Colony (2016): un danger qu’on ne mentionne pas

Publié le 28 février 2016 par Jfcd @enseriestv

Colony est une nouvelle série de dix épisodes diffusée depuis la mi-janvier sur les ondes d’USA Network aux États-Unis et Bravo au Canada. L’action se déroule dans un futur rapproché à Los Angeles alors que la ville a été emmurée par des étrangers dont on ne connaît l’origine. Cette occupation est vécue à travers les yeux de la famille Bowman : Will (Josh Holloway), un mécanicien et ancien agent du FBI, son épouse Katie (Sarah Wayne Callies) et leurs trois enfants. S’ils parviennent pour le moment à vivre une vie à peu près normale, tout change lorsqu’on leur demande de faire un choix pour le moins déchirant : aider le pouvoir en place ou lui livrer une guerre sans merci. Dernière création de Carlton Cuse (Bates Motel, The Strain, Lost, etc.), on cherche à garder le plus longtemps possible le mystère concernant la prémisse en espérant attiser au maximum notre curiosité, ce qui est en fin de compte une erreur. Incidemment, les décisions prises par les protagonistes perdent de leur impact, et ce, quand elles ne sont pas carrément incongrues.

Résister ou se joindre?

Lorsque la série démarre, on voit Will dans la pièce maîtresse en compagnie de deux de ses enfants : Bram (Alex Neustaedter) et Gracie (Isabella Crovetti-Camp), mais un plan de caméra nous dirige vers le portrait d’un autre adolescent : Charlie, qui (on l’apprendra un peu plus tard), se trouvait à Santa Monica lorsqu’on a envahi la ville et il lui est donc impossible de renouer avec sa famille. Qu’à cela ne tienne, son père décide de s’infiltrer dans un camion traversant la frontière pour partir à sa recherche, mais une explosion dans le camion où il se trouvait vient tout chambouler. Seul survivant, on en apprend davantage sur son passé et Alan Snyder (Peter Jacobson), l’intermédiaire entre la population et les occupants lui propose de se joindre à eux afin d’enrayer les opposants au « régime », en particulier le groupe de résistants nommé Geronimo. En échange, on permet la réouverture du bar de Katie et on lui promet de l’aider à retrouver son fils, ce qui est l’argument décisif. Ce que Will ne sait pas, c’est que sa propre femme fait partie de Geronimo et chaque fois qu’il lui divulgue des informations sur ses missions, elle en avertit ses pairs si bien qu’ils ont toujours une longueur d’avance. Au cours des trois premiers épisodes, ce jeu du chat et de la souris se perpétue et se termine souvent par un match nul.

Colony est un cas assez intéressant puisqu’au départ, on ne nous gratifie d’aucune mise en contexte. On découvre au fil des scènes qu’un mur a été construit autour de la ville, que le troc a substitué les billets de banque, que l’approvisionnement est limité dans le cas de certains objets (l’insuline par exemple) et que la population est surveillée de près par des drones. Il est courant dans un pilote de jouer sur l’ambiguïté afin de garder le téléspectateur captif, mais habituellement, on nous arrive avec un climax en fin d’épisode nous expliquant les enjeux, ce qui n’est pas le cas ici. Puis, on entame le deuxième épisode… le troisième et toujours rien; c’est à peine si on nous donne quelques indices à nous mettre sous la dent. On assiste à une sorte d’autocensure délibérée dans le scénario, comme lorsqu’un des protagonistes s’exprime ainsi : « I tought you were in New York when… » pour être systématiquement interrompu par un tiers. En entrevue, Carlton Cuse explique ce choix : « because every country in the world has either been a colony or a colonizer. And this idea of what people will do to each other under these circumstances, and more importantly, what are the compromises that one has to make in order to survive in that kind of an environment, felt worthy of exploring. » Le créateur poursuit plus loin en précisant que sa nouveauté ne ressemble en rien à la série Falling Skies dans laquelle des extra-terrestres envahissaient la terre avec des armes au poing. À court terme, nous avons donc un mélange de mélodrame, de science-fiction et de policier sans jamais exceller dans chacun des genres et surtout sans que le téléspectateur sache à quoi s’en tenir.

L’idée peut être intéressante sur papier, mais à la base, Colony n’est pas dotée d’un rythme très soutenu si bien que la supposée tension issue de ce mystère s’évapore rapidement, d’autant plus qu’on ne semble pas vouloir en faire grand cas. Aussi, arriver avec le mot « occupation » n’est pas suffisant à lui seul pour transmettre la gravité appropriée dans laquelle se retrouve la population de Los Angeles. Certes, ils sont l’objet d’une étroite surveillance, mais ils semblent libres de vaquer à leurs occupations habituelles et outre les véhicules réquisitionnés par le pouvoir et l’absence d’internet, l’existence qu’ils mènent ne nous semble pas être trop pénible.

Cette prémisse que l’on refuse de nous dévoiler a aussi un impact sur l’arc narratif. On peut comprendre que Will accepte l’offre des occupants, ne serait-ce que pour retrouver Charlie. À l’opposé, les motivations de sa femme sont beaucoup moins claires, voire incongrues. Tout d’abord, on peine à comprendre qu’elle n’ait jamais cru bon d’avertir son mari qu’elle adore quant à son adhésion au groupe Geronimo, d’autant plus qu’avant d’être lui-même recruté par le pouvoir, il manigançait avec d’autres pour secouer le joug. Puis, une fois qu’elle sait qu’il est recruté, elle avertit presque aussitôt ses collègues comme quoi elle assurera le rôle de délatrice. Mais ne met-elle pas la vie de son mari en danger? Pire encore, saborder ses enquêtes ne risque-t-il pas d’amoindrir leur chance de retrouver Charlie? À la fin du troisième épisode, elle négocie avec un collègue son aide en échange de quoi Geronimo ne touchera pas à un cheveu de Will, mais n’est-ce pas trop jouer avec le feu?

L’épisode pilote, qui avait été mis en ligne un mois plus tôt a rassemblé en direct 1,36 million de téléspectateurs, ce qui entre dans la moyenne des récentes fictions un peu plus pointues que développe la chaîne depuis quelques mois. On assiste ensuite à une lente érosion au cours des semaines suivantes si bien qu’à l’épisode #5, ils étaient encore 1,07 million de fidèles. Quant au taux chez les 18-49 ans, lui aussi est correct, faisant du yo-yo entre 0,39 et 0,44. Quoi qu’il en soit, au bout de trois semaines, USA Network était visiblement satisfaite puisqu’elle a commandé une seconde saison.