In Dreams : David Lynch Revisited à la Philharmonie de Paris

Publié le 27 novembre 2015 par Le Limonadier @LeLimonadier

On avait déjà retrouvé le chemin des terrasses, des restos, des copains, de la bringue et de la fiesta jusqu’au petit matin ; il était temps de retrouver l’obscurité colorée des salles de concert pour recommencer à vivre notre passion, celle qui nous anime tous, celle de la musique live. Nous étions donc à la Philharmonie pour notre premier report post traumatique dimanche dernier. Un verre de rouge pour le courage et nous étions prêts.

Et quoi de mieux pour s’évader du quotidien lugubre que le génie extravagant de David Lynch ? Au printemps dernier était créée au Barbican Centre de Londres la première mouture de In Dreams : David Lynch revisited. Plusieurs artistes se sont associés sous l’égide de David Coulter pour rendre hommage au lien puissant qu’entretient le réalisateur avec la musique. Des films et séries cultes qui peuplent l’imaginaire bizarroïde de Lynch, on ne peut dissocier la bande son choisie ou conçue avec un soin si précis. Lynch lui-même est musicien et a lancé son propre label, en plus du travail monumental bâti avec la complicité d’ Angelo Badalamenti.

En cet automne 2015, le cirque lynchéen a pris la route de Dublin, Bristol, Paris et Nantes. Dans cette caravane rocambolesque, on a trouvé Stuart Staples de Tindersticks, Jehnny Beth de Savages, Mick Harvey des Bad Seeds, Conor O’Brien de Villagers, le duo électro Cibo Matteo, le trio coloré de Stealing Sheep, la voix onirique de Sophia Brous et le grain de folie de Kirin J. Callinan. Ce casting de luxe était accompagné par sept musiciens de talent qui jouaient aussi bien de la basse, du double saxo, des ondes Martenot que de la scie ou du cristal Baschet (oui, on vous a mis les liens wiki).

Un drôle de sentiment nous a étreint sur notre siège, là-haut sur le balcon, quand on a vu la salle se remplir. Et puis quand on a pris de la couleur lumineuse plein la vue grâce au light show splendide du français Damien Dufaitre, cocorico ! Mais bientôt, les lumières s’éteignirent. Silencio. Un rondin de bois était éclairé par un spot solitaire. David Coulter armé d’une scie entra en scène pour en découper un tronçon, qui a chuté. Cet hommage à la mythique Log Lady de Twin Peaks lança la messe onirique et enivrante qui nous réservait maintes surprises.

Difficile de se souvenir exactement du déroulement des deux heures de concert tant la musique et la mise en scène étaient ensorcelantes. D’abord, il y a eu un morceau instrumental dans lequel se répondaient la scie et la harpe pour un duo étonnant et inquiétant. Puis la lumière violette a envahi la scène, la silhouette de Conor O’Brien se détachant en ombre chinoise. Sa voix d’Irlandais et l’intensité de « Mysteries Of Love » nous ont transporté dans le satin du film Blue Velvet. À peine les applaudissements éteints, Sophia Brous offrit une version incroyable de « Crying » a cappella pour nous amener dans la nébuleuse de Mulholland Drive.

Déjà on perd le fil. Se sont succédés sur scène Stuart Staples avec « Falling » qui nous a pris par la main jusqu’à l’entrée de la ville de Twin Peaks, puis le dandy Mick Harvey qui a interprété avec subtilité « In Heaven » tiré d’Eraserhead et « Ghost Of Love », titre original de David Lynch. Il y a eu aussi deux morceaux revisités par le duo electro-bricolo-japono-newyorkais Cibo Matteo entrecoupés d’extraits de dialogues et de bruits si chers à Lynch. La magnétique Jehnny Beth est aussi montée sur scène pour chanter « Song to the Siren », telle une crooneuse punk délicate, perdue dans Lost Highway. Les trois Liverpudliennes hautes en couleurs de Stealing Sheep ont réinterprété deux ou trois titres, on ne sait plus trop mais nous étions de retour à Twin Peaks avec « The Nightingale » et le visage de Bob apparut brièvement.

Sophia Brous revint sur scène, toute de bleu vêtue, pour chanter « Blue Velvet » avec une délicatesse caressante jusqu’à ce que Kirin J. Callinan fasse grincer abominablement sa guitare et sursauter tout le monde. Cette douceur entrecoupée de violence témoignait assez bien de la relation de Lynch au son. Puis resté seul en scène, le jeune homme au mulet a enchainé avec la très pertinente « I’m Deranged » de David Bowie qu’on peut entendre dans Lost Highway.

Conor O’Brien revint pour chanter une version funambule de « In Dreams » qui fut accueillie avec un tonnerre d’applaudissements qui s’éteignirent progressivement pour laisser place au prodigieux « Wicked Game » de Chris Isaak reprise par Mick Harvey. La grande classe. Si Chris ne veut pas tomber amoureux, nous étions conquis à la fin de ce spectacle loufoque et tendre. Ce voyage dans la filmographie et la musique de Lynch nous a fait dépasser le simple phénomène de mode, pour ne pas dire de foire, qui entoure le réalisateur. Un périple intense et éreintant à travers Eraserhead, Mulholland Drive, Blue Velvet, Lost Highway et Twin Peaks, dont on est sorti pensif, rêveur et un peu absent aussi.

Lovés dans un univers qui nous paraissait familier et pourtant si mystérieux, on s’est perdu dans les méandres étranges du monde sonore et visuel modelé par David Lynch. Beaucoup de titres nous rappelaient des images dont on ne parvenait pas à se souvenir et qui nous invitaient à suivre les voix devenues nos guides.

Cette performance à la croisée des chemins artistiques nous a laissé hagards et plein de questions qui continuent à virevolter dans nos esprits. Parfois, la musique permet de transcender les supports et on voit bien qu’elle joue un rôle majeur dans le cinéma et dans les séries actuelles. L’identité des œuvres visuelles se construit aussi grâce à leur univers sonore (et surtout les génériques qui trottent dans la tête). Les musiciens de tout bords se prêtent facilement au jeu. Comme ici avec la fameuse BO de Mogwai pour la série Les Revenants (qui nous fait penser bien sur énormément à Twin Peaks, ceci expliquant certainement cela…) :

Et puis, on ne peut pas s’empêcher de lancer un regard interrogateur et un peu amusé à l’autre David loufoque que l’on connait tous : David Bowie of course, qui a sorti son nouveau clip-court-métrage pour son morceau « Blackstar », qui sert également de générique à la série Panthers diffusée récemment sur Canal+. Allez, juste pour le plaisir, on se le regarde maintenant si vous avez dix minutes et que vous n’êtes pas encore rassasié d’ambiance intrigante :

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Mathilde

Chroniqueuse et petites mains des partenariats.
Pop, folk, rock et indies, le tout arrosé d'un Basile Boli bien frais.
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