"Screaming people fly so fast, in their shiny metal cars" : Montellier rocks !

Publié le 08 février 2016 par Hectorvadair @hectorvadair

Titre : récit "Shiny metal cars", in album : "1996"

Case :  1 de la page 14 du récit
Auteur : Chantal Montellier

Editeur :
Humanoides associés

Date : 1978
Marrant comme pas mal d'auteurs des années quatre vingt s'inspiraient ou mettaient en tous cas en scène des chansons d'artistes influents dans leurs bandes. Comme quoi la mode rock et BD de l'époque n'était pas qu'un pis aller mais une vraie culture aux relents revendicatifs sous terrains.
Dans cet album, son premier, publié en 1978 et réédité en 2003 avec Shelter et Wonder city dans le recueil Social fiction, chez Vertige graphique, Chantal Montellier, auteure dont on a très tôt ici suivi et aimé les travaux, même de loin, car justement toujours politisés et avec beaucoup de sens, nous interpelle tout d'abord avec une série de courtes scénettes de 1 à quatre pages, avant de nous conter une histoire de 40 pages, charpentant l'album.

"So fast in their shiny metal cars" décrit la descente aux enfers symbolique d'un jeune homme, portoricain de naissance, dans une Amérique du futur, hyper aseptisée et où la ségrégation est à son paroxysme. Alfredo Garcia vient voir son pote Marco pour lui demander un coup de main à dénicher des anti brouillard d'occasion pour sa voiture.
A partir de ce constat somme toute banal, Chantal Montellier nous embarque dans un dédale surréaliste.
La casse Belepav, où se rend Alfredo, à tout d'une géante galerie d'art, où sont proposé sur des socles tournant des véhicules peu accidentés, et d'autres dont la particularité est de fournir en présentation à l'intérieur, au moins un des passagers mort dans l'accident, embaumé. Cette présentation lui est faite par une vendeuse sexy, seins nus à peine voilés par une salopette très courte. Passé ce constat à la fois étrange et morbide, la situation dérape un peu plus, car  au moment de payer, après avoir trouvé quand-même son bonheur, la vendeuse réalise, avec son nom, qu'Alfredo est portoricain et que le règlement lui interdit donc à ce titre de consommer à cet étage. Il est donc conduit au sous-sol où sont entreposés d'autres véhicules, de classes différentes, avec cette fois-ci des familles entières mises en scènes, mais, politique discriminatoire et budget oblige :  ...empaillées seulement !  
Dégoûté, Alfredo préfère quitter les lieux.
Mais reprenant sa voiture sans anti brouillards, et la chaussée glissante n'aidant pas...celui-ci va finir son histoire d'une bien ironique manière...

Si on adore le récit de science fiction sociale et politique brillamment mis en scène part le truchement de ce clin d'oeil à la société de consommation et à l'extrême radicalité des moyens de discrimination mis en oeuvre, on aime aussi l'humour grinçant proposé par l'auteur et son sens du dérisoire, qui sert autant à dénoncer qu'à garder un rythme tout au long du récit.  Les cases sont aussi de toute beauté et le noir et blanc de Montellier fera écho à celui du Tardi de la même époque. Le grand format broché 240x320  de cette collection originale Mirage rajoutant à l’effet.
Mais le bonus clin d'oeil se trouve surtout ici dans les quelques cases parsemant l'histoire, où l'on voit tout d'abord, dans le premier hall de présentation, sur une petite scène jouxtant une autre présentant une épave "métal hurlant", un groupe façon garage band sixties, interprétant un titre disant : "Screaming people fly So fast, in their shiny metal cars. Through the wood of Steel and gaz..."
Ce spectacle est déjà intriguant en tant que tel, et on se prend à imaginer le même groupe en plein San Francisco en 1966, dans un tout autre contexte. Mais on retrouve la musique qui diffuse plus loin dans des hauts parleurs, puis à la fin, chantonnée par un agent conduisant un Fenwick au sein de l'entreprise...et enfin jusqu'à la dernière terrible image pleine page. Un élément donc important.
Une chanson en fait empruntée aux Rolling stones, et leur titre de 1967 : "Citadel", tiré du lp "Their satanic majesties request », non crédités pour le coup, mis à part les guillemets.
Un titre bien bizarre en lui même, car psychédélique, bourré d'effets, qui me fait me demander s'il n'est pas à l'origine même du scénario tordu de cette histoire, pourtant très accrocheur. Il faut reconnaître que l’ambiance musicale est bien prétexte à une imagination débridée.
…Une époque où rock  et BD étaient intimement liés, surtout dans des récits aux connotations politiques.
Chantal Montellier en est une belle représentante, en dehors des sentiers plus (re)connus, tels ceux de Serge Clerc, par exemple.


L’album a aussi l’avantage d’être préfacé par un Jean Claude Forest en verve, qui s’exprime longuement sur la contre culture et la bande dessinée, de manière plus ou moins compréhensible d’ailleurs. Mais sa conclusion est, elle, limpide :
« 1) La bande dessinée a besoin qu’on écrive pour elle. En d’autre termes, qu’on pense à elle lorsqu’on la fréquente.
2) La véritable imagination créatrice emprunte nécessairement les chemins de la métaphore et du détournement. Et, Chantal l’a très bien compris, s’il n’est pas transposé, le fait quotidien, - eut-il un relief bouleversant - ne fera jamais cet évènement qu’on appelle une oeuvre. »
Un album éminemment Rock donc.
Ci-dessous, une version vidéo du classique psychédélique :