alors il revient à un romancier, Daniel Abimi, de lui donner la parole, qu'il n'a d'ailleurs pas dans sa poche. Car il l'a frontale, une marque de fabrique, dès le plus jeune âge.

Laurent est émoulu d'un vrai melting-pot, c'est-à-dire un de ces vieux pots des familles dans lesquels on fait les meilleurs hommes, solides, tenaces, entreprenants, survivant aux vicissitudes, aimant réellement les autres: "Faut jamais juger, on est bien assez jugé comme ça. Mais juste essayer de comprendre."

Ses origines sont paysannes et lettrées du côté de sa mère: un grand-père qui appartenait à la bourgeoisie de campagne, officier supérieur qui avait fait partie de l'état-major du Général Guisan, et une grand-mère, la Marquise, qui appartenait à la grande bourgeoisie, "un mélange de bouse et de lettres", en quelque sorte.

Du côté de son père, sa grand-mère a travaillé dès quatorze ans dans les mines du Val de Travers... et est morte à huitante-deux, issue donc d'une famille de gens simples, mais qui bossent. Son grand-père a construit la maison de famille, une villa au milieu des vignes.

Ses parents sont gens de la terre. Son père a donc une vigne. Sa mère s'occupe du potager. Ils habitent Lussy-sur-Morges, un village de deux cents âmes, où Laurent est né. Il sera toujours un terrien, même quand il créera sa légende citadine à Lausanne:

"Je me suis fait un personnage, j'ai créé le Baron. La canne, le monocle, le noeud, tout en noir. Je m'étais même inventé un arbre généalogique de sang bleu, le titre qui va avec et un château quelque part en France."

Dans ce récit, le Baron parle à la première personne. Le style est parlé, débarrassé pourtant des scories de tout récit oral. Daniel Abimi s'est livré là à un formidable travail d'écriture, parce qu'en le lisant, sans même connaître le timbre de voix du Baron, on croit l'entendre et on en est tout impressionné.

Le Baron raconte ses années d'apprentissage professionnel, humain et sexuel.

Il n'a jamais été solidement hétéro. Il ne l'est qu'un tiers de sa vie (il n'a pas vraiment conscience qu'en réalité il est bi). Il est homo les deux tiers suivant:

"Aujourd'hui, ça passe, mais seulement un peu, ça ne passe pas encore complètement. Alors, imagine de notre temps.

Cela dit, ce n'est pas tout à fait vrai non plus. Aujourd'hui, les gens ont plutôt peur qu'on puisse penser que ça ne passe pas... Si tu n'es pas tolérant, on va te juger. Mais cela ne veut pas dire que tu tolères vraiment."

Le Baron gâche sa vie privée, mais pas sa vie professionnelle, même si elle a des hauts et des bas.

Les hauts, ce sont, à Lausanne, La Brochette, un restaurant qu'il ouvre en 1971, au chemin de Chandieu - il aime manger et boire -, et, surtout, dans la rue Etraz, Le Johnnie's, une discothèque, qu'il dirige pendant une dizaine d'années à partir de 1976:

"Le Johnnie's, un monde de cohabitation. Un monde ultra-riche, un monde moyennement riche et puis, pas des pauvres, mais des gens qui venaient chercher quelque chose..."

Un monde ultra-riche? "Les grands patrons venaient chez moi. Ils savaient pourquoi. La discrétion. Notre maître mot."

Les bas, c'est "une longue, très longue traversée du désert" après la fermeture du Johnnie's...

Les années tranquilles, ce sont les dernières années d'activité, au Montmartre, puis au Club des Amis...

Le Baron aura connu le pouvoir et sa solitude absolue, mais aussi ses compensations: "Quand tu commences à gravir l'échelle sociale, t'as aussi plus d'échappatoires. Tout d'un coup, j'ai découvert la liberté..."

Le Baron "adore la peinture, la porcelaine, les tissus, l'art sous toutes ses formes" et, si la laideur lui fait peur, "la beauté c'est autre chose... Chacun ses goûts. Mais quand la beauté est aussi belle, je pense qu'on peut se mettre d'accord. Que ce soit une cathédrale, une femme, une peinture ou un homme".

La famille du Baron lui a appris le partage: "Une fois que tu as compris ça, tu n'as plus de souci, tu n'es plus jaloux. Une fois que c'est enraciné en toi, c'est planté, c'est bon...". Et il partage aussi dans le boulot: "J'ai toujours partagé parce que c'était plus fort que moi. Mais aussi parce que je savais que tu n'as rien sans donner. C'est bon pour les affaires.

Le Baron est bien un personnage raffiné sous sa carapace, un homme attachant, aux multiples facettes. Il en dévoile bien d'autres dans ce livre foisonnant. On a bien du mal à le croire quand il dit:

"Je me suis gentiment retiré dans mon appartement de Pully. Une pièce, une cuisine et un petit balcon qui donne sur le lac. A mon âge, c'est amplement suffisant."

Francis Richard

Le Baron, Daniel Abimi, 304 pages, Bernard Campiche Editeur

Livre précédent de l'auteur chez le même éditeur:

Le cadeau de Noël (2012)