Max | Любовь

Publié le 18 janvier 2016 par Aragon

Certains corps avaient été tellement irradiés qu'ils bouillaient littéralement, restant chauds longtemps après la mort. Les gens étaient encore vivants. La couleur de leurs yeux changeait. Un témoin : jamais vue cette couleur : phosphorescents, rouges, dorés. Vrai. Couleur du corps : bleu - rouge - gris-brun. Mille cratères sanguinolents se dessinaient et explosaient sur les corps nus. Je lis abasourdi qu'à défaut de soins, dans certains villages reculés, les proches pratiquaient des injections intraveineuses d'un mélange d'alcool pur et de vodka. Pas de morphine, souffrance intolérable.

Samedi 26 avril 1986, 1h23. Une série d'explosions détruit le réacteur et la quatrième tranche de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Plus grande catastrophe technologique du XXème siècle.

Ça se passe en Biélorussie petite région de l'empire encore soviétique. Dix millions d'habitants, superficie un tiers de la France. Nous avons eu 1 Oradour-sur-Glane martyrisé par les nazis, les biélorusses en ont eu 619. À la suite de Tchernobyl ils en perdent encore 485. Pays abandonné de la raison, des hommes et des dieux. Dizaines de cimetières irradiés, il eût fallu, comme pour le réacteur maudit, enterrer les morts dans des cercueils, des sarcophages, de plomb et de béton.

Je lis les "Oeuvres" de Svetlana Alexievitch, Nobel de littérature en 2015. Je suis ébloui par la violence et la douleur, par la douceur. Cette femme écrit comme elle respire. Plusieurs nouvelles dans ce bouquin : "La guerre n'a pas un visage de femme", "Derniers témoins", "La supplication", llanto de Svetlana sur Tchernobyl. Si la vie et l'amour Любовь, ô la douleur. "La suplication" est écriture/témoignage inimaginable.

Inimaginable que l'on ait développé, encouragé et mis en place une technologie dont les effets, s'il y a accident, sont fatals à la planète, à tous ses composants, minéral, végétal, animal, humain, dont il est strictement impossible de recycler les déchets. Technologie de guerre avant tout, de dissuasion, sous couvert de service d'utilité publique.

Les cons. Ces cons, qui disent à peine discussion sur le nucléaire entamée, si on veut revenir à l'âge de pierre. Bien sûr que l'on veut - certains, du moins - redevenir intelligent. Bien sûr que l'on est près à sacrifier quelques heures d'électricité par mois, s'il le fallait. Bien sûr que ces technologies nucléaires sont des crimes potentiels ou avérés, contre l'humanité. Bien sûr qu'il faut sortir au plus vite du nucléaire. Regarder de près les cerveaux qui proposent une énergie à visage respectable, humaine, naturelle. Ça existe. Pas ce monstre qui peut nous avaler tous.

Dans "la Supplication", recueilli par Irina Kisseleva, journaliste :

Nos détecteurs indiquaient soixante-dix curies...

"Qui sont ces enfants ?

- Ils sont venus de Minsk, passer l'été.

- Mais la radiation est très élevée, ici !

- Qu'est-ce que tu as à nous bourrer le crâne ? La radiation, nous l'avons vue.

- On ne peut pas la voir !

- Tu vois cette maison inachevée ? Les gens l'ont abandonnée. Ils sont partis. Ils ont eu la trouille. Un soir nous y sommes allés voir. Nous avons regardé par la fenêtre... Et elle était assise à l'intérieur, cette radiation. Très méchante avec les yeux qui brillent... Très noire...

- Arrêtez vos bêtises !

- Nous te jurons que c'est vrai ! Tiens, nous nous signons !"

Elles se signent.     p. 741

Loin Tchernobyl ? On sait, bien sûr, que le nuage s'est arrêté à la frontière. Xième mensonge d'État. Braud-St-Louis, Golfech... Toutes les autres soeurs de la miséricorde comme dirait Léonard, attendent.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Svetlana_Aleksievitch