Critique Ciné : Julieta (2016)

Publié le 19 mai 2016 par Delromainzika @cabreakingnews

Julieta // De Pedro Almodovar. Avec Emma Suarez, Adriana Ugarte et Daniel Grao.


Présenté en compétition au Festival de Cannes 2016, Julieta est un retour aux sources pour Pedro Almodovar. Ce dernier m’avait déçu avec Les Amants Passagers (2013) et il n’avait rien fait de nouveau depuis. On retrouve avec Julieta les éléments dramatiques qui lui sont chers et les questionnements qu’il aime porter sur la relation filiale, sur la mort, sur tout un tas de choses de la vie. Le film est simple et pourtant si complexe. Il y a plusieurs niveaux de lecture possible, plusieurs choses à raconter au travers de plusieurs passages de la vie de Julieta. Cette dernière part d’une escapade dans un train, d’une rencontre sur fond de malheurs et de fin sur fond de malheur également. Le film est particulièrement tragique mine de rien, bouclant la boucle jusqu’au bout d’un récit dont la seule issue ne pouvait pas être le bonheur, mais le malheur. On retrouve alors les codes de la tragédie grecque ou romaine, avec un vrai sens accru de la narration qui change réellement de ce que le réalisateur nous a habitué à voir ces dernières années derrière le ton résolument comique qu’il aimait porter.

Julieta s’apprête à quitter Madrid définitivement lorsqu’une rencontre fortuite avec Bea, l’amie d’enfance de sa fille Antía la pousse à changer ses projets. Bea lui apprend qu’elle a croisé Antía une semaine plus tôt. Julieta se met alors à nourrir l’espoir de retrouvailles avec sa fille qu’elle n’a pas vu depuis des années. Elle décide de lui écrire tout ce qu’elle a gardé secret depuis toujours.
Julieta parle du destin, de la culpabilité, de la lutte d’une mère pour survivre à l’incertitude, et de ce mystère insondable qui nous pousse à abandonner les êtres que nous aimons en les effaçant de notre vie comme s’ils n’avaient jamais existé.

Je crois que Julieta est le film le plus étonnant du réalisateur depuis un bout de temps, brillant par sa capacité à être dramatique du début à la fin en cassant les rares moments de bonheur de chacun des personnages. Avec Julieta, il est sûr et certain que l’on ne pourra pas passer à côté de Pedro Almodovar à Cannes. Peut-être une Palme d’Or qui sait pour l’un des réalisateurs les plus prolifiques de sa génération, au style toujours très propre et différent des autres. Sa façon de mettre en scène l’Espagne me fascine toujours autant. Le choix des images, de la photographie, de l’angle de vue, la mise en lumière des décors et des personnages, etc. tout tient véritablement du génie qui sait se réinventer. Car si Julieta est clairement un film du style Almodovar, on sent au fond une vraie envie de casser la routine et de faire quelque chose de vraiment original. Ce qui est presque terrible là dedans c’est que le spectateur se retrouve un peu comme les personnages avec cette fin abrupte qui vient nous scier après nous avoir mis en milles morceaux. L’émotion est là, forte, mais elle n’est jamais envahissante. Le but n’est pas de nous morfondre pour chacun des personnages et surtout Julieta. Mais plutôt de se questionner sur l’existence.

Le contraste est donc détonnant, entre les couleurs toujours soignées de la mise en scène et le fond particulièrement noir du propos. Le mélange des genres brille par sa générosité. Au casting, le réalisateur choisi Adriana Ugarte (The Chase) et Emma Suarez (Sofia) pour incarner son héroïne aux différentes époques de sa vie. Elles sont accompagnées d’Inma Cuesta (Groupe d’élite) et de sa fétiche Rossy de Palma. Cette dernière m’a d’ailleurs fasciné par sa capacité à faire rire le spectateur simplement de par sa présence. Les dialogues ne sont pas forcément drôles mais plus incisifs, mais ce qui fait la réussite de Julieta c’est justement la capacité de celui-ci à briser le coeur du spectateur sans que ce dernier ne lui en veuille.

Note : 9/10. En bref, un voyage singulier au pays d’un Almodovar plus sombre que jamais.