Orpheline, de Claire Genoux

Publié le 23 mai 2016 par Francisrichard @francisrichard

Il y a quelque deux ans, un jeudi trois avril, Claire Genoux est devenue Orpheline. A quarante-deux ans, elle a perdu sa maman, Martine Bryois, en mémoire de laquelle elle publie maintenant ce magnifique livre de poèmes.

Très tôt sa maman distingue Claire parmi ses trois filles: 

Elle dit qu'avec celle-ci des trois

celle qui écrit des livres

ça avait été difficile

mais qu'elle s'était habituée avec le temps

aux silences

que cette enfant-là

elle avait toujours fait ce qu'elle voulait

et que très tôt

ça avait été joué

qu'elle allait écrire

qu'elle ne s'arrêterait plus

S'adressant à sa maman, Claire lui donne raison:

j'écris pour tu sois moins morte

je me fais redire dans la tête

lentement ton histoire

Cette histoire, ce sont des souvenirs d'enfance, des choses auxquelles on pense toujours après,

comment ç'avait été de l'aimer,

mais aussi la vie qu'elle aurait eue sans ses filles:

On parlerait de cette femme

qu'on aurait vue

très belle et lointaine sur la plage

on écrirait un roman d'elle

on parlerait de la totalité des choses de son corps

et comment il est traversé par le vent heurté des feuilles

Cette histoire, c'est l'annonce de la maladie par sa mère:

elle a dit des mots graves et très beaux

qu'il faudra s'habituer

et continuer avec le corps

le départ pour la clinique:

c'était le jour de la cérémonie d'ouverture

des jeux de Sotchi

Cette histoire, ce sont

ces jours qui restent avec elle dans la chambre

- mais combien

le fatidique huit février:

Ils ont tout enlevé

vidé jusqu'au fond

jusque vers le dos

ils ont fait ça sur elle

sur maman

Cette histoire, c'est

celle de la séparation de la mère et de la fille

elle a commencé sans qu'on le sache

elle a commencé dans l'absence totale

des mots pour le dire

Et, quand les mots viennent, elle dit:

j'écris par ruissellement

et les larmes pleurent aux doigts

percent entre les ongles

Cette histoire se termine le mardi 8 avril:

Je suis avec elle dans la grande auto grise

(...)

elle me parle avec sa voix

avec de vraies lèvres

et c'est le seul bruit

avant le trou:

ils ont détaché les cordes

ils ont fait rouler la boîte

ils ont dit encore des phrases

mais on n'a plus entendu

on a juste vu que la terre était grise

quand ils t'ont descendue

Cette histoire qu'il fallait raconter parce

que c'était une solution à la vie

a un épilogue.

Cet homme, pour lequel elle écrit, lui dit

que maintenant

on ne veut plus rien savoir

de la mort de sa mère

Elle répond :

écrire des histoires d'amour

elle ne sait pas si elle peut

elle dit qu'écrire

c'est à cause du corps

Justement...

Francis Richard

Orpheline, Claire Genoux, 184 pages Bernard Campiche Editeur

Livres précédents chez le même éditeur:

Faire feu (2013)

La barrière des peaux (2014)