[Critique série] FLESH AND BONE

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : Flesh and Bone

Note:
Origine : États-Unis
Créatrice : Moira Walley-Beckett
Réalisateurs : David Michôd, Joshua Marston, Stefan Schwartz, Nelson McCormick, Adam Davidson, Sam Miller, Alik Sakharov…
Distribution : Sarah Hay, Ben Daniels, Emily Tyra, Irina Dvorovenko, Damon Herriman, Josh Helman, Raychel Diane Weiner, Sascha Radetsky…
Genre : Drame
Diffusion en France : OCS
Nombre d’épisodes : 8

Le Pitch :
Claire, une danseuse, quitte le foyer familial pour rejoindre la troupe de l’American Ballet à New York. L’occasion pour la jeune femme de fuir un passé des plus pesants. Rapidement remarquée par l’impitoyable directeur de la compagnie, Claire monte les échelons et s’attire les foudres des autres membres de la troupe. Une ascension qui sera également entravée par ses démons intérieurs, qui n’en ont pas terminé avec elle…

La Critique :
Anthologie de huit épisodes, produite par la chaîne Starz, Flesh and Bone ne devrait pas connaître une seconde saison. L’histoire commence et se termine ici, malgré les nombreux points de suspension et autres interrogations qui jalonnent le récit, comme nous le verront plus tard.
Cette mini-série permet de retrouver l’une des scénaristes les plus douées du moment. Moira Walley-Beckett, qui a en effet signé neuf épisodes de Breaking Bad, dont Ozymandias, l’antépénultième épisode de l’ultime saison, souvent considéré comme le meilleur de toute la série, est en effet aux commandes.
Cette fois-ci entièrement responsable de son propre show, la scénariste canadienne pénètre les arcanes du monde ô combien fascinant et mystérieux du ballet. Une plongée annoncée dès les premières minutes du pilote, comme anxiogène, et donc bien éloignée des visions idylliques des étoiles et de leurs déambulations chorégraphiques sur la scène. Savoir que Moira Walley-Beckett a fait partie des créatifs qui ont orchestré les heures les plus sombres de la tragique histoire de Walter White, permet de toute façon de comprendre que Flesh and Bone ne va pas hésiter à jouer sur le côté viscéral de son intrigue. Un peu à la façon de Black Swan, de Darren Aronofsky, auquel on pense régulièrement. Notamment quand la série semble faire du pied au long-métrage avec Natalie Portman, que ce soit volontaire ou non, en focalisant son regard sur le chaos émotionnel et psychologique qui caractérise Claire, l’héroïne de l’histoire.
Cela dit, Black Swan n’ayant pas le monopole des fictions sur la danse, il convient d’accorder avant tout à la série une volonté de se démarquer d’un film auquel elle va forcément se confronter. La principale différence se situant dans le traitement des tourments du personnage principal. Alors qu’Aronofsky n’hésitait pas à utiliser une imagerie à la limite du fantastique pour illustrer ses thématiques, ainsi que la folie de Natalie Portman, Flesh and Bone reste plus terre-à-terre, même si par moments, au grès d’évocations un peu nébuleuses, cette tendance à utiliser des métaphores « fantastiques » est clairement lisible.


Ce n’est donc pas la fête à la maison. Flesh and Bone est crue et va très loin. Au fil de séquences parfois choquantes, durant lesquelles est mise en exergue la souffrance de corps soumis à des entraînements hyper éprouvants et tout ce qui va avec (la malnutrition, le stress, la pression…), la série s’avère souvent très viscérale. Autre point notable : nous ne sommes pas ici en face d’une fiction en particulier destinée aux amateurs de danse, même si ces derniers seront tout naturellement plus enclins à s’y pencher dessus. Avec ses airs prononcés de tragédie moderne et sa tendance à lorgner à plusieurs reprises du côté du thriller psychologique, Flesh and Bone s’adresse à tout le monde, et ne cherche pas exclure d’une quelconque façon que ce soit les réfractaires aux entrechats, bien au contraire, comme en témoignent les nombreuses ellipses durant les passages dansés.
Moira Walley-Beckett préfère se concentrer sur la violence de cet art et sur l’engagement physique et psychologique de ceux qui tentent de se l’approprier en en repoussant les limites.
À l’instar de son magnifique générique, la série met également en avant une identité visuelle très marquée, empreinte d’une poésie crépusculaire prégnante et pourquoi pas perturbante à plus d’un titre. Au risque peut-être de trop en faire, au rythme des péripéties, dont le côté un peu trop souligné, met parfois en péril la cohérence du récit.
C’est là aussi, quand le show pose les bases de multiples d’intrigues secondaires, que Flesh and Bone atteint ses limites. Même la trame principale, relative au personnage incarné par Sarah Hay, se termine d’une façon un peu frustrante. Alors, on le répète, qu’une saison 2 n’a jamais été à l’ordre du jour (cela peut toujours changer, on ne sait jamais), on a du mal à comprendre cette volonté de laisser le spectateur sur sa faim,quand il s’agit de mettre un point final à des arcs narratifs plutôt ambitieux. Une ambition d’ailleurs un peu gâchée par cette propension à se contenter de laisser planer le mystère, au lieu d’y aller franchement et de prendre le risque de terminer.
D’autant que la série fait preuve d’une audace véritable à de nombreux moments. Ce qui met finalement encore un peu plus en exergue les fois, où elle bat en retraite au profit d’un flou artistique, justement pas si artistique que cela.

Quoi qu’il en soit, Flesh and Bone fait plus qu’à son tour excellente figure. Son plus grand mérite : parvenir à livrer une métaphore guerrière sur le monde du ballet professionnel. Des titres des épisodes, aux allégories dispensées, tout ici va dans le sens d’un propos sociétal, qui raconte le combat d’une danseuse confrontée à la compétition, mais surtout à des démons personnels nés d’un passé lourd à porter. Une héroïne pour le coup vraiment intéressante. Bien plus que certains seconds rôles en tout cas. Campée par Sarah Hay, une actrice débutante, mais une danseuse confirmée, Claire porte la série. On peut d’ailleurs parler de révélation tant la comédienne, charismatique et ambiguë au possible, livre une performance hallucinée et hallucinante. Dévorant l »écran de ses grands yeux, elle est impressionnante en permanence. Surtout quand elle pratique son art et évolue sur le parquet. Nul besoin d’avoir recours à des effets-spéciaux. Sarah Hay sait ce qu’elle fait et le fait bien, comme d’autres acteurs du show d’ailleurs (Sasha Radetsky, Emily Tyra et Irina Dvorovenko par exemple, sont eux aussi impressionnants). La danse devient alors elle-même l’expression ultime de tous les enjeux. Le dernier épisode, avec son long numéro sur les planches, se posant ainsi comme le climax étourdissant d’une série peut-être un poil bancale, mais néanmoins émotionnellement puissante.

Flesh and Bone se perd en chemin lorsqu’elle met en place des mécanismes scénaristiques qu’elle n’entretient pas trop par la suite. On peut être séduit par cette propension à faire appel à l’imagination du spectateur, mais au final, cette tendance nuit un peu au ressenti global. Cependant, la force du propos est souvent telle, renforcée par la charisme et l’interprétation de comédiens/danseurs parfaitement dans le ton (Ben Daniels est lui aussi particulièrement savoureux en coach sadique), que le spectacle prend régulièrement aux tripes. Atypique, la série l’est certainement. Addictive aussi. Au risque de frustrer, car huit épisodes, tout compte fait c’est assez peu. Ce voyage au bout d’un enfer de corruption, de violence et de compétition, jette sur la discipline à laquelle il s’attache, un regard acerbe mais néanmoins empreint de passion. Il met en avant une ambiguïté palpable et explose lors de scènes au lyrisme exacerbé. La réflexion ne se cantonne pas à la danse. C’est le monde d’aujourd’hui qui est visé. Conte de fée moderne et pervers, l’histoire de Claire, la danseuse prodige, n’oublie pas de gratter le vernis pour exposer au grand jour les cicatrices de ses personnages et ainsi appuyer son propos.

@ Gilles Rolland

  Crédits photos : Starz/OCS