[Critique] THE BIG SHORT : LE CASSE DU SIÈCLE

Par Onrembobine @OnRembobinefr

[Critique] THE BIG SHORT : LE CASSE DU SIÈCLE

Titre original : The Big Short

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Adam McKay
Distribution : Christian Bale, Steve Carell, Ryan Gosling, Brad Pitt, John Magaro, Melissa Leo, Marisa Tomei, Finn Wittrock, Margot Robbie, Selena Gomez…
Genre : Comédie/Drame/Adaptation
Date de sortie : 23 décembre 2015

Le Pitch :
En 2005, à Wall Street, Michael Burry un génie de la finance, anticipe la crise des subprimes, qui frappera l’Amérique, puis le Monde en 2007. Alors que personne ne prête de crédit à ses prédictions, il décide d’en profiter et de parier contre les banques. Un geste audacieux qui inspire d’autres acteurs désireux de profiter également de la situation. Histoire vraie….

La Critique :
The Big Short est l’adaptation du best-seller de Michael Lewis (par ailleurs déjà auteur du livre qui inspira le film Le Stratège). Un bouquin important à plus d’un titre, qui explique en détail le pourquoi du comment de l’explosion de la bulle financière et ainsi, du même coup, la naissance de la crise économique dont les dommages ont violemment remodelé les contours de notre société sur un plan mondial.
Retrouver Adam McKay à la tête d’une œuvre en apparence aussi complexe et concernée ne peut que surprendre. Auteur absolument brillant, réalisateur avisé, McKay s’était en effet jusqu’alors fait remarqué par ses comédies, dont les classiques Ricky Bobby, Roi du Circuit, Présentateur Vedette (et sa suite, Légendes Vivantes) et Frangins Malgré Eux. Proche de Will Ferrell, impliqué à divers postes dans plusieurs projets de comédies ces dernières années, l’homme a décidé de prendre tout le monde à revers et de s’attaquer de front au film qui allait lever le voile sur les malversations de ceux qui ont précipité la société dans l’abîme. Pour cela, McKay, également co-scénariste, a forcément du se poser cette question : comment rendre limpide quelque chose d’aussi obscur que la crise des subprimes ? Une interrogation de laquelle allait dépendre toute la réussite du long-métrage.

C’est ainsi que The Big Short adopte un angle résolument rock and roll. Avant lui, dans un passé proche, Margin Call, de JC Chandor, racontait déjà le début de la crise, mais restait cantonné à un petit groupe d’individus, acteurs et témoins du cataclysme, sans forcément revenir sur les conséquences ou encore rentrer véritablement dans les détails. Un choix conscient de la part d’un film centré sur l’humain à la base de toute cette perfide entreprise. The Big Short lui, explique tout. Très documenté, il prend le risque de perdre une partie de son audience en sortant le grand vocabulaire, tout en restant conscient que ce qu’il nous raconte est compliqué. Et c’est quand on se dit que nous aurions dû bosser notre Finance pour les Nuls avant de venir qu’intervient la première séquence didactique. En gros, le film nous dit qu’il est normal de se sentir bête face à ces types si pointus et que si il y a un truc qui cloche, le problème vient de chez eux et non de chez nous. D’où ces fameuses scènes didactiques durant lesquelles un ou plusieurs intervenants expliquent de manière claire et concise des termes clés. Le procédé est tout simplement génial ! Et surprenant ! Parce que voir Margot Robbie nous parler de finance, dans une situation au sujet de laquelle nous ne dévoilerons rien, a quelque chose de brillant. Et on ne parle même pas des autres « explications », aussi nécessaires que remarquablement intégrées à la narration.
Cela dit, le sujet est tellement tordu par définition, qu’il est normal de se paumer dans les méandres des magouilles des banquiers. Mais là encore, The Big Short touche au vif, parce qu’il nous fait comprendre, de par la complexité des dialogues, à quel point ceux qui ont donné naissance à la crise, sont tordus, malveillants et inconscients. Et tout ceci sans verser dans une morale manichéenne dont le but serait de nous répéter ad vitam eternam que les banquiers sont les méchants. Le propos est plus ambigu, car au fond, il n’y a pas de gentils. Ni Steve Carell, dont le rôle est le plus moral, avec celui de Brad Pitt, ni Ryan Gosling et son bronzage artificiel et ses costards à 3000 dollars, ni même Christian Bale, qui campe un marginal de la finance que personne ne croit mais qui a toujours raison. Tous font partie d’une bulle dont l’éclatement est imminent et tous comptent en profiter pour s’enrichir. La suite se chargera néanmoins d’illustrer un éveil des consciences, mais pas au sens hollywoodien de la chose. Pas de happy ends ici. La fin, on la connaît puisque nous y sommes tous. Le monde de 2015 est celui qui est né de l’explosion des banques en 2007. C’est de ce Big Bang dont nous parle Adam McKay, avec un maximum de lucidité et de clarté. Sans détourner le regard et sans se priver de mixer habilement les émotions.

À intervalles réguliers, il sait être drôle. Après tout, c’est de là que la réalisateur vient. La comédie est une discipline qu’il maîtrise à merveille. Son timing est parfait. Cela dit, ont rit parfois jaune car les choses drôles ne le sont que parce que le chef d’orchestre a choisi de nous les présenter d’une certaine façon. Entre d’autres mains, le film aurait été plus sobre. Sobre et aussi ennuyeux, ce que The Big Short n’est jamais, grâce à son humour donc, mais aussi à son montage, nerveux, vif, inspiré, à sa réalisation, courageuse et virtuose, à ses nombreuses idées qui fluidifient la narration et à ses acteurs, dont l’implication et la justesse forcent en permanence le respect. Brad Pitt, Steve Carrel, Ryan Gosling, Christian Bale et les autres ne passent pas en force. Même Bale, dont le personnage aurait pu encourager un cabotinage dont certains ne se seraient pas privé. Leur rapport à l’histoire est limpide et d’une certaine façon touchant. Quand Adam McKay rentre dans le vif du sujet, ils se transforment, eux les spécialistes qui ont vu la catastrophe venir, en sorte d’observateurs impuissants face à l’ampleur des dégâts.
Incroyable mais vrai, The Big Short devient, à partir de ce moment, un film catastrophe. Un film d’horreur même. Remplacez la crise par un virus et vous avez Alerte !. Remplacez la crise par des aliens et vous avez Independence Day. Quand la bulle immobilière et ses millions de prêts à la ramasse, se cassent la gueule, le long-métrage montre un monde en proie à un cataclysme inédit. Dans le même temps, on pense aussi à des classiques comme Les Trois Jours du Condor, Wall Street et forcément Le Loup de Wall Street. À l’écran, le spectacle nous fait passer par plusieurs émotions super intenses. Il nous passionne, nous fait rire, nous impressionne, et nous fait peur. Avec sa bande-son parfaitement calibrée, ses références parfaitement digérées, son refus de se poser en film donneur de leçon parfaitement pertinent et son dénouement parfaitement et cruellement ironique, The Big Short s’impose comme une œuvre d’utilité publique. Un film somme. Avec son casting 5 étoiles, il instruit en divertissant, mais ne tombe pas dans la démagogie. Il nous montre, met les formes, et ça fait mal. Très mal. La grande classe.

@ Gilles Rolland

   Crédits photos : Paramount Pictures France