Pour Pierre Lartigue, par Claude Adelen

Par Florence Trocmé

A la suite de l'annonce, hier, du décès de Pierre Lartigue, Poezibao laisse aujourd’hui la parole à Claude Adelen

Pour Pierre Lartigue.
par Claude Adelen

Quoi ! Pierre à présent ! Pierre, après Maurice, Pierre par qui j’étais venu à L’Action Poétique.
Oh le soir du Récamier. Oh les jours de Compiègne. Le temps du Renga. Les escargots comme il savait les faire, à l’espagnole. Oh la cafetière de beurre et l’hélice d’écrire. Pierre qui savais si bien nous parler de Desnos, qui savais l’art de la pointe et comment faire danser l’esprit sur les mots, toi qui sus aiguiser la parole en la « forge subtile » du sonnet... Infatigable chasseur spirituel, maître en l’art de fauconnerie des vers pour prendre au leurre de l’agencement des vocables ce plaisir de bouche et l’esprit même de la poésie dans l’archaïsme de la sextine...

L’évoquer voix mots le monde
« Le monde ses putains ses dagues et ses dogues
La nasse des trottoirs où je flaire le vent
Les limiers les journaux leur odeur de Renaudes
Et la douleur qu’on sangle à l’angle de chez moi »
sourd et blanc
syllabes souffle             inutilement tu
poursuis la voix                      te tais
                                                             T’es tu
jamais le timbre
l’intonation
                                      c’est l’image même de l’âme
rendue
par les inflexions
de la voix
                                      ô mort c’est aller
A la ligne
Feuilles nuages ciel prononcé danse de syllabes
Jamais rien ne meurt
                                         si le phrasé reste
.

Et je voudrais encore recopier ici les vers sur quoi s’achevaient ces Poèmes en marge des Regrets (ah comme il sonne aujourd’hui le mot Regret !), que j’avais découverts dans le Numéro 36 d’Action poétique qui est du premier trimestre de 1968, ces poèmes qui pour ma désolation n’ont jamais été repris en recueil, et qui ne m’ont pourtant jamais quitté, que je n’ai jamais cessé d’entendre « dans la nuit de mon pas », parce que j’y reconnais comme nulle part ailleurs l’inflexion de sa voix, son phrasé inimitable qui semble se jouer dans la lumière des enchantements :

« Tout est voyage on vit au bruit des rames et des roues
Ce croisement la terre
A chacun son chemin dans la nuit de son pas
La vérité du pouls battant des charades d’amour
On marche pour
                            On vient on va
Puis las de tant de choses taire
On dit Il était une fois
Non ce temps là viendra j’en suis certain c’est sûr
au moment même où je m’éloigne avec les gens à demi sourds
avec les ombres du matin
                                                   sur l’Italie de l’écriture. »

Pierre, plus que jamais ta voix. « Ne crains rien,  nous garderons tes paroles rayées »

Claude Adelen