Le Tour de France par deux enfants. Episode VII) Le Languedoc-Roussillon.

Publié le 03 juin 2008 par Herbertlegrandkhan

Rappel : Les chapitres précédents du tour de France : Picardie, Normandie, Bretagne, Aquitaine, Midi-Pyrénées sont accessibles dans la catégorie “Voyages” (à droite) ou en cliquant sur ce lien.

CHAPITRE VII.Le Languedoc-Roussillon.

En longeant les montagnes en direction de l’Est, Marcel et Joseph arrivent en vue de Perpignan, impérieuse capitale de la comarque du Roussillon. Par sa position, la ville constitue un pont entre la culture ibérique et la culture française. Perpignan vit son âge d’or entre la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle : Exactement le 1er janvier 1401. Ce jour là, tout allait bien : Perpignan était la capitale du royaume de Majorque, ses greniers débordaient de blé et les visages de joie. Avant et après ce jour, toute son histoire est une longue série de disettes, de sièges, d’épidémies de peste et de fièvre aphteuse. En 1344, la ville est annexée au royaume d’Aragon puis à la couronne d’Espagne. Perpignan entre officiellement dans le royaume de France en 1659 à l’issue du traité des Pyrénées mais toute la ville demeure imprégnée des parfums espagnols. Son drapeau rouge et or d’ailleurs un héritage de cette période : le jaune est une référence au safran de la paella et le rouge au piment du chorizo.

Cheminant dans les rues avec un air guilleret, Marcel et Joseph savourent l’aube sereine des printemps catalans tandis que la tramontane emporte avec elle le doux chant des cigales. Les toits vermillons et les façades ocres flamboient comme les étales du marché aux épices et les oriflammes ondulent dans le vent. Les villes du sud dégagent décidément un bon air de vivre. Pour les deux orphelins picards, Perpignan est un avant-goût du paradis. Il y a du soleil, des femmes, de l’alcool et personne ne les oblige à manger l’ignoble fondue picarde, confectionnée à base de betterave.

Ils décident de chercher du travail et s’établir pour un temps dans la Comarque. Hélas, la besogne est rare. Depuis la peste noire de 1346, l’ancienne capitale de Majorque vivote avec l’exportation de fruits et légumes et la fabrication de chorizo de contrebande.

Les deux frères marchaient le long du port en méditant sur l’avenir. Les mouettes tournaient dans le ciel en poussant des cris stridents dont l’écho agaçait sensiblement Joseph. Quand une mouette passa imprudemment à sa portée, il bondit avec la grâce d’un félin et empoigna le volatile. Dans un geste de colère, il lui arracha la tête avec les dents. À quelques mètres de là, un homme assistait à la scène avec admiration. Il se porta au devant de nos deux héros et le destin s’emballa de nouveau. Il se présenta comme l’entraîneur de l’U.S.A.P., l’équipe de rugby locale. « Bonjour Messieurs, je suis très impressionné par vos réflexes et votre combativité. Vous semblez avoir l’esprit de l’ovalie. Pour être clair, vous avez une bonne tête de vainqueurs » leur annonça-t-il de but en blanc. En effet, leur séjour dans la Sierra Maestra aveyronnaise avait transformé les deux adolescents en jeunes brutes épaisses à l’œil féroce. Le soir même, ils étaient invités à passer les premiers tests au stade Aimé Giral.

Il faisait bon ce soir là. Une atmosphère douce, baignée de lumière rose opalescente. Les joueurs trottinaient avec bonne humeur, un sourire imprimé sur le visage. L’arrivée de Marcel et Joseph suscita une certaine curiosité. Qui étaient ces deux athlètes inconnus de tous ? Étaient-ce de futurs renforts ? Au début de l’entraînement, le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne brillèrent point. Les deux frères étaient complètement amorphes au milieu du terrain. Ils regardaient passer leurs adversaires sans faire le moindre geste pour les arrêter. Quand un partenaire leur envoyait le ballon. Ils se contentaient de grogner et rester immobiles avec les bras ballants. Tout le monde était un peu déçu. L’entraîneur, qui les observait avec intérêt décida de faire un temps-mort. « Hé les minons, vous ne pouvez pas rester comme ça immobiles ! Le rugby est un sport de combat, de mouvement. Comment vous-expliquez… En Picardie, vous vous battez pour manger des patates. Et bien ici c’est la même chose ! Sauf que la patate rituelle est remplacée par un ballon ovale et c’est celui qui met la patate dans l’en-but qui a gagné. Allez, je veux voir du combat, de l’engagement. » Le déclic fut spectaculaire. Sur l’engagement suivant, Joseph poussa un grand hurlement qui tétanisa toute l’équipe adverse. Une sorte de feulement d’ours prêt à lutter à mort pour défendre ses petits. Il se rua sur le ballon qu’il arracha des mains de son adversaire en lui cassant le bras au passage. Il baissa la tête comme un taureau furieux et envoya au tapis le demi de mêlé qui lui faisait face. Il s’élança dans le camps adverse dans un élan irrésistible. Il terrassait un à un tous les défenseurs et faisaient un détour pour affronter ceux qui n’étaient pas sur sa route. Il franchit l’en-but en hurlant : « PATATE ! » Comme il le faisait quand il jouait à la soule picarde. Cette démonstration de force et de fighting spirit fut accueillie par un long silence. L’U.S.A.P. venait de perdre 9 joueurs sur blessure : 1 bras cassé, deux luxations de l’épaule, une fracture ouverte au tibia et 5 traumatismes crâniens. Les autres joueurs s’en sortaient heureusement avec de simples contusions. L’entraineur s’approcha de Joseph et lui tendit solennellement la main. « Félicitations. C’était impressionnant. Vous nous avez donné une vraie leçon de rugby. De combativité, d’engagement et de détermination. Malheureusement, vous êtes un peu trop combatif pour nous. Notre effectif ne nous permettra jamais d’enchaîner plusieurs entraînement comme ça. Nous ne pourrons pas vous garder. »

Joseph était un peu déçu de quitter l’U.S.A.P. juste au moment où il commençait à comprendre les règles. Son frère était encore plus aigri. « Viens ! dit-il, nous allons nous engager dans le Ku Klux Klan et nous trouverons un bouc émissaire à notre frustration. »

En effet, comme d’autres villes du sud, Perpignan abrite une ramification du Ku Klux Klan, comme le prouve à l’évidence la photo suivante :

Il est à noter cependant que le Klan Perpignanais se distingue de son modèle par plusieurs petits détails. Tandis que le KKK (Ku Klux Klan) est composé par des blancs racistes, xénophobes et antipapistes, le CCCP (Cucul-Clan Perpignanais) est composé par des noirs papistes et communistes. Cela explique les cagoules noires avec des cordes rouges, symbole de la révolution marxiste. Hormis ces petit détails ils ont exactement les mêmes idées.

Marcel et Joseph se font rapidement accepter dans l’organisation. On leur confie même une petite responsabilité : Ils sont nommés apprentis-sorciers gardien du chat. Il s’agit de Kâal, la petite mascotte du Clan. Cependant, lors du premier défilé, ils souffrent énormément de la chaleur. « Il faut-être con ou catholique pour défiler sous une capuche noire en plein soleil » déclare Joseph avec amertume. Les deux frères décident de quitter le clan et partir vers le nord, accompagnés de Kâal, qui sautille autour d’eux en miaulant la mélodie des Lavandières du Portugal.

Les deux Picards décident d’emprunter le chemin des côtes de la Méditerranée le long desquelles ils peuvent se nourrir en attrapant les mouettes. Au sud de Narbonne, ils bifurquent vers l’intérieur des terres et découvrent avec émerveillement le vignoble languedocien. Par sa superficie, il est l’un des trois plus grands du monde, avec celui des Pouilles et de la Mancha. C’est également l’un des trois plus mauvais avec le vignoble bavarois et auvergnat. D’après la légende, le vin de table du Languedoc est tellement corrosif que les Américains s’en sont servis pendant la guerre du Viêt-nam pour anéantir la forêt vierge. Mais enfin, il en faut plus pour troubler le gosier de nos deux amis. Leur traversée du vignoble ne fut qu’une série de bacchanales, de joies et de rencontres de cave en cave.

Après Béziers, ils reprennent le chemin de la côte. Il y a 50 ans, la côte languedocienne était presque totalement inexploitée. En raison des plages de sables, elle possède peu de ports naturels et les plaines littorales, mal drainées étaient totalement insalubres. Les grands projets d’aménagement nationaux ont permis de transformer totalement ces paysages. Jadis, occupée par un élevage extensif et la malaria, la côte est aujourd’hui dévolue au tourisme et à la syphilis. Avant de rejoindre le nord, Marcel et Joseph font deux étapes de pèlerinages. Au Cap d’Agde, il visitent le plus grand camp de nudistes d’Europe avec une dévotion qui frisent le fanatisme. À Sète, ils vont se recueillir sur la tombe de Georges Brassens.

Une fois les dévotions accomplies, ils se rendent à Montpellier, préfecture de la région. L’origine de la ville est assez récente à l’échelle de l’histoire de France. Sa première apparition remonte dans un document historique remonte à la fin du Xe siècle. Un bourg fortifié est fondé par les seigneurs de Guilhem. La ville se développe lentement en profitant de sa position médiane entre l’Espagne et la vallée du Rhône. Au début du XIIIe siècle, la ville prend son indépendance après la mort du dernier seigneur. Elle vit également la création de l’école de médecine en 1220. En 1289, l’école de médecine accède au statut d’Université avec la réunion de l’université de droit, ce qui en fait la plus vieille université encore en activité au monde. L’université de médecine acquiert une grande réputation, stimulée par les médecins juifs et musulmans venus d’Espagne. Depuis lors, beaucoup de Montpelliérains assistent aux dissections sauvages organisées par les professeurs. Dissections et trafic d’organes sont devenus les deux loisirs principaux de la ville. Marcel et Joseph se sentent mal à l’aise quand les passant les détaillent de la tête aux pieds en leur demandant s’ils possèdent toujours leurs deux reins. Ils décident de quitter la région en direction de la vallée du Rhône.