Populariser l’art performance

Publié le 18 juin 2016 par Aicasc @aica_sc

La performance  d’Henri Tauliaut et d’Annabel Guérédrat ,   Flying Shapes Courtship (FSC) a été  présentée   à la Galerie Nationale de la Jamaïque (NJG) , lors de l’inauguration de l’exposition Digital (24 avril au 4 juillet)

.

Flying Shapes Courtship

Trois poissons dirigeables – ballons gonflés à l’Hélium, sont dirigés à distance par les mouvements de deux performeurs.  Les requins – ballons sont contrôlés par une Kinect. Le capteur biométrique de la Xbox récupère des informations sur les positions des performeurs, les transmet à un ordinateur où un programme traite ces données, les transforme en déplacements exécutés par les ballons

En effet, afin d’évaluer l’impact de l’art digital dans la Caraïbe, la NGJ a lancé en février 2016 un appel à candidatures, invitant les plasticiens de la Caraïbe et de sa diaspora à soumettre leurs créations numériques à un comité de sélection. Parmi les soixante – treize candidatures,   vidéo et animation, court-métrages, GIFs, photographie numérique , illustration, installation interactive , trente – neuf ont été sélectionnées dont Henri Tauliaut mais aussi  Ewan Atkinson; Sonia Barrett; Jacqueline Bishop; Kimani Beckford; Beverley Bennett; Ruben Cabenda; Larry Chang; Robin Clare; James Cooper; Di-Andre Caprice Davis; Pablo Delano; Cecile Emeke; Luk Gama; Gregory “Stennatt” Gordon; David Gumbs; Versia Harris; Horacio Hospedales; Katherine Kennedy; Prudence Lovell; Kelley-Ann Lindo; Jodie Lyn-Kee-Chow; Olivia McGilchrist; Shane McHugh; Patricia Mohammed; Richard Nattoo; the New Media and Process Class, Edna Manley College; Sharon Norwood; Jik-Reuben Pringle; Gabriel Ramos; Richard Mark Rawlins; Sheena Rose; Danielle Russell; Oneika Russell; Nile Saulter; Phillip Thomas; Dione Walker; Rodell Warner.

Le jour du vernissage, le 24 avril dernier, Henri Tauliaut et Annabel Guérédrat, ont réalisé leur performance « Voguing courtship » qui permettait aux spectateurs présents de comprendre le dispositif interactif de l’œuvre d’Henri.  Pendant la performance, le public était invité à participer et à interagir avec leur corps.

Pouvez-vous nous présenter cette performance « Voguing Courtship » ?

La performance a duré 90 minutes. Les deux performers pilotent au moyen de leur corps, deux avatars numériques, projetés sur écran, ainsi que deux requins volants dans l’espace. Les deux performers s’inspirent des mouvements codifiés du Marshaller  et de ceux des danseurs de Voguing.

Le Marshaller ou parqueur, est l’homme au sol qui sert de guide aux avions sur les pistes aéroportuaires.  En effet, depuis leur cockpit, les pilotes ne peuvent pas voir les marquages au sol, vérifier si leur machine est bien alignée et s’ils peuvent couper les moteurs. Le Marshaller, donc, armé de ses deux « bâtons lumineux » (c’est le nom qu’on leur donne) dirige par des gestes précis l’avion jusqu’à son point de stationnement.

Flying Shapes Courtship

 

Le Voguing est un style de danse urbaine né dans les années 1970 dans des clubs gay fréquentés par des homosexuels latino-américains et afro-américains, essentiellement à New York.

 Aussi l’imaginaire de l’envol et celui de la séduction se côtoient. Au cours de la partition (le « score »), les deux performers invitent le public aussi à participer. Les deux performers, sont identifiables grâce à leurs tenues intégrales noires qui appartiennent à leur esthétique Afro Cyber Punk, qu’ils continuent d’élargir via leur série d’actes performatifs 2016 : « Success is success ».

La pièce « Flying shapes courtship » continue d’être visible et demeure active, après le départ d’Henri et d’Annabel. Quatre photos explicatives  sont postées au mur pour montrer les positionnements du corps à adopter afin de piloter (en se positionnant devant la kinect) l’avatar et le requin volant qui sont déjà en place.

L’installation digitale d’Henri Tauliaut est l’une des œuvres qui soient interactives. Il y a aussi des œuvres en hologramme, des installations vidéo et des œuvres imprimées (série de photos numériques)

 Quel a été le processus technique ?

Henri Tauliaut a amené le dispositif même. La NGJ a fourni le Mac de remplacement, a préparé la salle en la repeignant en blanc, a réalisé le meuble en bois pour la réception des machines, a réalisé un travail d’éclairage et a fourni le vidéo-projecteur. La NGJ a aussi fait appel à un programmeur professionnel, Geordi Duncan, spécialiste informatique en Mac.

 Quels sont les artistes de l’expo Digital qui vous ont marqués ?

Ewan Atkinson, Larry Chang, David Gumbs, Jodie Lyn Kee Chow, Olivia Mc Gilchrist, Shane Mchugh; Gabriel Ramos, Phillip Thomas et Richard Nattoo avec ses  hologrammes

 Depuis Digital, vous avez multiplié les interventions ?

En effet, notamment  à la Bibliothèque universitaire , le 31 mai, dans le cadre de la soirée organisée par Dominique Berthet du CEREAP, « La réception de l’art », avec la performance « Porosity#1 » développant notre monde Aqua et l’art performatif participatif

Mais aussi au Prêcheur, le 21 mai, dans le cadre de Sonjé Mè, avec la performance « The Rise of the Titans » développant l’art performatif participatif cette fois et notre monde Afro Punk

Egalement pour l’ouverture de la Biennale de danse à Tropiques Atrium, le 11 mai, avec la performance « Nus descendant l’escalier #5 », développant le rituel dans l’acte performatif et notre monde Afro Punk

Nus descendants l’escalier

Enfin, à la bibliothèque des Trois-Ilets, dans le cadre de Chivè Red, avec la performance « Shadows of Frida » avec la plasticienne Gwladys Gambie, un nouveau projet en collaboration artistique dans le cadre de la résidence d’artistes aux Trois-Ilets, autour de la figure de Frida Kahlo

 Quels objectifs poursuivez – vous à travers ces nombreuses performances ?

Nous voulons développer nos trois mondes (Aqua, Iguana, Afro Punk),  rendre le public davantage participatif, plus actif,  démocratiser l’art performance, le rendre visible et accessible partout, auprès de tout public. Créer un vrai public en Martinique de l’art performance, qui est un art spécifique (ni du théâtre, ou théâtre de rue, ni de la danse, ni de l’animation). Aussi en préfiguration de la 1ère édition du F.I.A.P. 2017, premier Festival International d’Art Performance en avril 2017 en Martinique que nous organiserons ensemble.

  Annabel, quelle est votre formation ?

Je suis chorégraphe danseuse performeuse, certifiée universitaire en master I de lettres et d’histoire à la Sorbonne, diplômée d’Etat en danse contemporaine, Educatrice Somatique par le Mouvement et praticienne certifiée en Body Mind Centering® et en Programmation Neuro Linguistique.

Ma formation initiale est en danse modern’jazz. Puis en danse afro-jazz et afro-brésilienne. Puis en danse butoh (danse expressionniste japonaise), en pilates, en ashtanga & iyengar yoga & en techniques release comme le feldenkrais et dont la dernière en date est la technique Body-Mind Centering®. Ces techniques somatiques liées au mouvement me permettent d’inscrire dans mes performances une gestuelle très personnelle et sensible comme pensée (politique) en état de danse.

Avez-vous été danseuse dans une compagnie avant d’être chorégraphe au sein de votre propre compagnie ?

 Oui j’ai eu la chance de démarrer la scène comme unique danseuse improvisatrice avec l’ensemble de musique improvisée Sphota, et en parallèle j’étais entrée dans la Compagnie Orisha de danse afro-brésilienne d’Eneida Castro. J’ai aussi été interprète pour une autre Cie de danse brésilienne contemporaine de Dimi Ferreira et une Cie de danse contemporaine de F. Raffinot. C’était toute ma période de formation à Paris dans les années 1990-2000.

En 2003, j’ai été engagée dans la Cie Artincidence, aujourd’hui basée en Martinique, avec laquelle je travaille depuis jusqu’alors.

Parade nuptiale Iguanesque

Comment définiriez-vous la forme chorégraphique que vous avez choisie ?

 Dans mon parcours d’artistes chorégraphique, j’ai eu la chance d’être sélectionnée en 2008-09, par le de la  Centre de recherche et de composition chorégraphiques de la  fondation Royaumont, et de participer en résidence d’écriture numérique à la formation « Transforme » sous la direction artistique de Myriam Gourfink. Cela a déjà beaucoup transformé ma danse. L’éloge de l’extrême lenteur, le rapport à l’espace vécu numériquement.

 Quel a été votre cheminement d’engagement dans cette voie : les raisons de ce choix, les effets escomptés sur le public ?

C’est entre juin & septembre 2010, que je fais trois rencontres décisives, avec Meredith Monk, Keith Hennessy & surtout Anna Halprin. D’où découle mon premier solo performatif «A freak show for S. », mettant en jeu « mon corps comme totalité ouverte », en hommage à la Black Venus, Sarah Baartman, que je continue à tourner dans le monde entier. Là, je ne me définis plus stricto sensu comme chorégraphe danseuse mais bien comme performeuse ! Les raisons de ce choix radical sont la liberté, celle d’aller de la peinture, du self portrait, du chant au détournement d’accessoires, au corps, au rituel, au mouvement, à l’interpellation directe et au rapport de proximité cru, engagé, provocateur parfois, avec le public. Sans complaisance. Avec radicalité et dans la poétique de la relation à la fois. Créer un monde sensible et le partager avec le public.

Annabel Guéredrat

Henri Tauliaut, vous êtes plasticien mais vous n’êtes pas danseur… dépasser ses réticences et accepter d’exposer et mouvoir son corps dans des performances est – il aisé?

 En réalité j’ai plus de difficultés à prendre la parole en public, qu’à prendre mon corps pour medium.  Performer, être dans un autre état, je le vis très bien. Créer des mondes aussi différents politiquement qu’Aqua, Iguana ou Afropunk, est un vrai bonheur.

 Mais pour vous expliquer comment j’en suis venu à la performance, il me faut remonter à mes études lorsque pour réaliser mes créations vidéo, j’imprimais des mouvements, de translation ou rotation, et des fois d’accélération, à la caméra. Je travaillais sur les rythmes architecturaux, décomposés à cette époque, les rythmes intérieurs inhérents aux bâtiments abandonnés. Ainsi l’espace était ponctué par des acteurs, du tissu ou des éléments posés de façon rythmique. Grâce aux mouvements de la caméra et aussi à la répétition des séquences dans le montage final, j’obtenais une vidéo scandée. Des œuvres vidéo comme Lareinty ou Phoenix (réalisées dans les années 90) sont les vidéo-danses de l’apprenti sorcier.

En 2012 pour la réalisation d’une exposition en Martinique le critique d’art Dominique Berthet propose à un petit groupe d’artistes de travailler autour du thème de la transgression.  Personnellement après différentes discussions avec ma compagne de l’époque il nous a semblé important de ne plus être dans la représentation mais d’être dans l’action. Qu’il était important de faire ressentir au spectateur cette transgression. Le médium performance est apparu comme la meilleure solution. Nous avons décidé de performer dans le cimetière  de Terreville  en Martinique.

Nous avons choisi de faire une citation au fameux «Nu descendant l’escalier» de Marcel Duchamp pour éviter toute confusion et bien asseoir notre acte dans le champ de l’art contemporain.

 Une autre pratique liée au corps a émergé depuis 2013 : des préoccupations vis-à-vis de l’espace kinesthésique de tout être humain. Mon œuvre EIMO (Espace Interactif Minimaliste et Organique) matérialise ces recherches, qui ont été présentées pour la 1ère édition B.I.A.C. de la Martinique. Dans EIMO, il s’agissait de faire circuler des spectateurs dans un boyau qui se rétrécissait ou s’ouvrait sur des cellules en forme de sphère déformées. Le spectateur avait l’impression d’être un spéléologue et ressentait véritablement cet espace kinesthésique. Il me semble que, pour les installations, l’instrument de mesure est le corps du spectateur. L’artiste, lorsqu’il imagine et conçoit son œuvre, pressent les tensions de cet espace nouveau. En fait il a déjà une appréhension de cet espace via son corps. C’est cette capacité qui fait de nous des sculpteurs de volumes et d’espaces.

 ITW Dominique Brebion

Voir aussi :  https://aica-sc.net/2015/09/03/duo-de-choc/