Défendre les choix vestimentaires des femmes, quels qu’il soient, pour défendre toutes les femmes

Publié le 30 mars 2016 par Juval @valerieCG

Dans son livre "Le harem et l'occident", la sociologue Fatima Mernissi souligne, que, si pour elle, les femmes orientales subissent un enfermement spatial (image du harem), les femmes occidentales subissent l'enfermement dans une image, "le harem de la taille 38". Mernissi montre ainsi les pressions insidieuses mais fortes, certes non inscrites dans la loi mais bien présentes, qui conduisent les femmes vivant en Occident, à adopter, à grands coups d'injonctions et de souffrances,  un corps conforme aux canons de beauté.


Il n'existe pas de loi visant directement le vêtement féminin non religieux en France. Il existe des lois sur le voile - loi de 2004 - des lois sur la burqa qui sont des vêtements portés exclusivement par les femmes. La loi sur le racolage passif (LSI 2001) a parfois été considérée comme une manière de réglementer le vêtement féminin puisque le port de tel ou tel vêtement a parfois suffi à la police pour verbaliser des femmes.
Mais, de manière générale, il existe en revanche des règles non dites sur le vêtement féminin. Cecile Duflot entre son jean et sa robe colorée en a fait les frais et a subi insultes, quolibets et harcèlement sexiste et sexuel au sein même de l'assemblée nationale. Beaucoup de femmes ministres ou députées disent d'ailleurs qu'elles ont tendance à modifier leur tenue sitôt en poste par crainte des remarques. C'est en cela que le vêtement féminin a un statut tout à fait particulier ; les femmes sont plus que fortement incitées à être féminines (on moque celles qui ne le sont pas, ou pas "de la bonne façon" comme Merkel) mais lorsqu'elles rentreront dans un milieu très masculin, cette féminité qui passe entre autres par le vêtement, deviendra leur ennemi puisqu'il sera symbole de frivolité, de bêtise, de jeunesse, d'inexpérience.
Le vêtement féminin ne peut donc être analysé comme un simple vêtement. Il est lourd de symboles et extrêmement signifiant. Ainsi si 27% des français déresponsabilisent un violeur qui aurait violé une femme en mini jupe et/ou décolleté, on voit encore une fois à quel point le vêtement féminin est considéré par beaucoup comme porteur d'un sens extrêmement lourd. Imaginerait-on quelqu'un dire "il portait un pull à col roulé ce qui m'a donné envie de faire une escroquerie à l'assurance". On considère donc qu'un simple vêtement peut susciter le viol ; on donne donc au vêtement féminin un sens qu'a beaucoup moins le vêtement masculin. C'est au fond assez logique ; les actes des femmes (et le fait de mettre tel ou tel vêtement en est un) sont toujours étudiés au prisme de la respectabilité qu'elles sont censées incarner.
Dans son livre Mythologies du vivre-femme, Corinne Mencé-Caster souligne qu'il n'y a pas une seule construction de la féminité et de la masculinité. Logiquement donc il n'existe pas non plus une seule façon d'être féministe et de défendre ses droits quand on est une femme. Le féminisme occidental a grandi avec l'idée que les femmes avaient le droit de montrer leur corps sans risquer pour cela des agressions sexuelles, des réflexions, des interdictions diverses et variées. Cet exemple a longtemps été présenté comme un modèle seul et unique de féminisme.  On ne vivra pas sa féminité - et on ne défendra pas ses droits - dans une société marquée par exemple par la religion comme dans une société qui l'est moins. Elle parle ainsi du concept de "féminité pieuse" développé par Claire Donnet dans un article où elle a travaillé sur un site, très célèbre il y a quelques années, Hijab and the city. Claire Donnet écrit ainsi "D’une part ces bloggeuses, au croisement de multiples rapports de domination, se réapproprient les représentations essentialisées de la femme et s’en servent stratégiquement pour changer leur condition au sein de leur groupe confessionnel. Elles s’insèrent dans l’ordre normatif préexistant pour le changer (...) D’autre part, en intégrant la hijab comme un accessoire de mode (bien qu’il conserve pour elles toute sa valeur religieuse), elles rendent visible dans l’espace public leur appartenance musulmane tout en s’insérant dans un code vestimentaire moderne. Elles perturbent ainsi des identités préétablies perçues comme essentielles et mutuellement exclusives."

Mencé-Caster montre par cet exemple, ainsi que par celui des sociétés antillaises qu'il n'y a pas une seule façon dont la féminité se construit et que les féministes occidentales gagneraient énormément à le comprendre plutôt qu'à supposer que leur exemple est un modèle. Le féminisme occidental  doit faire extraordinairement attention à ne pas considérer que l'exemple de libération qu'il propose est le seul et unique. Il conviendra à certaines, pas à d'autres ; et les femmes au carrefour de plusieurs discriminations (le fameux "race, genre, classe") continuent à ne pas être écoutées, pire à être insultées et humiliées par ce féminisme là.

On l'aura compris, la liberté des femmes de porter tel vêtement est fondamentale ; non pas parce que "chacun fait ce qu'il veut" ; cette antienne néo liberale ne veut strictement rien dire et tend à faire passer son confort personnel au mépris de l'intérêt du groupe mais parce que le vêtement féminin a toujours et est encore un moyen de contrôle des femmes.
Inciter ou interdire le port de tel ou tel vêtement est une manière de contrôler la liberté de circulation des femmes.
Si je souligne à une femme "qu'habillée ainsi elle risque le viol" alors je lui fais peur et risque de limiter sa liberté de mouvement.
Si je souligne à une femme qui porte le foulard qu'elle ne doit pas le porter dans certains lieux, alors je limite également sa liberté de mouvements puisque fort logiquement, si elle en a le choix , elle n'ira pas là où on ne veut pas d'elle. On me répondra que "ce n'est qu'un foulard" et "qu'elle peut bien l'enlever". Si ce n'est qu'un foulard, que de temps perdu à en parler en ce cas et certain-es sont incohérent-es. Le "elle n'a qu'à l'enlever" procède de la même violence que le propos visant à dire à une femme de ne pas mettre une minijupe. C'est la même construction mentale qui consiste à protéger la femme malgré elle, à la rendre responsable de ce qu'elle pourrait subir, et à faire d'elle une imbécile incapable de comprendre qu'elle participe à sa propre aliénation.
Nul ne dit que tel vêtement est féministe, du moins pas plus qu'une courgette, un presse-étoupe, ou une jante. Une personne est féministe, pas un objet. Il ne s'agit donc pas de voir le foulard comme féministe ou anti féministe.

Personnellement, je ne défends pas le droit des femmes à porter le voile ou à ne pas le porter car je ne souhaite pas faire du foulard un vêtement particulier face aux autres. J'estime que ce n'est pas mon rôle de donner un sens aux vêtements que porte une femme. C'est justement une habitude typiquement sexiste et patriarcale que de donner du sens à tout vêtement féminin "et tel vêtement qui fait pute, et tel vêtement qui fait djihadiste, et tel vêtement qui est trop sexy et tel vêtement qui participe à la soumission des femmes etc". Ce sont nos regards sur tel vêtement qui ont du sens, pas le vêtement. On ne jugera pas un homme (du moins s'il porte des vêtements dits occidentaux) au regard de ce qu'il porte. Les hommes sont en général jugés sur leurs actes et leurs paroles. Une femme quand à elle, verra ses vêtements être symbole de ce qu'elle est, dit et pense (ou plutôt ne pense pas). L'exemple de Pamela Anderson est à ce type exemplaire ; la majorité des commentaires lors de son passage en France n'ont pas porté sur son combat (qu'on peut juger légitime ou pas) mais sur la taille de son décolleté. Latifa Ibn Ziaten est également très attaquée (et qu'on ne s'y trompe pas les attaques procèdent du même système sexiste et patriarcal) ; là encore sa tenue serait censée disqualifier ses paroles. Une femme n'est pas ce qu'elle dit mais ce qu'elle porte.

Je défends le droit des femmes à porter n'importe quel vêtement parce que l'on sait bien que si l'on commence à interdire tel ou tel vêtement alors les conséquences sur l'ensemble du groupe "femme" seront immédiates.
Les femmes seront davantage limitées dans leur mouvement : si l'on fait peser tout un tas de menaces directes ou implicites sur les femmes en fonction de leur vêtement alors elles limiteront leurs mouvements
On justifiera les discriminations subies par les femmes ; si on se permet de juger tel ou tel vêtement alors on justifie les discriminations subies par celles qui les portent.

Personne ne vous demande d'aimer le voile ; j'ai personnellement une aversion toute particulière pour le velours côtelé ce qui est formidable dans une conversation de PMU mais n'a aucun intérêt politique ni féministe.
Personne n'empêche les féministes de questionner et de travailler sur la féminité ; comment s'incarne-telle ? Personne n'empêche non plus les féministes de travailler sur le vêtement féminin et le sens qu'il peut prendre (même si, je le répète, il convient d'être prudent sur le sujet). Cette obsession pour le foulard - sans jamais interroger le vêtement dit occidental (qu'on me pardonne cette formule maladroite) - tend à faire des femmes qui le portent des mineures sous tutelle, incapables de comprendre ce qui est bon pour elles.  C'est très exactement une attitude sexiste (et ici raciste) ; c'est donc aller à l'inverse de ce que nous défendons.

Partager