Marthe Davost, la voix qui vient de l’âme

Par Artetvia

Bonjour Marthe, peux-tu te présenter aux lecteurs d’Artetvia ? Comment devient-on chanteuse lyrique ?

J’ai commencé le chant très jeune : à l’âge de 8 ans, je suis entrée à la Maîtrise de Bretagne. J’y ai appris, entre autres, à lire rapidement de la musique et à me confronter au public. Nous étions en représentation tous les quinze jours. Donc, assez naturellement, j’ai été confrontée à la gestion du stress – quand on est jeune, on se rend moins compte, c’est plus simple et plus tard on essaie de se souvenir de cette spontanéité d’antan ! Et j’avoue que cette expérience m’est encore utile.

A l’adolescence, au Conservatoire de Rennes, j’ai commencé à apprendre le clavecin, l’harmonie et aussi quelques cours sur l’histoire de la musique. Je jouais surtout de la musique baroque et chantais beaucoup ce répertoire, que j’élargis notamment en ce moment au CNSM.

Après un passage d’un an dans le chœur de l’opéra de Rennes et dans un ensemble vocal professionnel (Mélismes), j’ai intégré la Maîtrise de Notre-Dame de Paris.

Peux-tu nous en dire deux mots, car on l’a tous entendue… sans vraiment la connaître ?

En fait, c’est loin d’être une « simple » chorale de cathédrale. C’est un engagement à plein temps. Il y a une solide formation : cours de chant, d’harmonie, de direction de chœur, de chef de chant, d’allemand et d’italien ! Et puis, les offices à chanter, et bien sûr les concerts de la saison. Honnêtement, c’est une excellente école. D’ailleurs, aujourd’hui, beaucoup d’admis au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (CNSM – l’Ecole Normale Supérieure ou l’école Polytechnique de la musique, le top quoi ! – Note d’Artetvia) viennent de la Maîtrise de Notre-Dame. Par exemple, en ce moment, nous sommes à peu près une dizaine de chanteurs à venir de là.

Tu es maintenant au CNSM ?

Oui, j’ai réussi le concours. Je finis ma quatrième année. C’est une école passionnante où l’on se perfectionne sous la coupe de musiciens de très grands talents. Mais j’ai déjà des activités professionnelles.

Lesquelles ?

Je chante régulièrement en tant que soliste pour des oratorios ou des récitals. Je chante aussi régulièrement à Notre-Dame de Paris pour la grand’messe de certains dimanches (matin et soir) en quatuor. Nous avons le choix du programme, c’est très agréable et stimulant artistiquement. Par ailleurs, je suis intéressée aussi par la pédagogie et je donne quelques cours de chants, je participe à des stages pour sensibiliser le personnel médical – notamment en service psychiatrique – à la musique et au chant. J’apprécie de pouvoir transmettre ma passion du chant à tous ceux qui ne connaissent pas la musique dite « classique », et ils sont nombreux. Pour moi, c’est un facteur d’enrichissement personnel et de cohésion culturelle et sociale. Et j’ai aussi un ensemble, Lux Aeterna

Justement, parlons-en, c’est un projet que de nombreux lecteurs ne connaissent certainement pas.

L’idée est simple : replacer la musique sacrée dans son contexte liturgique pour laquelle elle a été composée. En bref, nous chantons des pièces connues ou moins connues au cours de messes, vêpres, etc… L’ensemble des artistes sont professionnels. C’est un projet auquel je tiens car il réunit des artistes (chrétiens ou non) intéressés par une approche de la musique sacrée que j’ose qualifier de plus authentique dans la mesure où les œuvres ne sont pas données en concert mais dans leur cadre initial qui est celui de la liturgie. D’autre part, cela permet aux paroisses de faire l’expérience de cette musique, tout en ne tombant pas dans le travers d’une messe-concert. L’Eglise a été source de création et de diffusion artistique pendant des siècles et cela permettait aux gens de toutes classes sociales confondues d’entendre cette musique lors du culte et donc bien sûr gratuitement, quoi de plus gratuit en acte que la liturgie ?  Et c’est une musique qui, en elle-même, porte à la prière : elle a été écrite pour cela.

Tu as des compositeurs préférés ?

C’est difficile à dire. En général quand je rentre dans le travail d’une œuvre j’en viens assez rapidement à l’apprécier. Bon, mais bien sûr, il y a Bach… Sinon, j’aime beaucoup les compositeurs français du début du XXe siècle : Poulenc, Debussy, Ravel, Hahn, Duruflé, Messager… Mais tant d’autres aussi, et le monde de l’opéra me passionne bien sûr !

Pour toi, qu’est-ce que chanter ? C’est une question redoutable et sans fin, mais bon…

Oui c’est une question qu’on met sans doute une vie à résoudre ! Mais je dirais que pour moi, le travail du chant, c’est une recherche d’unité de l’être. On allie matière et émotion, souffle et résonnance, voix et expression. Hildegarde de Bingen disait que « le corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient faire ses gammes », elle disait aussi que « le corps est le vêtement de l’âme et la voix de l’âme est vie ; aussi il faut que le corps chante les louanges de Dieu avec l’âme grâce à la voix ». L’âme ne va pas sans le corps et l’esprit et vice versa. Et pour moi le chant est l’une des activités humaines qui requiert impérativement cette unité  de l’âme, du corps et de l’esprit. Tout l’être entre en vibration et c’est un travail long et patient d’apprendre à puiser dans les ressources du corps, chaque jour plus profondément, pour que la voix puisse se déployer. L’une a besoin de l’autre… Et, tout ce travail technique est un moyen pour que l’âme puisse colorer le chant de mille et une nuances musicales et expressives. Si, aujourd’hui, on arrive à décrire le phénomène « anatomique » du chant, personne ne peut épuiser le concept de la voix humaine et des émotions qu’elle est capable de transmettre.

Il n’y a pas un danger de « perdre les pédales » ?

Si, bien sûr, comme au théâtre. Il faut rester présent au réel de la vie de tous les jours. Les artistes sont souvent des personnes très sensibles qui trouvent dans l’expression de leur art un moyen de dire l’indicible ou qui, par le biais de personnages fictifs, peuvent exploiter des émotions et états amoindris dans la vie quotidienne. La scène permet d’explorer l’être humain sous toutes ses coutures, de ses aspects les plus rebutants et méprisables jusqu’aux sommets de l’héroïsme ou de la grandeur d’âme…  Sur scène, on prête notre corps et notre âme à d’autres et on se met à nu pour cela. C’est pour cela que je crois qu’il faut savoir garder une distance et garder à l’esprit le cadre professionnel de ce que l’on fait. Mais pour les chanteurs il y a le chant qui met déjà une distance entre la scène et la vie réelle, nos personnages ne savent pas qu’ils chantent mais nous, nous le savons et heureusement pour nos concitoyens !

Des projets ?

Je n’ai pas de « plan de carrière » tout tracé, je prendrai ce que les opportunités proposeront si elles correspondent à  ce que je souhaite exprimer avec ma voix ! Mais je n’attends pas que cela tombe du ciel et j’auditionne à droite, à gauche pour me faire entendre. J’ai aussi des idées plus personnelles comme celle de  créer un duo humoristique, mêlant chant et théâtre. Et bien sûr, j’aimerais continuer à faire découvrir le chant à ceux qui ne le connaissent pas. Dans tous les cas, cela doit rester pour moi une joie de chanter.

Merci Marthe !

http://ensembleluxaeterna.net/

Vous pourrez écouter (et admirer) les voix de Marthe Davost et de l’ensemble Lux Aeterna au cours des vêpres de l’Ascension, jeudi 5 mai 2016 en l’église Sainte-Elisabeth-de-Hongrie (IIIe arrondissement) à 18h. Venez nombreux !