[Critique] DALTON TRUMBO

Par Onrembobine @OnRembobinefr

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Titre original : Trumbo

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Jay Roach
Distribution : Bryan Cranston, Diane Lane, Helen Miren, Louis C.K., Adewale Akinnuoye-Agbaje, David James Elliott, Elle Fanning, John Goodman, Michael Stuhlbarg, Dean O’Gorman…
Genre : Biopic/Drame/Adaptation
Date de sortie : 27 avril 2016

Le Pitch :
À Hollywood, alors que la Guerre Froide bât son plein, la chasse aux sorcières ne cesse de défrayer la chronique. Plusieurs personnes accusées de communisme sont ainsi emprisonnées par les autorités. Des anonymes, mais aussi des personnalités, à l’image de Dalton Trumbo, l’un des plus grands scénaristes, dont le nom atterrit rapidement sur la fameuse Liste Noire. Mais Trumbo n’est pas du genre à baisser les bras. Avec l’aide d’autres scénaristes eux aussi touchés et de sa famille, il va contourner l’interdiction de travailler qui pèse sur lui et signer plusieurs scripts sous des noms d’emprunt, dont certains contribueront à nourrir sa propre légende et à l’imposer plus que jamais comme l’une des personnalités les plus emblématiques et combatives de son époque…

La Critique :
En France, Dalton Trumbo est principalement connu pour avoir écrit (d’après son propre roman) et réalisé le film Johnny s’en va-t-en guerre. Il reste aussi bien sûr populaire pour avoir écrit Papillon, de Franklin J. Schaffner, Exodus, d’Otto Preminger et Spartacus, de Stanley Kubrick, sans oublier Vacances romaines, de William Wyler. Et c’est justement ces trois derniers longs-métrages qui se retrouvent au centre du biopic de Jay Roach.
Un long-métrage qui ne remonte pas à l’enfance de Dalton Trumbo mais qui prend pied pile poil au moment où la chasse aux communistes commençait à créer plusieurs remous d’envergure dans la société américaine.

Pas de flash-backs dans Dalton Trumbo, pour expliquer le combat et les convictions profondes de l’écrivain, mais un récit très linéaire, censé illustrer ce que fut son existence alors que tout un pays se liguait contre lui pour le priver de son droit de travailler, mais aussi de sa liberté. Dans un premier temps, on est agréablement surpris par le stratagème du film, qui semble donc ne pas embrasser d’emblée tous les codes séculaires du biopic hollywoodien. La joie est pourtant de courte durée tant le script, il faut le dire bien loin de la complexité et de la profondeur de ceux que pouvait signer Trumbo, est d’une linéarité assez flagrante. En réalité, il n’est pas ici vraiment question de Dalton Trumbo, mais de Dalton Trumbo pendant la chasse aux sorcières. Malheureusement et étrangement, le film n’est pas non plus véritablement un film sur la chasse aux sorcières, mais plutôt sur la chasse aux sorcières à Hollywood, vue à travers la lutte de Dalton Trumbo, soit l’une des personnalités les plus célèbres qui fut touchées. C’est à dire qu’il n’y aucune mention claire à son œuvre la plus personnelle (Johnny s’en va-t-en guerre) puisque celle-ci ne s’inscrit pas dans le cadre du combat Trumbo vs le gouvernement anti-communiste. Sa façon de travailler n’est pas au centre de la dynamique du récit, si on fait exception des scènes où on le voit écrire dans sa baignoire, ce qui est mince compte tenu du caractère atypique de l’artiste. Pareil pour sa vie de famille. Tout converge vers un seul et même thème à savoir le désir d’un homme d’imposer son art et sa façon de penser envers et contre tous à une époque où les convictions politiques pouvaient vous mener en prison. Même observation en ce qui concerne le maccarthysme dans sa globalité. On évoque rapidement les Rosenberg, mais on s’en tient à Hollywood et plus précisément à Trumbo à tel point que quelqu’un, les plus jeunes en particuliers, qui ne serait pas aux faits des implications de la chasse aux sorcières, devra se contenter de rares annotations et d’allusions pour comprendre véritablement de quoi il retourne.
L’idée sur laquelle repose toute l’entreprise partait ainsi d’un bon sentiment, mais l’exécution manque de clarté, de recul et d’efficacité. Trop sage, le scénario se contente de relater certains faits et échoue à de nombreuses reprises à illustrer avec pertinence les relations entre certains personnages, tout comme il manque le coche quand il s’agit de brosser avec clarté son époque, quand d’autres auraient carrément pu faire un pont avec notre société, qui par bien des aspects aurait pu se reconnaître dans celle de l’Amérique de la Guerre Froide.

À la réalisation, Jay Roach, un réalisateur, rappelons-le, spécialisé dans la comédie pure et dure (on lui doit la saga Austin Powers, mais aussi Mon Beau-Père et Moi et sa suite) adopte quant à lui tous les clichés inhérents à l’exercice. Pourtant déjà responsable d’un brillant film politique sur John McCain et Sarah Palin (Game Change), il semble un peu perdu et n’arrive pas à matérialiser une émotion qui pourtant cherche à percer à plusieurs reprises. Concernant Roach, l’échec n’est bien sûr pas total, mais il faut tout de même reconnaître à sa mise en scène un manque d’audace. Tout est trop académique pour pouvoir rattraper les faiblesses du scénario. Tout ceci manque de rythme et si certaines séquences, notamment celles qui voient intervenir les célébrités de l’époque, Kirk Douglas et Otto Preminger en tête traduisent une bonne volonté manifeste, sa réalisation manque de sel. Elle est propre, appliquée et pleine de bonne volonté, mais finalement trop lisse. Et encore une fois, c’est bien parce qu’on parle d’un homme comme Dalton Trumbo qu’il est crucial d’insister sur ces points.

Finalement, le seul qui a su comprendre et rendre pleinement justice au personnage, reste Bryan Cranston. Lui, pas de doute possible, il est parfait. Avec un respect et un courage flagrants, il tire en permanence le long-métrage vers le haut, sans jamais se départir d’un sens de la mesure admirable. L’histoire, la vraie, il n’y a guère que lui qui sait la raconter en adoptant la bonne tonalité, épaulé par plusieurs comédiens parfaitement à leur place, Louis C.K., Elle Fanning, Diane Lane et John Goodman en tête, pour ne citer qu’eux. Voir cet admirable casting œuvrer pour donner de la substance à une histoire qui, sur le papier, est loin d’en manquer, mais dont l’impact ne trouve pas une résonance à la hauteur dans le scénario, constitue un spectacle à part entière.

Loin d’être raté, Dalton Trumbo reste un biopic d’un classicisme presque hors sujet. Il fait le job proprement, aidé par des comédiens investis et par une production design de toute beauté, mais ne prend pas le risque d’aller chercher plus loin.
L’histoire de Dalton Trumbo méritait d’être racontée. Rien que pour cela, il fallait que ce film existe. Dommage que celui-ci n’aille pas au-delà des strictes limites de son script pour donner de l’ampleur à ses thématiques. En cela, il rate un peu le coche, mais si il peut encourager à lire sur Trumbo, à (re)voir ses films, pour combler les trop nombreuses ellipses et comprendre véritablement de quoi il retourne, tout en prenant la mesure de l’importance du travail de l’homme, il aura d’une certaine façon au moins réussi à attirer l’attention du public sur Trumbo et sur son œuvre…

@ Gilles Rolland

  Crédits photos : UGC Distribution