D'après une histoire vraie (Delphine de Vigan)

Par Alexandra

 

L'Histoire commence par «Quelques mois après la parution de mon dernier roman, j'ai cessé d'écrire. Pendant presque trois années, je n'ai pas écrit une ligne. Les expressions figées doivent parfois s'entendre au pied de la lettre … » Et bonne nouvelle, il n'est pas indispensable d'avoir lu le précédent (Rien ne s'oppose à la nuit).

 Cela dit, quel bonheur de l'avoir fait, quel bonheur aussi d'avoir attendu l'opus suivant, et quel bonheur enfin de lire les réponses à toutes ces questions que nous lecteurs nous sommes posés pendant ce long silence de Delphine de Vigan.

 J'ai envie de qualifier ce roman d'un nouveau genre. Et ce qui me vient le plus naturellement est de le qualifier de polar psychothérapeutique. Cohabiter avec ses névroses est une chose, une chose assez commune, d'une banalité si confondante que nombreux ignorent en dépendre. Mais aller à la rencontre de son ombre (au sens jungien du terme) est une toute autre histoire, longue, profonde, ténébreuse, initiatique. Delphine de Vigan signe ici une prouesse littéraire et personnelle.

De la toute-puissance au dénuement, de l'excitation à la dépression, de l'inspiration à la fascination, la bipolarité est ici sublimée.

Génial.

Une prouesse littéraire et personnelle.

Chapeau bas ;-)

Je ne dis rien de la dimension polar de ce roman. J'ai été heureuse de n'avoir lu aucune critique avant ma propre lecture. Et je ne souhaite me focaliser ici que sur sa dimension initiatique … par quelques extraits.

Nos vécus (profondément intériorisés) gouvernent nos rencontres

"Nous portons tous la trace du regard qui s'est posé sur nous quand nous étions enfants ou adolescents." (Séduction, p.74)

"Peut-être pressentais-je que cet échange contenait son propre effet retard et qu'il procéderait par diffusion lente. Je me souviens d'avoir eu peur de l'oublier et qu'il agisse à mon insu." (Séduction, p.101)

"Alors que j'hésitais à me lancer (il faut croire qu'à rester chez soi on finit par perdre l'usage de la parole)" (Dépression, p. 238)

"Il m'avait souvent semblé qu'il était plus facile de travailler côte à côte. Dans une solitude relative. J'aime cette idée que, pas très loin de moi, quelqu'un d'autre se trouve dans une position similaire et fournit le même effort." (Dépression, p. 264)

"De certains mots, de certains regards, on ne guérit pas. Malgré le temps passé, malgré la douceur d'autres mots et d'autres regards." (Dépression, p. 317)

"Est-ce que chacun de nous a ressenti cela au moins une fois dans sa vie, la tentation du saccage ? (…) réactivé la personne insécurisée en moi capable de tout détruire." (Dépression, p. 322-323)

"Je garde toutes les lettres (…), le moindre petit mot écrit par mes enfants, (…) je garde tout. Tous les deux ou trois ans, je fais des tas, des paquets, je range dans des boîtes." (Dépression, p. 332)

Notre légitimité trouve sa source dans nos pas qui trébuchent

"Regarde ce qui s'écrit et ce qui se filme. Tu ne crois pas que vous avez perdu la bataille ?" (Dépression, p. 187)

"L'écrivain doit questionner sans relâche sa manière d'être au monde, son éducation, ses valeurs, (…). Il doit revenir sans relâche sur le lieu de l'accident qui a fait de lui cet être obsessionnel et inconsolable." (Dépression, p. 188-189)

"Ta famille a engendré l'écrivain que tu es. Ils ont créé le monstre, (…). Cela ne vous donne pas tous les droits. Mais cela vous donne celui d'écrire, crois-moi, même si cela fait du bruit." (Dépression, p.209)

"Dès lors qu'il y a des gens dans mon champ de vision, le décor s'estompe, disparaît." (Dépression, p. 223)

"Rien n'était usé, jauni, abîmé. (…) Les pièces étaient sans âme et sans désordre. (…) aucune photo, aucune carte postale, aucun bibelot qui puisse évoquer un quelconque souvenir. Comme si hier n'existait pas." (Dépression, p. 228-229)

"Les lettres étaient dans mon corps : un venin." (Dépression, p. 271)

"Je crois que le lecteur aime bien qu'on le lui dise. C'est le mot FIN qui lui permet de sortir de cet état particulier dans lequel il se trouve, qui le rend à sa vie." (Dépression, p. 282)

Quand nous cessons de projeter notre ombre sur l'autre, l'amour véritable devient possible

"Plus tard, lorsque j'ai eu accès à sa personne, lorsque enfin j'ai compris qui était cet homme, ce qui l'animait, d'où provenaient son énergie et ses failles, lorsque j'ai été capable de voir derrière le masque, tantôt ouvert et policé, tantôt arrogant et lointain, qu'il présentait au monde, j'ai compris quel amour pouvait naître de notre rencontre et j'ai cessé d'avoir peur." (Séduction, p.114)

"Là, au milieu de ceux dont le regard n'avait pas changé, ne s'était pas troublé, ne s'était couvert d'aucun voile, ceux qui étaient restés loin de cette vaine agitation mais si proches de moi, il m'a semblé que mon corps se relâchait." (Séduction, p.118)

"(…) traverser le square (…). Ici avait eu lieu quelque chose qu'on ne peut pas retenir." (Dépression, p. 265)

"J'ai pensé au plaisir qu'il y avait à voir grandir les enfants des autres, ceux qu'on a connus tout petits. (…) lien d'une infinie tendresse …" (Dépression, p. 308)

Quelques informations pratiques sur ce livre.

La biographie de l'Auteur