(De notre envoyé spécial.) Salonique, 5 mai. Cette nuit, à une heure vingt, l’électricité s’éteignit dans les chambres. Tout de monde ouvrit les fenêtres : belle nuit pour les zeppelins, dit-on. Une demi-heure passa et soudain au-dessus de la rue principale, un gros bruit de moteurs s’entendit. Voilà ! Voilà ! cria-t-on, mais on ne voyait encore rien. Le ciel était piqué d’étoiles, la voie lactée était épaisse. Le voilà ! Cette fois c’était vrai. Sur le fond bleu sombre du ciel, long cigare opaque, il apparaissait. Il n’était pas à plus de huit cents mètres. La même pensée vint à chacun : pourquoi si bas ? On eût dit qu’il consentait sans nécessité à être vulnérable. À peine l’avais-je aperçu que les projecteurs des vaisseaux le prenaient dans leurs traînées lumineuses. Le monstre était démasqué. Poignant et tragique spectacle ! Celui qui voyage de nuit pour ne pas être vu voguant dans une auréole de feu, il obliquait, cherchant à fuir le rayon, mais le rayon le traquait ; la mort déjà le baignait. Les canons de la flotte commencèrent à tirer les premiers coups. Il sembla à tous impossible, tellement il était visible et bas, que le tir de l’atteignît pas. Les shrapnels, les fusées éclairantes montaient vers lui, ce qui faisait que le ciel, cette nuit pleine d’étoiles filantes, paraissait en féerie. Les shrapnels l’entouraient. Touché ! criait-on à chaque éclatement. Mais au dixième, réellement, on sentit qu’il venait de l’être. On le vit, si l’on peut dire, se trouver mal, mais il continua. Il arriva au bout de la longueur de traînée lumineuse et se perdit dans le ciel sombre. Qu’allait-il advenir de lui ? Voici ce qui advint : Touché au-dessus de la ville, il s’est senti descendre ; ne voulant pas tomber dans la mer, il jeta quatre bombes pour se délester ; il remonta et fila vers la côte et vers le Vardar, là il atterrit. L’équipage se voyant dans nos lignes, mit le feu au zeppelin et s’enfuit. On est à sa recherche ; on suit sa trace par les vêtements qu’il abandonne en chemin.
Le Petit Journal, 6 mai 1916