Dix ans après le CPE, le CDI ?

Publié le 16 décembre 2015 par Delits

Après avoir martelé - avec un certain succès au regard des actions prises par le gouvernement (CICE et Pacte de responsabilité) - la nécessité de la baisse du coût du travail, le Medef a dévoilé son nouveau cheval de bataille prioritaire en septembre 2014 pour rendre toujours plus " flexible " l'économie française : le contrat de travail. Un sujet qui n'est pas nouveau pour le Medef puisque le " contrat de projet " qu'il propose avait déjà été avancé en 2012.

Ce nouveau cheval de bataille s'est par ailleurs accompagné d'un débat médiatique croissant sur le sujet : pour ne citer que quelques articles publiés en 2015 : " Le contrat de travail rêvé du Medef ", Le Figaro, 31 mars 2015, " Une " rupture " qui fait peur ", Le Monde, 1 er avril 2015, " Le CDI est "très inquiétant" pour l'employeur, défend Gattaz ", Les Echos, 3 novembre 2015, " Réforme du travail : le CDI, contesté, reste un sujet tabou ", Le Monde, 4 novembre 2015, " Les patrons lancent de nouvelles flèches contre le CDI ", Le Monde, 18 novembre 2015... A l'heure actuelle toutefois, si le gouvernement planche sur une réforme du code du travail, il a exclu, malgré quelques hésitations, tout changement du contrat de travail du champ des réformes.

Dans un contexte de forte concurrence entre les différents modèles sociaux, le contrat de travail a donc jusqu'à maintenant échappé à toute tentative de réforme profonde. S'attaquer à un tel symbole pourrait en effet être sujet à forte controverse, les responsables politiques ayant en tête que la tentative de Dominique de Villepin avec le CPE en 2006 s'était soldée par la dernière victoire en date obtenue par des mouvements sociaux d'ampleur nationale. Près de dix ans après l'échec du CPE, on peut dès lors s'interroger sur le fait de savoir si les Français demeurent attachés au contrat de travail tel qu'il est actuellement ou si à l'inverse, ils seraient ouverts à une réforme allant vers davantage de " flexibilité ".

Des Français favorables au principe d'une flexibilité accrue...

Au gré des publications de sondages, on a pu lire dans la presse au cours de cette année que les Français sont favorables à un assouplissement du marché du travail, qu'ils sont pour un contrat de travail plus flexible. En effet, à première vue, la création d'un " contrat de travail plus flexible " rencontre l'approbation de 64% des Français. Mais qu'entend-on réellement par davantage de " flexibilité " et comment mesurer finement l'opinion des Français sur ce sujet ? Car en effet l'ensemble des personnes interrogées ne sont pas expertes de tels éléments de langage et il est de surcroît généralement difficile d'être défavorable à des propositions en apparence positives. Dès lors, parle-t-on de conditions de licenciements plus simples pour l'employeur ? Ou encore d'un temps de travail différent selon par exemple l'activité de l'entreprise ? De telles réformes passent-elles par des aménagements des actuels CDI et CDD ou par la création d'un nouveau contrat ? Autant de questions au-delà des simples positions de principe qui constituent des changements tangibles des conditions de travail et qui ont été testées par divers instituts de sondage.

...mais qui en réalité s'opposent au contenu exposé derrière cette demande de flexibilité

Si une majorité de Français ( 64%) sont en effet favorables à davantage de flexibilité concernant le CDD (allongement de sa durée et possibilité de renouvellement accrue), ils sont plus réservés sur l'efficacité en termes de lutte contre le chômage de davantage de flexibilité du CDI via par exemple la facilitation des licenciements ( 37% d'opinions positives). Malgré une augmentation de 14 points en 10 ans, il n'en demeure pas moins que le scepticisme demeure largement partagé, à gauche (19% qui le voient comme un outil efficace) et au FN (35%). Et même à droite, les avis sont loin d'être unanimes (54%).

Si l'on corse un peu plus les modalités de réponse et qu'on les interroge directement sur leur approbation, on note des jugements moins tranchés mais qui demeurent majoritairement négatifs : 57% des Français ne souhaitent pas que les entreprises puissent licencier mais aussi embaucher plus facilement, avec là encore des avis loin d'être tranchés à droite (46% d'opposition). Par ailleurs, même en cas de difficultés économiques de l'entreprise, 52% des Français s'opposent à un nouveau CDI avec facilitation de licenciement, avec par ailleurs une opposition plus élevée chez les personnes directement concernées, à savoir les salariés en général (60%) et ceux du privé (56%). Un cas de figure voit une majorité ( 50%) - quoi que ténue - de Français approuver la possibilité de licencier plus facilement, à condition que les allocations chômage demeurent à un niveau proche du dernier salaire, cette dernière condition faisant quant à elle presque l'unanimité (86% d'approbation).

Ce souhait du maintien d'un niveau de protection exigeant se retrouve également lorsqu'est évoquée l'éventualité de la fusion du CDI et du CDD pour donner naissance à un nouveau contrat de travail. Si une majorité de Français y sont favorables ( 55% considèrent cela comme une bonne idée), ils sont aussi peu disposés à faire des concessions, souhaitant avant tout que le nouveau contrat soit en réalité aussi protecteur que l'actuel CDI avec une certaine ancienneté dans le poste (47%), signe à nouveau que la flexibilité acceptée sur le principe ne correspond pas aux vraies attentes des Français en la matière.

Dix ans après le CPE - rejeté à l'époque par 66% des Français -, les Français ne semblent toujours pas disposés à revenir sur le caractère protecteur du CDI, et ce malgré l'offensive médiatique du Medef sur le sujet. Si l'on peut croire que la flexibilité séduit les Français, ce qu'ils entendent par là ne correspond en réalité pas à l'interprétation qui en est faite par la principale organisation patronale.