De la sécession au dialogue. Par Roger Garaudy. 2 - Le rêve de vivre

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit

Nous avons tous, un jour, fait le rêve de vivre.Et puis, nous nous sommes parfois heurtés à un mur.

Paul Klee. Ballon rouge. 1922

Pour les hommes, à une guerre qui nous a transformés en soldats.Pour les femmes à la difficulté de mener de front leurs maternités et leur vie professionnelle.A un travail qui nous a réduits à nos fonctions quand il n'a pas fait de nous des robots.Pour certains au chômage qui les a rendus désespérément inutiles.Jusqu'au jour où nous avons eu la tentation de nous dire : çà ne sert à rien d'essayer ; on ne peut rien y changer.Ce jour là, nous avons commencé à mourir.Nous avons commencé à grossir les rangs de ceux qui se sont enfermésdans le cercle de ce qui est, qui se sont habitués à l'idée qu'il n'y a rien à faire,que l'on ne peut rien changer.Les uns se font alors une vie tant bien que mal confortable, mais sansréussir à se tromper eux-mêmes : ils sentent bien la marge entre le rêve d'hieret la réalité quotidienne d'aujourd'hui.D'autres ont essayé de sortir de la cage à coups de pieds, usant de laviolence comme d'un chemin pour aller au bout de leur rêve, et, au moinspour n'être pas seuls. Après tout, si l'équilibre de la terreur est la règle desrapports entre les peuples, pourquoi ne pas en faire aussi la règle des rapportsentre les individus ?Si la concurrence et la loi du plus fort sont le fondement de notre sociétéde croissance, pourquoi ne serait-elle pas le fondement de la société tout court ?Contre cette violence, qui n'est que l'application à la vie individuelle de ce quiest le principe même de nos sociétés, la police et les tribunaux ne peuvent rien.Ce qu'il faut changer c'est la société qui vit, ou plutôt qui meurt, de cette loimaudite.Ceux qui ne croient qu'à la police et aux prisons pour faire régner la loi etl'ordre, ceux-là aussi ont commencé à mourir.C'est pour tous ceux-là, qui ont commencé à mourir, que nous faisons :"Appel aux Vivants".Ce n'est pas le langage de la politique me direz-vous ?Etes-vous bien sûr de situer ainsi la politique à hauteur d'homme ?La politique commence quand les autres commencent à exister pour nous.A exister non pas comme des obstacles, des concurrents ou des rivaux, maiscomme ceux qui peuvent nous aider à réaliser la plus belle part de nous mêmes.C'est là, la dimension communautaire de notre vie.Et, bien sûr, nous ne la déploierons pas tout seuls.Nous n'y arriverons que si chacun compte sur les autres pour l'aider.Pour l'aider à ne pas abandonner, à ne pas se résigner à une vie qui n'aurait pasde sens.Ce n'est plus la bande. C'est la communauté.La bande est un moyen de se défendre contre les autres.La communauté n'est dirigée contre personne : elle est ce dont chacun abesoin pour ne pas renoncer au rêve qui grandit en lui et qui seul peut donnerun sens à sa vie.La communauté devient nécessaire le jour où l'on prend conscience queseul on glisserait facilement sur la pente qui nous amènerait à renier notre foien l'avenir, à nous renier nous-mêmes, le jour où nous avons besoin dequelqu'un qui nous dise non pas ce que nous avons à faire, mais à prendreconscience de ce que librement nous avons un jour voulu faire de notre vie.Alors chacun retrouve dans la communauté ce rêve que chacun porte enlui comme une graine qu'on croit morte au creux des vies d'individus isolés.Alors nous commençons à vivre, chacun sentant que d'autres ont besoinde mon rêve, comme j'ai besoin du leur, pour les réaliser tous ensemble.Ce ne sont peut être que de pauvres communautés : chacune, au départ,ne vaut guère mieux que chacun de ceux qui la composent. Mais nous savonsdéjà que nous avons quelque chose à faire ensemble. Et cela seul suffit pournous faire avancer, pour nous faire prendre en charge notre propre avenir.Car il ne s'agit pas de prêcher : l'on ne peut pas changer le monde sans sechanger soi-même sans participer, activement, en militant, à la transformationdu monde.C'est cela la dimension proprement politique de la vie. Elle n'est séparéed'aucune autre : et surtout pas de la foi : une politique à hauteur d'hommecommence, comme la foi, lorsque chacun a conscience d'être personnellementresponsable de l'avenir de tous.Cette dimension communautaire de notre vie politique, et cettedimension de foi de notre vie personnelle sont inséparables.Elles transforment le sens même de la politique et de la vie en ne lesséparant plus.L'une et l'autre deviennent non plus des aliénations et des routines, maisdes décisions créatrices.Voter alors, c'est bien plus que voter, c'est à dire déléguer et aliéner sonpouvoir à des partis, des élus ou des chefs qui vous promettent : "Votez pournous, et nous ferons le reste". La politique, c'est au contraire se prendre encharge, inventer une nouvelle manière de vivre dans sa vie personnellecomme dans les rapports sociaux.Et ceci par quatre décisions fondamentales :1°) Prendre conscience de ce qu'il y a de radicalement nouveau dans nosvies et dans notre histoire à l'aube de ce IIIème millénaire,- dans nos rapports avec la nature et avec les hommes,- dans nos rapports avec notre vie et notre mort.2°) Prendre position dans nos rapports avec l'avenir :- qu'allons-nous faire de 1980 ?- qu'allons-nous faire des vingt dernières années de ce siècle ? Ou bienque vont-ils faire de nous ?3°) Faire un choix fondamental de société :- assassiner l'avenir de nos enfants et de nos petits enfants et de nospetits enfants par la volonté de puissance et de jouissance de notre seulegénération,- ou bien établir entre nous et la nature, entre nous et les autres êtreshumains, entre nous et le futur, des rapports nouveaux qui permettent deperpétuer et d'ennoblir la vie.4°) Etablir enfin un projet politique concret dont chaque point visera àchanger tous les rapports humains pour en faire des rapports proprementhumains.
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