Miloslav Moucha : retour vers la peinture

Publié le 22 mai 2016 par Pantalaskas @chapeau_noir

Si la Bohême désigne une région historique d’Europe centrale actuellement intégrée dans la République tchèque, elle évoque également, à la manière de l’opéra de Puccini,  une façon de vivre au jour le jour dans la pauvreté mais aussi dans l’insouciance à la recherche d’un idéal artistique.. Elle est enfin le pays de naissance de l’artiste Miloslav Moucha dont le parcours atypique pourrait bien trouver dans cette bohème l’illustration d’un itinéraire insaisissable.

« Point Supposition » 1978 Miloslav Moucha

Comment appréhender alors, aujourd’hui, dans l’exposition d’une galerie régulièrement attachée à une production d’un art actuel, cette présentation d’une peinture ciblée dans les années soixante dix ?
Ce n’est pas le moindre paradoxe que de mettre en lumière un peintre à la fois reconnu dans les collections publiques en France comme ailleurs et méconnu dans le pays où il a émigré en 1968 par crainte de persécutions après l’entrée des chars Russes à Prague. À Paris il découvre l’art des remises en question avec Claude Viallat,  les performances avec Ben Vautier, Serge Oldenbourg, notamment. Il se lie d’amitié avec Pierre Restany qui écrira sur sa peinture. Nommé professeur à l’École de Beaux-arts de Besançon, il expose en France et dans le monde (Europe, États-Unis, Japon). En 1978 intervient un évènement déterminant dans sa démarche : Moucha remet en cause fondamentalement le bien-fondé de sa pratique de peintre. Le bouleversement radical intervient avec son tableau où figure un point unique.

« Point-supposition »

Miloslav Moucha Galerie Laure Roynette Paris 2016

C’est aussi le point de départ de l’exposition de la galerie Laure Roynette à Paris qui permet d’appréhender comment ce moment décisif peut s’inscrire en 2016 dans une réflexion contemporaine. Ce nouveau départ par le biais d’un retour vers la peinture peut rappeler les remises à plat historiques de la peinture qui, de Malévitch au groupe Zéro, mais aussi bien à BMPT ou Supports-Surfaces, ont ambitionné l’écriture d’une nouvelle histoire après celle née de l’art pariétal.
Pour cet homme dont on découvre le turbulent parcours à travers divers métiers comme bûcheron, mineur, garçon de café, aide-serrurier, emballeur de médicaments pour les animaux, graphiste pour la propagande du travail, réparateur en mécanique, avant de devenir professeur de mathématiques et d’arts plastiques, le passage par cette remise à zéro proche de l’autodestruction  peut apparaître comme inscrite dans son histoire personnelle.

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« Philosophie pratique »

L’exposition capte ce passage obligé par ce qui n’est pas seulement une  » mise au point  » mais un retour vers le futur. A partir de « Point-supposition » la peinture n’est pas alors considérée comme un médium abandonné au profit d’autres pratiques contemporaines mais comme un univers renaissant de ses cendres dans une attitude de « philosophie pratique » vers laquelle la rencontre avec le peintre Václav Boštík en 1980  le dirige.
Moucha construit ainsi son propre codage symbolique de formes et de couleurs à la poursuite d’un universel : « Là où les mots, même très savamment combinés, n’arrivent pas à exprimer la connaissance, l’homme a recours aux symboles. Les symboles les plus riches sont les formes les plus simples – les formes qu’on appelle géométriques. L’ensemble de ces formes constitue un langage traditionnel qui nous permet d’exprimer la conception du monde d’une manière subtile et directe. »

La Bohème inscrite dans ses gênes et dans sa culture retrouve ensuite sa primauté. Depuis 1990, Miloslav Moucha partage son temps entre la France et la République tchèque. Dans sa maison de Bohème, il peint des paysages et des natures mortes. La peinture enrichie par ces réflexions elles-mêmes nourries par une vie si peu conforme aux formats reconnus par les institutions, le marché, reste semble-t-il pour Miloslav Moucha un mode privilégié dans sa relation au monde.

Photos : Galerie Laure Roynette

« A partir d’un point »
Miloslav Moucha

12 mai au 19 juin
Galerie Laure Roynette
20 rue de Thorigny
75003 Paris