L'Or des femmes, de Mambou Aimée Gnali

Par Liss

Après avoir publié le récit autobiographique Beto na Beto, le poids de la tribu en 2001, Mambou Aimée Gnali revient sur la scène littéraire avec L'Or des femmes, un roman qui s'inscrit également dans la volonté de dénoncer le "poids de la tribu", ou plus précisément le poids que certaines coutumes font peser sur les épaules des jeunes filles. Celles-ci sont éduquées dans la crainte de châtiments terribles en cas d'écart de conduite ou d'entorse aux usages en cours. Il faut dire que ces usages sont établis en général en sorte à favoriser les droits et le plaisir de l'homme tandis qu'ils assignent un certain nombre de devoirs à la femme, des devoirs qu'elle doit accomplir sans tenir compte de ses propres aspirations.

Le poids qui empêche la femme d'exprimer ses propres désirs, c'est également celui de la famille : comment oser briser les espoirs, bien plus les accords conclus entre les familles, parfois même longtemps avant sa propre naissance, comme c'est le cas de l'héroïne du roman ? Lorsque votre mère vient vous voir avec des mots qui emprisonnent autant que des chaînes, comment libérer votre propre parole ? murmure Socko, la mère de Bouhoussou, à cette dernière, au moment où une délégation féminine s'apprête à lui annoncer qu'un riche notable, qui a l'âge de son père et qui a déjà plusieurs épouses, va se présenter à elle comme étant son futur mari. C'est lui qui a les faveurs de la famille de Bouhoussou, puisqu'il est riche et comble les siens de cadeaux depuis des années.

Et pourtant un autre prétendant a eu le courage de se déclarer, malgré sa jeunesse et sa situation matérielle qui n'est pas encore opulente : Mavoungou. Il a grandi avec Bouhoussou et était son compagnon de jeux préféré. Pour tout dire, les deux jeunes gens se sont toujours appréciés et au sortir de l'enfance, cette amitié prend l'intensité de l'amour. Tout le monde en est témoin et pourtant tous, les parents de l'un et de l'autre en particulier, dénigreront ces sentiments qu'ils rabaisseront au rang de jeux d'enfants, car la priorité, c'est de respecter la parole donnée il y a des années : la première fille des Bouanga devait revenir à Ta Pouati.

Mavoungou aurait pu être un concurrent de taille à faire flancher la famille de Bouhoussou, s'il avait été aussi puissant Ta Pouati. Or il n'a même pas encore de maison à lui, il lui faut travailler encore pendant un certain nombre d'années pour avoir suffisamment d'économies lui permettant de faire face aux charges matérielles qu'implique le mariage.

Ainsi dans la société vili où l'auteure situe son récit, comme dans bien d'autres régions du Congo ou d'Afrique, ce sont les vieux qui raflent les jeunes et belles nubiles. Leur puissance financière fait taire toutes les considérations. N'était-ce pas aussi le cas dans les sociétés occidentales ? Qu'on se souvienne des pièces de Molière qui tourne en ridicule les vieux qui veulent s'accaparer les jeunes filles, alors que celles-ci veulent épouser les jeunes hommes que leur coeur aime.

"Ne me fais pas honte !" (page 70) Autrement dit ''j'espère que tu ne vas pas refuser Ta Pouati comme mari, que tu ne vas pas faire d'esclandre et surtout que tu vas rester vierge jusqu'au mariage !'' Personne ne s'inquiète de la virginité de L'homme au moment du mariage, mais de celle de la femme dépend l'honneur de la famille. Et plus tard, une fois mariée, gare à elle si on la surprend avec un amant. Une des ancêtres de Bouhoussou avait été enterrée vivante pour cela, comme on le faisait pour les vestales, les prêtresses de la déesse Vesta, dans l'Antiquité romaine. La cruauté du sort réservé à la femme soupçonnée d'infidélité s'observe dans toutes les civilisations et à toutes les époques. Aujourd'hui encore, dans certaines régions du monde, des femmes courent le risque d'être lapidées, exactement comme on le lit dans ce récit des Evangiles où une femme est sauvée in extremis. En effet les hommes réunis autour d'elle, ses bourreaux, déposent leur pierre l'un après l'autre et retournent chez eux la tête basse. Jésus leur a dit une chose très simple : que celui qui se considère pur et exempt de péché soit le premier à jeter la pierre à la femme.

C'est à la femme de payer, même lorsque c'est l'homme le plus coupable. Mambou Aimée Gnali nous explique dans son roman explique que les filles qui se retrouvaient enceintes avant la période de leur initiation, appelée le " tchikumbi ", étaient noyées dans la rivière, alors même que bien souvent, sachant combien la surveillance des jeunes filles était étroite et leur temps de liberté limité, le coupable ne pouvait être qu'un proche :

''Des cas d'inceste se mrmuraient parfois. Mais se traitaient dans le secret des foyers. Qui aurait osé formuler pareilles accusations contre des pères de famille ? Pouvait-on porter atteinte à l'autorité des protecteurs de l'enfant ?'' (page 30)

Il valait mieux que la fille meure pour être certain qu'elle ne parlerait pas un jour. La dignité des pères, oncles ou frères étaient conservés, au détriment de la vie de jeunes filles qui n'avaient aucune défense. Les quelques protestations des mères ne changeaient pas grand-chose, et d'ailleurs le silence pesait sur ce genre d'événements : ''On ne trahit pas les secrets de famille. Ce qui est indigne doit disparaître des mémoires. C'est la force de la tradition orale. Ce qui n'est pas dit n'existe pas.'' (page 11)

Briser le silence, tel semble être le projet de l'auteur, qui se place du côté de cette jeunesse brimée, filles comme garçons. Il ne s'agit pas de remettre toutes les coutumes en question, comme l'expriment Mavoungou et son cousin et ami Tati : ''Loin de les condamner en bloc, comme le faisaient les missionnaires, ils auraient souhaité qu'on leur en explique parfois la raison d'être ou qu'on assouplisse quelque peu les plus rétrogrades d'entre elles par rapport à l'évolution du monde qui était aujourd'hui le leur.'' (page 24)

Les pages initiales du roman, qui annoncent le destin tragique de Bouhoussou et Mavoungou, accrochent tout de suite le lecteur. Et dans la dernière partie du roman, lorsque le rythme du récit se fait plus effrené, on retient son souffle, la tension, l'angoisse sont à leur paroxysme, jusqu'au dénouement, qui peut frustrer le lecteur ou, au contraire, le soulager. Pour ma part je comprends et apprécie cette fin ''ouverte'' qui est synonyme d'espoir.

Pourquoi ce titre, ''L'Or des femmes'' ? Eh bien, parce que le sort ou l'avenir des femmes dépend de ce qu'elle aura trouvé ou non un mari pour l'épouser. Le proverbe vili placé en exergue du roman : " Bakala, wola " (L'homme, c'est l'or), dit tout. Chaque femme doit trouver son or. Le regard que l'on portera sur vous dépendra de l'aura dont vous aura enveloppé le mariage que vous aurez fait avec un homme, selon qu'il est fortuné ou pas. Les sentiments n'ont que peu de place. Dans ces conditions, le bonheur est-il possible ?

Très beau roman de Mambou Aimée Gnali, que je lis pour la première fois et que j'ai eu le plaisir de rencontrer au salon du livre de Paris 2016.

Mambou Aimée Gnali, L'Or des femmes, Editions Gallimard, collection Continents noirs, 2016, 170 pages, 16.50 €.