L’omniprésence de l’écriture dans la peinture de Télémaque

Publié le 05 avril 2016 par Aicasc @aica_sc

Plus que quelques jours pour visiter l’exceptionnelle exposition de la Fondation Clément consacrée à Hervé Télémaque

« L’écriture est un élément –signe de plus, capable d’orienter, d’enrichir. Faisons  jouer les objets entre eux et laissons aller les choses et les mots…et le titre bien souvent continue la chaîne. » (Hervé Télémaque dans un catalogue d’exposition de 1984)

Dans la période New – Yorkaise (1959-1960), l’écriture est cursive, souvent indéchiffrable ( L’annonce faite à Marie) et même parfois dissimulée sous une seconde couche de peinture( Le voyage de Toussaint Louverture à New – York) . Puis, entre 1962 et 1965, elle imite les phylactères de bande dessinée  (Fiche) ou des lettres au pochoir (Elle) reproduisant souvent des expressions toutes faites. L’écriture cursive réapparaît ensuite de nouveau alternant parfois avec des majuscules.

Fiche
1965
Huile sur toile
97 x 130 cm
Collection particulière

Les  mots inscrits dans l’œuvre participent autant que les images à la compréhension du tableau. Ainsi   ils sont indispensables pour en décrypter le sens . Ainsi par exemple  l’oeuvre Confidence; c’est  un  combine-painting, c’est à dire une oeuvre hybride qui associe des objets peints ( un slip, une ceinture herniaire, un clou, un chronomètre )  et des objets réels (escabeau, trapèze, marteau). Comment décrypter ce tableau sans les mots inscrits en bas à droite du tableau? « 13 ans, être trapéziste » – le verbe Etre est biffé d’un trait. Cette peinture  fait allusion à un épisode de la jeunesse du peintre. Champion junior de sport,  il a dû renoncer à la compétition et à la pratique sportive à la suite d’un accident de santé. Le  véritable escabeau symbolise l’ascension difficile vers un vrai  trapèze,  désormais interdit.

Souvent les mots peints sur le tableau correspondent aux titres (My darling Clementine, L’amour, La mère Patrie, Marée, Port – au – prince, Clôture martiniquaise).

My Darling Clementine
1963
Huile sur toile, papiers collés, boite en bois peint,
poupée en caoutchouc, Plexiglas
194,5 x 245 ; boîte : 25,3 x 25,3 x 24,9 cm
Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne

Ce sont parfois des phrases énigmatiques ( Dérives n°2 , Coupe, Le silence veille à Saint Marc): « Le silence veille à Saint – Marc », évocation critique sous entendue du passé esclavagiste de ce port d’Haïti et aussi peut – être du régime dictatorial en vigueur au moment où Télémaque à peint ce tableau après un voyage dans son pays natal  . « La Table bafouilla- Tananarive- le lait du monde-où est la vache » , allusion aux  violentes manifestations et insurrections de Tananarive en 1972. Ou encore :   » Eventail grâcile ou coumbite et c’est le joint de café »

Hervé Télémaque
Dérives N°2
acrylique sur toile, 200 x 310, 1983, acquisition du FRAC Martinique en 1987

Dans le voyage d’Hector Hyppolite n°1,  ce sont les noms des dictateurs africains qui sont tracés comme à la craie au tableau noir. Dans cette peinture de l’année 2000, directement inspirée par le tableau d’Hector Hyppolite, Papa Loco ( 1945), on voit  Le Baron samedi avec son haut de forme et sa redingote dans la partie centrale droite du tableau et sur la gauche une  dépouille mortuaire ainsi que  trois croix noires. Dans la partie supérieure, tous les noms des dictateurs africains sont inscrits sur un tableau noir pour souligner les similitudes (misère et dictature) entre ces deux pays. Pour les Haïtiens, le retour mythique en Afrique est une utopie que dénonce avec ironie Hervé Télémaque. « J’ai fait d’Hector Hyppolite, le zombie qui va voyager en Afrique. Mon tableau est une petite leçon sur tableau noir « , dit – il.

Le voyage d’Hector Hyppolite N°1
Acrylique sur toile
2000
161,5 x 243 cm
Collection Musée d’art moderne de la ville de Paris

L’insertion de l’écriture est un hommage à Georges Braque, dont vous devinerez d’ailleurs  le nom dans la dernière œuvre de l’exposition terminée juste avant son installation. Braque a en effet introduit des mots et des lettres dans le tableau Le Portuguais en 1911-1912.

« C’est mon lien avec Braque lui qui a  introduite des lettres et des chiffres en tant qu’éléments plastiques » (Entretien avec Renaud Faroux Art Absolument n° 62)

Si la lettre n’était pas tout à fait inexistante  dans la peinture de chevalet (signature de l’artiste, phrase biblique, nom du donateur), elle s’en était absentée de Courbet à Matisse avant de réapparaître discrètement avec Raoul Dufy peignant des affiches dans un paysage urbain, puis surtout avec Braque et Picasso en 1911.

A vous, de suivre la piste de l’écriture dans la peinture de Télémaque dans les oeuvres suivantes :

L’Annonce faite à Marie, 1959

Toussaint Louverture à New York, 1960

Ciel de lit, 1962

My Darling Clementine, 1963

Femme merveille, 1963

Voir ELLE, 1964

Olympia, 1964

Confidence, 1965

Convergence, 1966

Caca-Soleil !, 1970

Objets usuels, pour Vincent van Gogh ?

Coupe, n° 1, 1972

Le Silence veille à Saint-Marc (Haïti), 1975

L’Amour, n° 1, 1977

La Mère patrie, 1981

Mère-Afrique, 1982

Dérive, n° 2, 1983

Port-au-Prince, n° 2, 1987

Marée, 1987

Clôture martiniquaise, 1988

Caraïbe I (La ville des nègres, baie,

Fonds-des-Nègres), 1993

Le Voyage d’Hector Hyppolite en Afrique, n° 1, 2000

Deep South, 2001

De la Jeune flamande…au canal Saint-Martin, 2015

Dominique Brebion

Aica Caraïbe du Sud