Jeux vidéo : Bientôt la fin du piratage?

Publié le 14 janvier 2016 par _nicolas @BranchezVous
Exclusif

Le jour où il ne sera plus possible de télécharger des jeux piratés sur Internet n’est peut-être pas loin. Ce n’est pas moi qui le dit : ce sont les pirates eux-mêmes. Quelles pourraient en être les conséquences? Spéculons.

Les jeux piratés sont aussi vieux que les ordinateurs. Le magasin où mes parents ont acheté notre premier clone d’Apple II, au début des années 1980, avait un «club de logiciels» où l’on pouvait copier des disquettes pour une pitance.

Reconstitution dramatique (Photo : Chronicle Live).

En avant du magasin, au vu et au su de tout le monde. Ça nous semblait tellement normal que, lorsque l’écran d’accueil d’un jeu affichait son titre et «Cracked by XYZ», on croyait que XYZ était le nom du programmeur du jeu et que «cracked» était un mot d’argot informatique qui signifiait «inventé par»!

En fait, j’étais tellement naïf que je croyais que tous les logiciels pour Apple II étaient gratuits, alors quand j’ai programmé mes premiers jeux de rôles 100% texte, je les ai donnés à tout le monde – et je les ai signés «Cracked by FDL». Fou de même.

Les choses ont bien changé depuis, mais le piratage, lui, est toujours aussi omniprésent. Quoique peut-être pas pour longtemps. En effet, s’il faut en croire des pirates professionnels cités dans cet article du toujours excellent Ars Technica, l’ère du jeu piraté tire peut-être à sa fin. 

La bataille technologique

En gros, les technologies de protection auxquelles les éditeurs de jeux vidéo ont accès ont presque atteint un niveau de sophistication suffisant pour décourager les pirates. Ars Technica mentionne Denuvo, un outil qui a permis au dernier Dragon Age de résister aux attaques pendant un mois après son lancement, tandis que FIFA 16 n’a toujours pas été craqué après quatre mois sur le marché. Et si la technologie continue à progresser au même rythme, il pourrait ne plus y avoir de jeux piratés du tout d’ici deux ans, selon les pirates eux-mêmes.

The Origin of the CD-Key, partie 1 et 2 (Image : Penny-Arcade).

Pas forcément parce que craquer un jeu deviendra impossible. Plutôt, parce que ce ne sera plus rentable. 

La bataille commerciale

En effet, la grande majorité des jeux vidéo sont vendus quelques jours ou quelques semaines après leur lancement. Pour chaque grand succès qui reste sur les tablettes des détaillants ou sur la page d’accueil d’un magasin en ligne pendant six mois, et qui effectue ensuite un retour triomphal en «édition légendaire» à prix réduit, il y a probablement cinquante jeux qui vont chercher 80% de leur chiffre d’affaires en 30 ou 45 jours et qui doivent par la suite se contenter de grenailles parce que l’attention du marché a été détournée par une nouveauté quelconque. 

Il suffirait que les protections soient assez solides pour que le délai monte à trois mois pour que les pirates changent de métier

Or, aux yeux de celui ou celle qui paie pour faire pirater un jeu, l’intérêt consiste à rendre celui-ci disponible en version contrefaite au même moment que la version légitime, ou même avant. Que ce soit pour vendre de la publicité louche sur un site de torrents ou des copies frelatées à 10$ dans les rues d’une ville où les policiers détournent le regard, le besoin du pirate est le même : avoir accès au produit hot du moment. Le jeu qui était au sommet des palmarès de ventes en mars ne lui est pas plus utile en juin que la version d’il y a trois ans de Madden NFL, parce que sa clientèle veut maintenant autre chose. 

Pour un éditeur de jeu, un délai d’un mois entre le lancement de la version légitime de son produit et l’apparition d’une version piratée élimine au moins 80% du problème. Pour un pirate, le même délai élimine au moins 80% de ses revenus potentiels. Il suffirait que les protections soient assez solides pour que le délai monte à trois mois pour que les pirates changent de métier – ou qu’ils se concentrent sur les logiciels de bureautique dont la durée de vie sur le marché se compte en années.

Les conséquences observables

D’un point de vue purement sociologique, la disparition (ou au moins la diminution) du piratage de jeux vidéo nous permettrait de tester plusieurs affirmations que l’on entend depuis des années.

D’un côté, l’industrie affirme que la contrefaçon lui coûte cher en ventes perdues. Si c’est vrai, la disparition des jeux piratés devrait entraîner une augmentation mesurable des ventes. C’est mathématique.

Extrait de la version piratée de Game Dev Tycoon.

Certains joueurs qui téléchargent des copies piratées affirment, au contraire, qu’ils achètent plus de jeux après les avoir essayés gratuitement. S’il s’agit d’un effet répandu, la disparition des jeux piratés devrait plutôt entraîner une baisse des ventes de jeux légitimes, puisque cette opportunité de tester gratuitement le produit avant d’en faire l’acquisition ne serait plus disponible.

Et s’il n’y a aucun effet mesurable sur les ventes de jeux? Alors peut-être faudra-t-il donner raison à ceux qui affirment que l’importance de la piraterie a été grossièrement exagérée, parce que la majorité de ceux qui téléchargent des logiciels piratés n’ont pas les moyens (ou l’envie) d’en acheter des copies légitimes, et que donc l’industrie ne «perd» rien en termes réels.

Mes prédictions, première partie

Si le progrès de la technologie de protection anti-piratage est aussi concluant que les pirates cités par Ars Technica semblent le croire, on pourrait assister à la réalisation d’un scénario hybride. 

Les grands éditeurs, qui ont les moyens de se payer la meilleure technologie de protection, verront leurs titres AAA connaître de légères hausses de ventes, probablement suffisantes pour justifier la dépense et l’effort requis, mais loin du saut quantique auquel l’industrie voudrait nous faire croire. Selon moi, ceux parmi les consommateurs de jeux piratés qui seront prêts à payer le plein prix pour des versions légitimes si le marché noir disparaît ne forment qu’une bien petite minorité, entre 5 et 20% du lot tout au plus. Rappelons-nous que les statistiques de téléchargements illégaux incluent nombre de jeux qui sont téléchargés «parce qu’ils sont là» et qui ne sont jamais utilisés par la suite. 

Quant aux pirates, ils se rabattront alors sur les jeux moins bien protégés, comme ceux de petits éditeurs indépendants qui ne peuvent pas se permettre d’investir 10% (ou 50%) de leurs minuscules budgets sur des mesures anti-piratage. À moins que le coût des outils de protection ne se démocratise, les prochaines années pourraient donc être plutôt moches pour les indépendants qui rêvent de créer le prochain Minecraft.

Enfin, la première entreprise qui trouvera une manière de rentabiliser une solution anti-piratage à toute épreuve, que n’importe qui peut intégrer à son jeu en payant une royauté de 2% sur ses ventes, recevra tous les prix imaginables dans les galas de l’industrie.

Mes prédictions, suite et fin

Mais ça, c’est si le scénario évoqué par les pirates cités dans Ars Technica se réalise et que la technologie de protection des jeux devient assez solide pour détruire la rentabilité du marché illégal tel qu’on le connaît.

En voici un autre : un consortium de pirates particulièrement habiles parvient à déjouer cette technologie de protection et à rester assez compétitif pour que rien de significatif ne change par rapport à aujourd’hui. 

Je suis peut-être pessimiste, mais j’ai plutôt tendance à croire que ce dernier scénario est le plus plausible. Compte tenu de tout l’argent qu’il y a à gagner dans le marché du jeu vidéo illégal, il y en a certainement plusieurs qui comptent déjà relever le défi.