Nous glissons sous la porte. l’air est saturé et la chaleur suffocante.
… Les journées passées dans les plis sont plus longues que les autres. Leurs odeurs ne nous suffisent plus. La faim et le froid nous gagnent.
Dans ce bestiaire de poche, je pense à Michaux, un Michaux revitalisé, re- narrativisé sous les paillassons, sous le seuil, aventure permanente, étonnante, qui renoue avec l’imaginaire enfantin de la surprise et de la cruauté
Je me souviens, plus ou moins honteusement, avoir arraché un jour les pattes d’une araignée, coupé un ver de terre en deux. Je me souviens aussi de cette phrase, issue d’un atelier d’écriture : J’aime la nature mais les lapins n’arrêtent pas de me fixer. Dans les documentaires de Jean Painlevé, les yeux des poissons palpitaient, collés à la caméra, dans le livre de Giovannoni nous sommes affectés, attendris par les petites et grosses bêtes, Les Moches qu’il avait décrits dans un livre précédent (éd Les Mains), en vers courts avec des enjambements. Il arrive que le rapport d’échelle s’inverse, que le gros prenne la place du petit :
Le museau des vaches entre les planches. Leur souffle chaud et leurs langues humides sur nos mains. Celles du fond voudraient aussi du pain, de l’herbe des talus. Tendent le cou. La peur envahit l’espace…. Les wagons à bestiaux vont repartir. Nos voix se brisent. Plus rien ne sonne pareil. Un à un les wagons disparaissent dans le tunnel.
A l’heure où les grands de la planète libérale se réunissent (Etats-Unis, Europe), pour signer des accords commerciaux (sous le sceau du secret), nous allons pouvoir consommer une nourriture moins chère, en grande quantité (boeufs dopés aux hormones, aux antibiotiques, poulets nettoyés au chlore). Si nous devons nous révolter, que ce soit à travers ce livre attachant, émouvant. L’attention portée aux négligés, au négligeable, peut favoriser une prise de conscience. La citoyenneté n’empêche pas la poésie d’affleurer ici et là derrière un grillage, sur le museau d’une vache.
Nous leur donnons des noms sans nous mettre d’accord. Nos voix se brisent.
Véronique Pittolo
Jean-Louis Giovannoni, Sous le seuil, éditions Unes.