Interview - Alloysious Massaquoi, Young Fathers (2016)

Publié le 26 février 2016 par Oreilles

Vanité es-tu là ?
© Pauline Alioua

Les lecteurs réguliers de DODB se souviennent peut-être de cette chronique faite en 2014 de Dead, premier album des Young Fathers. On y détectait alors un son hybride et hautement explosif, soufflant sur les braises du trip hop période Mezzanine et autres premiers efforts des regrettés TV On The Radio... La déflagration entrainée par les écossais continue depuis de se répandre, Mercury Prize 2014, un 2ème disque signé dans la foulée White Men Are Black Men Too et à présent cette collaboration d'une logique implacable avec Massive Attack, porteuse du titre "Voodoo In My Blood" sur lequel Alloysious Massaquoi, pierre angulaire du trio d'Edinburgh, pousse la chansonnette. On a recueilli quelques mots de ce dernier, sagesse d'âme et noblesse de coeur, pour une discussion à la résurgence politique certaine...
  
Toi et les autres membres de Young Fathers, avez-vous chacun un style qui vous correspond ?
Non, mais depuis l'enfance on écoute beaucoup de styles de musiques, soul, reggae, gospel, musique africaine traditionnelle et même des boys et girls band, voir de la dance music. On aime bien de manière générale la pop, une chanson bien équilibrée avec un bon groove.
Votre dernier disque White Men Are Black Men Too sonne de manière plus douce, pourquoi ?
On a voulu simplifier notre son. Pour cela on a volontairement coupé des lignes pour en conserver les meilleures. On est parti sur un schéma pop traditionnel, c'était un challenge car nous ne l'avions jamais fait avant. Aussi on délaisse un peu plus le parler pour le chanter.En amont, on a écouté beaucoup de musique espagnole, notamment pour s'imprégner de leur tempo, cela nous a poussé à plus travailler sur le rythme.
Que voulez-vous faire ressentir à l'auditeur ?

© Pauline Alioua

On fait la musique que l'on aime et si notre sentiment est vrai par rapport à ça, le public le ressentira. Du fait que notre son soit spontané, cela doit se ressentir. Notre musique doit avant tout aider les gens à penser à autre chose. Au départ, faire de la musique, c'est un acte égoïste, et il faut être assez courageux pour assumer ses productions et donner envie aux autres de les écouter.
Qui écrit les paroles ? Sont-elles imprégnées de moments vécus?
On participe tous à l'élaboration des textes. C'est un mélange entre des histoires vraies et de la fantasmagorie, parfois tel mot est choisi juste car il sonne bien...
Dans votre titre "War", vos mots sont très durs....
C'était nécessaire pour décrire la réalité des faits.
Penses-tu qu'il soit important de conserver une forme d'utopie dans le monde actuel ?
Notre musique doit servir à combattre l'injustice, on peut faire avancer la cause pour rendre les choses moins dures et injustes. Il faut oser prendre la parole pour affirmer ses idées. Si tu as des passions, il ne faut pas hésiter à les poursuivre. Petit à petit les choses peuvent s'améliorer.
Existe-t-il un sens particulier derrière le nom de votre groupe Young Fathers ?
Nous sommes tous le descendant direct de notre père, on a simplement tilté avec ça. Cela évoque aussi le fait de grandir, de devenir un homme.
La notion de famille est-elle importante à tes yeux ?
Définitivement, j'ai grandi avec ma mère et mes sœurs, mon père a quitté notre foyer quand j'étais jeune. Je suis né au Libéria et j'ai migré au Ghana pendant quelques années après la guerre, j'avais quatre ans, puis j'ai grandi en Ecosse. Ca fait maintenant 23 ans que je vis là-bas.

"Sous chaque nation subsistent de sombres réalités que l'on cache jusqu'à ce qu'elles tombent dans l'oubli..."

Penses-tu que les tragiques événements récemment survenus à Paris ont-ils eu plus d'échos que tout autre fait du genre dans le monde et en Europe. Je pense notamment à Madrid en 2004 et Londres en 2005 ?


Ce que je dirais à ce propos c'est que les médias sont un parasite qui conduit les gens à la peine et la misère. Ils altèrent la vérité en recrachant des faits sans en interpréter les causes transformant alors ces informations en virus. C'est comme si ce virus prenait alors possession de son hôte, distordant la réalité pour l’amplifier. Sur les faits passés à Paris, les médias se sont concentrés sur le manquement total d'humanité qui sous-tend ces gestes, mais ont-ils essayé d'interroger la détresse dans laquelle ces individus étaient pour agir ainsi ?
As-tu entendu parler de la déchéance de nationalité française ? C'est un projet de loi qui vise à déposséder un individu de sa nationalité s'il vient à être reconnu coupable d'agissements terroristes ? Ton sentiment à ce sujet ?

© Pauline Alioua

Alors cette loi veut révoquer un français de sa nationalité si il est un terroriste... Définis ce qu'est un terroriste ? Seuls les terroristes sont-ils assez désillusionnés pour répandre la peur par des actes diaboliques ? Comment ces pays prospères le sont-ils devenus? Sur le dos de qui et quoi? Il ne faut pas oublier que sous chaque nation subsistent de sombres réalités que l'on cache jusqu'à ce qu'elles tombent dans l'oubli... Donc si tu veux mon opinion sur cette déchéance de nationalité, cela ne résoudra rien et ne fera qu'empirer les choses.
De quoi l'être humain a t-il  besoin pour embrasser la paix ?
Tout être a le désir d'être connecté à quelque chose, d'être compris. Dans les cas où l'humanité ne fait plus sens et que les gens sentent la peur et la déconnexion, de mauvaises choses se produisent. Qu'il s'agisse d'un tireur isolé en Caroline du Sud, d'activistes à Ferguson, ou de jeunes qui quittent Marseille pour faire le jihad en Syrie. Tout ce dont ont besoin les gens ce sont des bases solides, famille, pays, musique, ce que tu veux...
Peux-tu me parler de la rencontre entre ton groupe et Massive Attack ? Quel album ou titre de leur discographie te parle le plus ? Que penses-tu d'eux au final ?Massive Attack est composé d'un groupe de personnes toutes plus charmantes les unes que les autres, mystérieuses et complexes. On a été invités dans leur studio afin d'enregistrer le titre "Voodoo In My Blood" qui figurera sur leur EP à paraître en avril. On tourne avec eux depuis 5 semaines et on termine par les deux dates au Zénith à Paris les 26 et 27 février. Je n'ai pas d'album favori de Massive Attack, mais j'apprécie leur originalité et leur volonté de renouveler leur son depuis le premier disque qui a déjà plus de 20 ans. Lorsque l'on est des passionnés comme eux, l'étincelle créative ne s'arrête jamais, ils font office de témoignage vivant pour cela...
Clip "Voodoo In My Blood"