452ème semaine politique: pourquoi Hollande joue de la déchéance de nationalité

Publié le 02 janvier 2016 par Juan

 

 

François Hollande n'allait pas répondre à Pierre Joxe. L'ancien ministre de l'intérieur, figure tutélaire du socialisme français, a pourtant livré une violente diatribe contre la "stupéfiante" réforme constitutionnelle proposée par l'actuel locataire de l'Elysée quelques heures avant la fin de cette funeste année 2015. 

Pour ces avant-derniers voeux élyséens, Hollande est apparu comme le père d'une nation qu'il a choisi de rassembler contre la menace terroriste étrangère. 

Tout un programme...


Un truc indéfendable
Cette révision constitutionnelle, ce "truc indéfendable" comme le qualifie un blogueur de gauche, n'en finit pas de faire des remous. L'argument central des soutiens du président s'accentue sur un point: l'élite, surtout à gauche serait déconnectée du bon sens populaire prétendument convaincu du nécessaire tri entre bons et mauvais Français pour cause de menace terroriste.
Ce n'est pas la première fois, ni sans doute la dernière, que Hollande suit le vent de l'opinion. Mais c'est peut-être la première où il espère tirer un réel profit politique. Il s'est appuyé sur la popularité sondagière de Manuel Valls pour le suivre et le conforter dans tous ses travers sécuritaires et libéraux depuis 2014, en vain. Sa propre cote sondagière est restée collée au plancher. Il a clamé rigueur sociale et réduction des charges, ou laissé critiquer ses propres augmentations d'impôts pour suivre l'argutie libéralo-poujadiste, mais en vain. Il a encouragé Emmanuel Macron, si populaire ("la personnalité économique de l'année" d'après les lecteurs du Figaro; la "coqueluche du Tout-Paris" d'après le Monde), et l'a laissé clamer combien il "n'aime pas ce terme de modèle social"; ou que le travail le dimanche était une évidence.
Sur le terrain où on l'attendait le moins - la sécurité et la politique internationale - Hollande croit avoir trouvé sa martingale. Son attitude devant les drames des attentats de Paris, en janvier puis en novembre, a été unanimement saluée. Hollande a su trouver les mots et le recul, à l'inverse de ses rivaux Nicolas Sarkozy (qui s'est abîmé en agitations et remontrances) et Marine Le Pen (qui s'est auto-désactivée des cérémonies de janvier). Il en a rapidement bénéficié dans les sondages.  Cette fois-ci donc, ce serait la bonne ! Il fallait qu'il reste ce "père de la nation", fédérateur et au-dessus des partis, y compris du sien. A l'approche des élections régionales, le scénario d'une réélection à la Chirac version 2002 se confirme: il suffirait à Hollande de rester droit et fort contre le terrorisme, et tel un rempart contre l'extrême droite pour que la perspective d'une réélection se dessine. C'est en tout cas le scenario auquel on croit pour 2017.
Et puis il y a eu ce "hic", une gaffe, une bévue. Une sortie de route. On l'avait presque oubliée dans l'émotion des attentats de janvier. Cette erreur était cette fameuse déchéance de nationalité que Hollande souhaitait constitutionnaliser à l'encontre des auteurs d'atteinte à la République, mais binationaux nés Français. Il ne s'agissait plus de récupérer le drapeau, la laïcité et Marianne à une Marine Le Pen outrancière dans sa fausse normalisation. Il fallait aussi lui prendre ce symbole fondateur de l'extrême droite "moderne", le tri entre Français; jeter le soupçon sur celles et ceux qui pouvaient avoir une autre nationalité en parallèle de la France. François Hollande, ouiiste lors du référendum de 2005, Européen convaincu, avait besoin de récupérer ce tri national.
En 1944, la République restaurée ne prononça "que" des déchéances de droits civiques ("indignité nationale") à l'encontre des collaborateurs avec l'occupant nazi. François Hollande jugeait-il cette période moins sombre pour la République que l'actuelle ?
François Hollande est un maître en triangulation. Il s'est sans doute triangulé lui-même. Car l'affaire n'a pas pris comme il le souhaitait. Bien sûr, il en bénéficiera dans les sondages. Mais comment pourra-t-il espérer en gagner un quelconque avantage politique ultérieur ? C'est une énigme, un coup de fusil dans son propre genou alors qu'il en avait déjà un à terre.
Et l'énervement de son premier ministre témoigne d'un début d'inquiétude à l'Elysée.
Valls, énervé
Dimanche dernier, Manuel Valls a ainsi livré la plus violente et désastreuse des charges, accusant la gauche de "s'être égarée dans de grandes valeurs".  Dans sa tribune publiée par Mediapart, Pierre Joxe lui rétorque simplement: "la gauche est bien vivante." Il rappelle ces autres moments où les "grandes valeurs" ont été oubliées comme le recommande pourtant Valls. L'Histoire sait être glaçante pour qui prend la peine de ne pas l'ignorer. Lundi, il en remet une couche sur Facebook. Il récuse que la déchéance de nationalité soit un symbole d'extrême droite alors que c'en est une valeur fondatrice. Il n'est plus à une incohérence près. A chaud, il expliquait qu'il fallait changer puisque le monde avait changé. Quelques jours plus tard, il tente de justifier que la déchéance de nationalité est un héritage républicain et de surcroît de gauche. La charge est aussi grossière que le premier des ministres semble usé.
A celles et ceux qui se réfugient encore derrière un discours de Hollande à Versailles, Joxe explique: "en France la Loi ne découle pas d’un discours, même proféré à Versailles". Notre "conception de la République"  est simple: elle s'est exprimée à de nombreuses reprises dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel: "il existe un principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à l’absence de possibilité de déchéance de nationalité pour une personne née française même si elle possède une autre nationalité."  Cette conception n'est peut-être pas partagée par la majorité des citoyens de ce pays. Elle ne l'était certainement pas à chaud après les attentats de Paris, en janvier ou en novembre. Mais cela importe peu pour Hollande. Il suit le vent populaire en espérant en récupérer quelque souffle pour sa réélection élyséenne.
La déchéance de nationalité, pour les binationaux, "s’il s’agit d’un symbole, mesurez-en bien la portée : il y aura demain les «vrais» Français et les autres. C’est le sens même de l’appartenance à la Nation qui en sera ébranlé" clament quelques intellectuels dont Thomas Piketty, Annette Wieviorka ou Daniel Cohen, dans une nouvelle tribune publiée par Libération le 30 décembre.
Hollande n'en a cure. Il regarde les sondages. Il n'est ni flou ni instable. Il est même prévisible. Il suit les sondages.
Récuser cette réforme ne signifie pas pourtant refuser de voir l'état des menaces terroristes. Tout le monde s'accorde à dire que la déchéance de nationalité ne sert à rien.  Lutter contre le terrorisme est autre chose. Au Royaume Uni, un jeune couple qui se vantait de projeter un attentat à Londres a été condammné à la prison à vie. En Turquie, deux membres présumés de Daesch ont été arrêtés avant de commettre un attentat-suicide pour la Saint-Sylvestre. A Bruxelles, un groupe de motards a été inculpé pour "menaces d'attentats."
En France, les débordements non sanctionnés de la nuit de Noël, où quelques centaines de personnes ont défilé dans un quartier musulman d'Ajaccio, vandalisant une mosquée en criant "on est chez nous" et autres "mort aux arabes", ont enragé Manuel Valls. Le premier ministre a été pris en défaut d'application de son état d'urgence, lequel permettait d'arrêter facilement quelques dizaines d'écologistes frondeurs pendant la Cop21. Mercredi dans les colonnes du Parisien, le voici qui s'indigne contre une prétendue "nation corse".
Hollande, suiviste
Jeudi 31 décembre 2015, le président est apparu grave, comme s'il voulait incarner un croisement de Clémenceau et de Mitterrand: "Je vous dois la vérité, nous n’en avons pas terminé avec le terrorisme, la menace est toujours là, elle reste même à son plus haut niveau, nous déjouons régulièrement des attentats. " Il se dépeint en "père de la nation". Il évacue sa propre responsabilité dans la fracture du pays et la rupture de l'union nationale. Il dit un mot rapide sur l'extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français convaincus de terrorisme et qu'il veut placer dans la Constitution, cet hochet de l'extrême droite si friande de ces tris symboliques. "J’ai annoncé une révision de la Constitution (…) pour déchoir de la nationalité française les individus condamnés définitivement pour crimes terroristes. " Notez l'expression: "condamnés définitivement". Elle ne correspond pas au texte de  loi qu'il a fait déposé. Mais la politique, un 31 décembre décembre devant les écrans de la Nation, mérite bien quelque caricature. "Le débat, il est légitime, je le respecte, il doit avoir lieu", explique-t-il. Mais il assimile pourtant cette mesure totalement inutile d'un point de vue sécuritaire (mais si utile politiquement) au nécessaire arsenal sécuritaire dont le pays a besoin: "Quand il s’agit de notre protection, la France ne doit pas se désunir, elle doit prendre les bonnes décisions, au-delà des clivages partisans et en conformité avec nos principes essentiels. J’y veillerai car j’en suis le garant."
La France est en guerre, mais Hollande oublie de la rassembler. Le président est convaincu d'obtenir une très large majorité au Parlement sur sa réforme. Il pourra compter sur les voix de Marion Maréchal-Le Pen et de Gilbert Collard, une première depuis leur élection; mais aussi d'un soutien sans doute majoritaire à droite et au centre-droit. Seuls quelques sénateurs centristes et des supporteurs d'Alain Juppé s'opposent à la mesure.
"Ce sentiment, c’est l’amour de la patrie. La patrie, c’est le fil invisible qui nous relie tous." François Hollande, 31 décembre 2015
Pour 2017, Hollande aura un bilan faible, très faible à faire valoir en matière socio-économique. A un Sarkozy clivant, agité mais immobile, clivant et dangereux, l'actuel locataire est resté sur une seule ligne: une politique de l'offre centrée sur la réduction du coût du travail. Il a même désavoué son premier et réel rééquilibrage fiscal de 2012/2013 contre les ménages aisés et les revenus du capital. Depuis, les résultats se font attendre. Comme Sarkozy avant lui, il expliquera que c'est la faute au monde extérieur.  Ce 31 décembre, pour la quatrième fois depuis qu'il est à l'Elysée, il insiste pour "simplifier le code du travail", promet de "nouvelles aides à l’embauche" et va envoyer 500.000 chômeurs en formation pour améliorer ses statistiques.
Pour cette nouvelle année, l'Elysée a voulu soigner les fameuses "classes modestes" (plus de la moitié du pays d'après l'INSEE...), pour 2 milliards d'euros de réduction d'impôts l'an prochain. Une obole bienvenue, mais une obole quand même quand on la compare à la quarantaine de milliards de réductions de charges accordées sans résultat aux entreprises. Hollande a du également faire le forcing pour épargner les retraités "modestes" (c'est-à-dire pauvres), que Sarkozy avait abandonné à une hausse d'impôt décalée en ... 2016.
 Bref, il fallait clôturer cette année 2015 avec quelques signaux forts pour mieux préparer 2017.
La déchéance de nationalité pour les reconnus coupables de trahison de la république (et non pas seulement de terrorisme), tout comme quelques maigres efforts sociaux, sont donc les derniers cadeaux du nouveau "père de la nation".
Bonne année. 
Post-Scriptum: l'un des tous premiers sondages politiques de cette nouvelle année est publié par le Parisien, ce samedi 2 janvier: "74% des Français ne souhaitent pas la candidature de Hollande et Sarkozy."
Patatras.