466ème semaine politique: comment Macron rate son entrée en politique

Publié le 09 avril 2016 par Juan

Emmanuel Macron n'est plus un ovni. L'actuel ministre de l'économie s'est officiellement lancé cette semaine. Il n'est plus la chose a-politique et technicienne qui gouverne Bercy. Il veut convaincre l'électeur. Mais la démarche, revendiquée sincère et au-dessus des clivages, a viré au désastre, en pleine semaine de révélations des "Panama papers".

En marche ?
Emmanuel Macron choisit cette semaine de "Panama Leaks" pour présenter son mouvement. Il n'avait pas prévu. On se souviendra longtemps de cette coïncidence. La création de son parti date pourtant de février, mais Macron a tardé.
Ce lancement de ce parti est d'abord le fruit d'une déception personnelle, d'une bouderie du jeune ministre. Sa fausse modestie affichée cache mal son énorme déception de n'avoir de réforme majeure à son crédit, alors que le quinquennat Hollande touche à sa fin. De Macron-ministre, on se souviendra, peut-être, de la libéralisation du travail le dimanche et des transports en car. Pour un ministre de l'Economie si réformateur, le bilan est mince, même vu de droite.
"En Marche", c'est donc le nouveau parti d'Emmanuel Macron. Le narcissisme est assumé - EM, comme Emmanuel Macron. Mercredi 6 avril, l'actuel ministre est sur son estrade, à Amiens, devant une centaine de personnes triées sur le volet: ce n'est pas une "rencontre citoyenne", mais un lancement de produit. Ce n'est pas un meeting politique mais un micro-show 2.0 avec inscription préalables et filtrages, validations et "flash-code" individualisé.
Micro collé au menton, il présente son "mouvement politique qui ne sera pas à droite, qui ne sera pas à gauche". Ou plutôt "ni de gauche, ... ni de gauche". Ses fondateurs, ses soutiens, ses références et ses idées, tout arrime ce mouvement à la grande tradition du conservatisme libéral depuis Smith, Ricardo et les autres. Même les Français sondés ne s'y trompent pas: selon une récente enquête Odoxa, l'actuel ministre est jugé plus proche de Juppé que de Hollande par deux tiers d'entre eux. Macron peut être ministre de Hollande, et jugé premier ministre potentiel d'un Juppé président après 2017.
Pas belle, la vie ?
Macron joue donc à l'homme providentiel, il n'est pas le premier. Ses ancêtres s'appellent Lecanuet, VGE et Madelin. Ne dite pas à Macron qu'il s'agit d'un énième parti, comme ses statuts le confirment, il déteste. Comme Jean Lecanuet en 1965, Macron s'affiche "ni de droite ni de gauche". L'argument publicitaire est connu, il est vieux comme nos campagnes électorales.

Comme Valery Giscard d'Estaing en 1974 ou "la bande à Léo" en 1985, Macron veut "dé-ringardiser" la politique, "réformer la France".
"Je pense qu'on peut, par ce mouvement, refonder par le bas. De manière sincère, authentique, en vrai."
L'image est belle, l'arnaque puissante. Rapidement, le lancement d'EM vire au fiasco. 
En panne
Le site, ouvert dès mercredi, a des ratés au démarrage. Le lancement du parti est filmé et retransmis sur YouTube. Le spectacle attire peu. Le "live-stream" du show Macron à Amiens attire 7 874 visionnages et... 12 commentaires. Et la conclusion du discours, re-postée sur YouTube, à peine 1 300 vues dans la semaine. C'est un échec de curiosité.  Sur Twitter, le compte @Enmarchefr est ouvert, illustré par une photo du jeune ministre inversée de celle de son profil officiel. "Ni de droite, ni de gauche", il y a des conseillers en com' qui ont du penser que l'astuce serait efficace. Cette gadgetisation à l'extrême fait rire.
La campagne de Macron est "sincère, authentique et vraie" comme une promotion pour Monsanto. De l'OGM politique à l'arrière-goût néo-libéral.
Mediapart révèle ensuite comment "le patronat héberge le siège du nouveau parti:" une amie du ministre et épouse du dirigeant d'un fameux Think-tank patronal prête son adresse au nouveau parti pour son siège social.
Un clip publicitaire bidonné est ensuite diffusé sur YouTube et Dailymotion. "Une vidéo qui ressemble à s'y méprendre à celle d'un ancien candidat, assumé cette fois, à la présidence de la République: Nicolas Sarkozy "commente le Figaro. "Intitulée «La France d'après» et datée de 2006, le clip préparait la campagne du futur président, élu en mai 2007."
Le lendemain, le Petit Journal de Canal+ révèle que les images du clip, censées illustrer cette France "en marche", de façon "sincère, authentique, en vrai", sont toutes  issues de banques d’images étrangères, certaines même photosphées et truquées, ou copiées/collées d'un clip de campagne de Bernie Sanders (sic!). La politique publicitaire a encore fait des ravages.  "On a du mal à en trouver des Français, dans le clip", s'amuse Yann Barthès. Il n'y en a pas.  La nouvelle de ce bidonnage a un effet désastreux.
Sur les réseaux sociaux, on rigole, on raille, on s'amuse de la démarche préfabriquée.
Le clip bidonné d'Emmanuel Macron

Les premiers responsables du mouvement de Macron ont le profil type de l'Uber-économie mondialisée chère au ministre de l'Economie: entrepreneur à succès, banquier, capital-risqueur. N'y cherchez pas d'assistante sociale, d'employé de bureau, de prof, d'ouvriers ni de flic de quartier. La structure de classe est la première image qui frappe dans ce nouveau: blanc, mâle, riche. Politiquement, on retrouve des anciens strauss-kahniens, orphelins de leader depuis la chute de leur mentor en 2011.
Au Parti socialiste, on ricane, ou on tance. Valls, Ayrault ou Cambadelis se succèdent pour rappeler que les clivages politiques existent. A droite, on applaudit. Le patron du MEDEF loue "l'initiative" qu'il trouve "rafraichissante". Le sénateur Jean-Pierre Raffarin apprécie aussi: "Il n'y a aucune incompatibilité entre Emmanuel macron et Alain Juppé. "
Qui en doutait ?
Ce que sait Macron de Panama
Le jeune ministre lance donc son parti l'exacte semaine de la publication des Panama Papers
"en tant que citoyen et contribuable", il se déclare "choqué".
Sans blague ? 
Emmanuel Macron n'a pas été surpris par les révélations. En premier lieu, ses quatre années dans une banque d'affaires avant de rejoindre la Hollandie triomphante l'ont nécessairement affranchi sur les méandres de l'évasion et de la fraude fiscales internationales. Il est impensable d'imaginer autre chose. Ministre de l'Economie, il n'est pas directement en charge du fisc. Mais il connait le sujet. Sa propre loi l'an dernier comprenait une mesure de protection du secret des affaires., avant que les députés ne la fasse sauter.
Lundi, 107 rédactions, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), publient simultanément les résultats d'une gigantesque analyse sur 11,5 millions de fichiers d'archives d'un cabinet d'avocat panaméen dénommé Mossack Fonseca. Ce dernier, fondé par le fils d'un ancien Waffen SS et un ancien responsable de la dictature panaméenne dans les années 1970, a étendu son empire.
Le choc est large, international, politique et moral. Il nous donne "le tournis, le vertige et la nausée", résume l'éditorialiste du Monde, mardi 5 avril. Quelques noms sont jetés en pâture, chaque pays, démocratie ou dictature, a son lot de personnalités prises la main dans le sac. Un premier ministre  démissionne (en Islande); un autre, britannique, s'excuse piteusement à la télévision d'avoir hérité de 40 000 euros cachés de son papa. Des chefs d'Etat par dizaines - Assad, Poutine, Mohammed VI, Bouteflika, les "aristocrates rouges" de Chine - de riches fortunes particulières et des entreprises. En France, la Société Générale est encore pointée du doigt - près de 1000 comptes offshore débusqués, alors que la banque française n'en concède qu'une dizaine. Jean-Luc Mélenchon est le seul homme politique à réclamer une mise sous tutelle de la banque. Laquelle l'attaque en diffamation... un monde à l'envers.
On retrouve aussi Jérôme Cahuzac et les époux Balkany, mais aussi Jean-Marie et Dany Le Pen, et deux très proches de Marine Le Pen. Jeudi, cette dernière dément, un article du Parisien à l'appui: devant quelques journalistes, accompagnée de ses députés (Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard) et sénateurs (David Rachline) - signe du stress politique provoqué par ces révélations, elle clame que son parti sort "tête haute et mains blanches". Pour preuve, le "prestataire" du FN mis en cause aurait réglé tous les impôts dus sur les sommes qu'il a placées dans ces paradis fiscaux.
"Le document démontre que le prestataire du FN n'a en aucun cas fraudé, ni détourné, ni camouflé, ni dissimulé aucune somme, que sur cet investissement effectué à Hong Kong, cet impôt a été payé, déclaré, cet investissement a été déclaré dans la liasse fiscale de l'entreprise" Marine Le Pen, 7 avril 2016.
Dans sa défense, Marine Le Pen est habile. Le Pen rejoint, sans l'avouer, l'argument du patron du MEDEF: "Tous ceux qui sont passés par le Panama ne sont pas des fraudeurs". Le Monde n'accusait pas Frédéric Chatillon le prestataire de fraude, mais simplement d'évasion fiscale. Ce que Marine Le Pen ne dément pas. Oui, l'évasion fiscale est légale. Mais est-elle morale ?
Ces Panama Papers illustrent autre chose que ces quelques gros scandales: l'ampleur et les ramifications de l'évasion fiscale, comment et avec quelles crapules elles s'organisent.
Jour assis, nuit debout
Quand il réclame un renouveau "ni de droite ni de gauche" qu'il incarnerait prétendument, Emmanuel Macron confond clivages et classe politiques. 
L'aréopage actuel qui compose l'essentiel de notre paysage politique est disqualifié; les citoyens ne croient plus en une parole politique rarement suivi d'effets et souvent contredite par des trahisons immédiates; ils sont lassés par l'endurance des ténors et sous-ténors français que l'on voit défiler sur nos écrans médiatiques pendant des décennies malgré leurs échecs personnels. Mais ces rapides constats n'effacent pas la réalité des clivages et d'une lutte des classes inouïes.
La vraie révolution est ailleurs. Loin de ces meetings publicitaires et de ces clips bidonnés par des agences libérales pour le service d'un jeune ex-banquier qui se voit un destin national. Elle est dans la rue, la vraie, et les esprits. Il n'est pas dit qu'elle réussira. Mais toute la semaine, le mouvement Nuit Debout s'étend. Une à une, nos villes françaises voient fleurir des rassemblements nocturnes spontanés et sans leader. Des gens d'horizon divers, plus divers que toutes les macronneries bidonnées de ces derniers jours, échangent, discutent, se réapproprient le débat politique. La démarche spontanée, flanquée d'une contestation jeune et heureusement têtue de la loi Travail, indispose les éditocrates protégés de nos médias nationaux. Le philosophe médiatique Raphael Enthoven exécute les "enfants gâtés" de la Place de la République.
Le trio Hollande/Valls/Macron ont joué les catalyseurs du mouvement. A force de trahisons, jusqu'à la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité et la loi El-Khomri, ils ont forcé ces milliers de citoyens à sortir exprimer leurs nausées, leur rage, leur envie d'autre chose. L'échec des autres contestations politiques plus institutionnelles comme le Front de gauche a fait le reste. Les comparaisons avec Podemos et les Indignés ont forcément fleuri. On s'interroge aussi, à juste titre, sur la suite politique du mouvement. Comme le parti pirate islandais, crédité de 40% des intentions de vote pour les prochaines élections anticipées, ou Podemos et Ciudadanos , en Espagne, des mouvements réellement citoyens, à des années-lumières de la construction artificielles des Macronneries du moment, le mouvement Nuit Debout est le signe d'un ras-le bol.
Le 14 avril, Hollande parle à la télévision. On promet des "annonces".  Mais qui s'en soucie encore ? "On est quatre ans après l'élection présidentielle, un an avant la prochaine, c'est le bon moment pour remettre en perspective le quinquennat, le valoriser" ose commenter proche anonyme.
Qu'un ministre de l'Economie, par ailleurs ex-banquier, s'imagine incarner la relève post-politique et uberisée de la société illustre jusqu'où la classe dirigeante est tombée. 
Très bas.

Ami citoyen, ne sois pas dupe.