MONDE > Jacques Baud : "Le jihad est un mouvement de résistance"

Publié le 05 mai 2016 par Fab @fabrice_gil
Les attentats de Paris et de Bruxelles ont stupéfié l’opinion européenne. Ils ne sont pourtant pas vraiment étonnants, affirme Jacques Baud, ancien analyste des services de renseignement stratégique suisses.

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Jacques Baud parle de son livre « Terrorisme - Mensonges politiques et stratégies fatales de l’Occident » I ©Capture d’écran


"Je monte sur mon bureau pour ne pas oublier qu’on doit s’obliger sans cesse à tout regarder sous un angle différent". C’est par cette phrase, ce conseil du professeur de lettres (Robin Williams) dans Le Cercle des poètes disparus que commence "Terrorisme - Mensonges politiques et stratégies fatales de l’Occident", livre fraîchement paru en librairie, qui s’impose comme l’un des plus décapants jamais publiés sur le phénomène jihadiste. Un ouvrage si dévastateur qu’il prêterait au scepticisme s’il n’était solidement documenté et rédigé par un spécialiste confirmé du sujet, Jacques Baud, ancien analyste des services de renseignement stratégique suisses et cofondateur du Service de renseignement opérationnel de l’ONU,organisme dont il a dirigé la première unité, au Soudan, au milieu des années 2000. "La vague djihadiste actuelle représente essentiellement un mouvement de résistance aux attaques illégitimes perpétrées par l’Occident au Moyen-Orient. Or, l’Occident y a répondu en aggravant son cas, soit en intervenant toujours plus dans la région sur la base de mensonges et sans mandat des Nations unies. Son comportement a eu pour effet de nourrir davantage encore la réaction de rejet".Engrenage irréversibleIl remonte à la première Guerre du Golfe, traduite par l’installation des forces américaines en Arabie saoudite malgré l’opposition du gouvernement et de la population. "La situation a commencé à mal tourner lorsque les Etats-Unis ont décidé de maintenir leur présence dans le royaume au-delà des délais fixés. De premiers attentats ont eu lieu sur place en 1995 pour convaincre Washington de retirer ses troupes… mais sans succès. Les jihadistes ont alors multiplié leurs opérations dans un rayon toujours plus large". Les attentats du 11 septembre "ont souvent été présentés comme le début d’une guerre. Mais c’est faux. Ils s’inscrivent dans le conflit engagé au milieu des années 1990 autour de la présence américaine en Arabie saoudite. Ils ont représenté des réponses aux bombardements menés en 1998 par les Etats-Unis au Soudan et en Afghanistan. Des bombardements qui avaient paru contre-productifs à beaucoup". Ces frappes ont été présentées comme des ripostes aux attentats sanglants perpétrés deux semaines plus tôt contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar es Salam. Mais ces mêmes frappes ont été conduites avant même que l’identité des coupables n’ait été découverte -elle ne l’est toujours pas à ce jour- et contre des cibles indépendantes de ces événements ; Soit une usine de médicaments et des camps d’entraînement destinés au jihad dans le Cachemire indien. "Les avions utilisés le 11 septembre 2001 se voulaient une réplique des missiles employés trois ans plus tôt".Attentats de Paris et de BruxellesSelon Jacques Baud, les jihadistes pratiquent en Occident la stratégie militaire que les Alliés ont conduite en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils frappent les populations civiles pour exiger de leurs gouvernements la fin des hostilités. Entre les deux existe une différence de moyens : des bombardiers d’un côté, des kamikazes de l’autre. Et des organisations comme Daesh et Al-Qaida dans la Péninsule arabique décrivent clairement leurs intentions, en assumant totalement l’usage du terrorisme. Peu à peu, lesdites organisations tentent d’imposer leur loi en Occident. "C’est là une idée courante. Les responsables occidentaux ont tendance à interpréter les événements actuels à l’aune de leur expérience, soit du terrorisme d’extrême-gauche des années 1960-1970, des Brigades rouges et autres Fraction armée rouge qui avaient pour but de transformer la société. Mais les terroristes jihadistes n’ont pas du tout cette ambition. Contrairement à leurs devanciers, ils ne disposent d’aucun relais susceptible de transformer leurs opérations militaires en succès politique ; Là n’est pas leur motivation"Désormais, l’Europe est entrée dans un cercle vicieux. Des pays comme la France et la Belgique n’avaient sans doute aucune raison de se mêler au conflit irako-syrien, d’autant que leur contribution ne pèse guère : le premier pays compte 5% des frappes, le second seulement 1%. "Paris a réagi de manière particulièrement absurde à l’attentat contre Charlie Hebdo en bombardant la Syrie, alors que les attentats avaient été revendiqué par Al-Qaida dans la Péninsule arabique. La seule issue raisonnable serait un retrait occidental du Moyen-Orient. Mais les capitales concernées ont à cœur d’opérer sans perdre la face, alors…" FG