Les joyaux de Farley, de Jon Ferguson

Publié le 18 juin 2016 par Francisrichard @francisrichard
Freda fut libérée de sa laisse, et se mit à slalomer entre les buissons. Elle flaira l'odeur d'une taupe du désert, la chassa jusqu'à son trou et commença à creuser furieusement. Les projections de poussière formèrent un halo de poussière au-dessus de la tête du chien. Puis Freda cessa de creuser et revint avec la taupe douillette entre ses mâchoires. Elle s'arrêta quelque part entre le bien et le mal, et laissa le petit corps chaud entre les pieds de son maître.

Ce passage du roman de Jon Ferguson est emblématique. Farley, son protagoniste, considère en effet cette scène comme l'un de ses joyaux, devant lequel il s'agenouille de façon somme toute très nietzschéenne: pendant un instant, il regarda la mort scintiller dans la lumière du soleil de midi .

Farley est professeur de philosophie. Il est marié avec Carole. Ils ont deux enfants, Ricky et Rosanne. Il décide de prendre une année sabbatique avec l'intention de travailler à l'adaptation du "Dasein" chez Heidegger et de l'intégrer dans un modèle informatique. Cela restera au stade de l'intention...

C'est le moment que choisit Carole (qui est d'une jalousie maladive, en grande partie infondée...) pour le mettre dehors et le bannir du domicile familial pour au moins six mois . Il se retrouve donc dans un deux-pièces avec sa chienne Freda, avec l'obligation de laisser la Volvo à Carole et de louer une Toyota...

Pendant son bannissement Farley, aka Moïse, aka Larry, à l'occasion de rencontres avec certaines de ses étudiantes et de certains de ses étudiants, se remémore les cours qu'il prodiguait l'année précédente à l'école, dans la salle 424, Bâtiment B, et qui ne ressemblaient en rien à ceux de ses collègues...

De manière très socratique, Farley pose surtout des questions à ses étudiants. Dans son premier cours d'étude de la métaphysique, il annonce la couleur: Nous allons prendre notre temps et essayerons de penser et de nous poser des questions comme nous n'en avons pas l'habitude. C'est d'ailleurs ainsi qu'il procède quand il s'interroge lui-même sur la vie et la mort...

Mais ces questions que Farley se pose, qu'il pose et que ses étudiants devraient se poser, ne sont pas innocentes. Elles conduisent notamment à reconnaître avec lui que l'une des plus grandes erreurs intellectuelles que l'homme ait jamais commise est d'avoir décidé avec Platon que l'homme ne fait pas partie de la nature:

Nous percevons continuellement les actions de l'homme comme étant bonnes ou mauvaises, selon qu'elles correspondent ou non au code de la moralité. Dans la nature la moralité ne revêt aucun sens parce que nous considérons que la nature ne peut pas être autre chose que ce qu'elle est.

Cette vision des choses de Farley n'est pas altérée quand il apprend que sa mère Adell est atteinte de cette forme de sénilité que l'on appelle la maladie d'Alzheimer. Mais cette nouvelle modifie chez Carole sa perception des choses, d'autant que, dans l'intervalle, son écart avec un agronome africain s'est terminé par une autre séparation.

Commence alors entre Carole et Farley un savoureux échange épistolaire qui montre que l'auteur ne manque pas d'humour. Sans doute, peu à peu, Carole est-elle ébranlée par les joyaux philosophiques que Farley fait miroiter à ses yeux et parvient-elle à s'interroger à son tour sur elle-même et, pourquoi pas, à s'aimer telle qu'elle est.

Même si Ferguson n'est pas près de dire: Farley, c'est moi , il y a bien quelque chose de Ferguson en Farley. Pour s'en convaincre, il n'est que de relire son livre La Bête, où il expose déjà de telles théories existentielles, certes de manière moins romanesque mais tout aussi littéraire. D'accord ou pas avec ces théories, le lecteur lui sait gré de se poser des questions et de n'y pas apporter de réponses définitives.

Francis Richard

Les joyaux de Farley, Jon Ferguson, 304 pages (traduit de l'américain par Valérie Debieux) Olivier Morratel Éditeur

Livres précédents chez le même éditeur:

La dépression de Foster (2013)