Ctrl-X, de Pauline Peyrade, au Poche, à Genève

Publié le 11 avril 2016 par Francisrichard @francisrichard

Ce soir, c'était la création au Poche de Genève, d'une pièce de Pauline Peyrade. Une pièce novatrice et en même temps éternelle, puisque les trois unités de temps, de lieu et d'action, qui étaient de règle jadis, s'y trouvent d'une certaine manière réunies: une nuit, une chambre et le tourment d'une femme, dont l'esprit passe par des hauts et des bas.

Ctrl-x est une fonction qui permet de couper un texte sélectionné pour le coller à un autre endroit. Ce titre évoque donc le découpage. Et la pièce est composée de rien de moins que de 220 fragments, qui semblent avoir été découpés et collés les uns à la suite des autres dans un désordre apparent: sites Internet, messages électroniques, textos, dialogues...

En fait ces fragments sont les morceaux d'un puzzle, placés bien au contraire dans un ordre délibéré, permettant à mesure que l'action progresse de reconstituer la personnalité de la jeune femme en question, Ida (Laureline Lebris-Cep), une jeune femme d'aujourd'hui, à l'intimité de laquelle, corps et âme, participe le spectateur, qui se fait voyeur de bon ou mauvais gré.

La scène se déroule dans une chambre, à l'abri des regards mais connectée au monde extérieur par tous les outils actuels, avec ou sans fil: téléphones (fixe et mobile), ordinateur et digicode munis de cam. Cette chambre est un cocon avec lit, fauteuil et lampe, qui donne par une grande baie vitrée sur des falaises d'immeubles aux fenêtres éclairées, mais c'est un cocon poreux.

Au début de la pièce, une phrase, inscrite en lettres lumineuses, en est en quelque sorte l'épigraphe et lui donne ses deux sens, direction et signification:

August 1, 1997

Love? What is it?

Most natural painkiller what there is.

LOVE

William S. Burroughs,

5 février 1914 - 2 août 1997

(on remarque au passage que la mort de l'auteur survient le lendemain de l'écriture de cet aphorisme...)

Pendant cette nuit qui défile en accéléré - la durée de la pièce est d'une heure - Ida passe donc par des hauts et des bas. Et ces hauts et ces bas sont comme aiguillonnés par les intrusions téléphoniques insistantes de sa soeur Adèle (Agathe Raboud) et de son amant Laurent (Adrien Guiraud), qu'ils soient échanges vocaux ou textos, et par les recherches qu'Ida fait sur Internet.

L'une de ses recherches sur Wikipédia a plus d'impact sur Ida que les autres, celle qu'elle effectue sur son ancien amant, le photographe Pierre K (Adrien Guiraud), qui, lui, l'avait reconnue: elle ne semble pas avoir fait le deuil de leurs amours défuntes et être dans l'incapacité, lunatique qu'elle est, de les remplacer par d'autres amours qui feraient disparaître sa douleur.

En d'autres temps, ses états auraient mis des jours, voire des semaines ou des mois, à se succéder dans son âme, mais le numérique a la vertu, ou le vice, de raccourcir les intervalles de temps qui s'écoulent entre eux. Le virtuel accentue de même par sa nature propre la confusion souvent faite par les êtres humains entre fiction et réalité.

Ce qui est novateur dans cette pièce, c'est donc ce découpage en fragments et non pas en scènes et actes. La mise en scène de Cyril Teste est fidèle à ce découpage, qui reflète bien au fond les brusques changements d'humeur d'Ida. Qui ne reste d'ailleurs pas longtemps en place: elle boit des verres de Los Vascos, elle vapote, elle déambule, elle pianote sur son ordi, elle se caresse...

Son smartphone vibre. Son fixe sonne. Ida y répond ou pas. Quand elle parle à Adèle ou à Laurent par leur truchement, elle finit par se disputer avec eux. Les images d'elle, des sites qu'elle visite ou des mails qu'elle a reçus, sont projetées depuis son ordi sur le fond de la scène et accentuent la discontinuité qui ressort volontairement de cette pièce à fragmentation.

Ce n'est donc pas seulement à des paroles échangées que le spectateur assiste mais à de nombreuses représentations de l'activité humaine. Si, comme le disait Shakespeare, La vie est un théâtre et chacun y joue un rôle, dans ce théâtre, le monde connecté y joue, comme dans la vraie vie actuelle, un rôle non négligeable et lui apporte d'autres dimensions, vidéos et effets de lumière à l'appui.

Francis Richard

Représentations:

Du 11 avril au 1er mai 2016

Les lundis, jeudis et samedis à 19:00

Les mardis et mercredis à 20:30

Les dimanches à 15:00

Adresse:

Rue du Cheval Blanc 7, 1204 Genève

Réservation:

+41 (0)22 310 37 59

ou http://poche---gve.ch/info-billetterie_/