(anthologie permanente) Ryōko Sekiguchi

Par Florence Trocmé

Ryōko Sekiguchi publie La Voix sombre aux éditions P.O.L.
Le monde s’assombrit.
Ou peut-être ce n’est pas le monde qui s’assombrit, c’est moi qui suis soustraite au monde tel qu’il était, plus aéré et lumineux.
C’est une histoire personnelle non au sens où elle me concerne, moi qui écris cette phrase, mais au sens où elle concerne une personne qui existait dans le monde concret.
Elle concerne une voix.
Puisque la voix est toujours concrète.
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L’objectif, ou plutôt la morale à extraire à la lecture de ce livre, est seulement ceci : enregistrez la voix de ceux qui vous sont chers.
Dans la littérature, il arrive qu’on délivre des conseils valables dans la vie quotidienne. Mon conseil, le seul que j’aie jamais donné dans un livre, vous servira un jour, j’en suis sûre.
Même si cette voix, enregistrée, peut troubler votre temporalité à jamais.
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C’est l’histoire de la voix de ceux qui sont partis. D’abord l’histoire d’une voix chère qui ne fut jamais enregistrée. Le corps est parti, emportant la voix ; il ne reste plus que la voix mentale, impossible à faire « apparaître » dans ce monde.
Et puis l’histoire d’une autre voix, enregistrée des centaines d’heures durant et diffusée sur les ondes publiques. Une voix qui était partagée. Que tout un chacun peut écouter, des jours entiers, en continu.
Et par un détour, c’est aussi l’histoire des corps qui ont abrité ces voix et qui ont disparu. Qui ont été soustraits au monde. Ou bien l’histoire qui m’a soustraite au monde qui était aussi le leur.
(…)
La voix trouble la temporalité.
La voix trouble la temporalité parce qu’elle est condamnée à rester au présent pour toujours. La voix réelle bien sûr, mais aussi la voix enregistrée qui, chaque fois qu’elle surgit, se produit inévitablement au présent. Il ne saurait en être autrement.
Ryōko Sekiguchi, La Voix sombre, P.O.L., 2015, pp. 7 à 11.
Bio-bibliographie de Ryōko Sekiguchi