Le passé n’est jamais passé

Par Carmenrob

Le personnage qui orne la couverture du livre fait penser à Jack Kerouac, le mythique auteur de On the road. La voiture sur laquelle il s’appuie, une grosse décapotable, date probablement des années soixante. Le regard… un mélange de défi, de colère et de tristesse. Au bas de la page du copyright, je trouve ce que je cherchais, la confirmation qu’il s’agit d’une photo d’André Béchard, père de l’auteur, personnage central de ce récit captivant.

Remèdes pour la faim, Deni Y. Béchard a pris presque dix-sept ans pour en accoucher. Pour mettre en ordre ses souvenirs incandescents et ceux recueillis auprès de son père après qu’il ait réussi à s’en éloigner. Un père pour le moins singulier, colérique et charmeur, attirant et toxique, admiré et craint par le petit Deni. À mesure que ce dernier grandit, qu’il
glane ici et là des fragments de vérité, qu’il
interroge et qu’il insiste pour connaître le passé de son géniteur, il découvre le cambrioleur, le braqueur de banque, le prisonnier, le bagarreur, le fraudeur, le cavaleur. Tout jeune, épris de lecture et d’histoires, Deni rêvait de devenir à la fois écrivain et, à l’instar de son père, hors-la-loi.

«Les histoires étaient comme des sentiers. En sortant dehors et en regardant, on voyait le monde, juste le monde, mais en sortant après avoir lu une histoire, on découvrait un monde où tout pouvait arriver, comme si derrière les montagnes se déployaient cent pays pour lesquels j’aurais pu partir, un bâton d’hickory sur l’épaule, mes quelques possessions emballées dans un mouchoir rouge.»

Puis à mesure que la maturité l’amène à définir sa propre voie, il est taraudé par l’idée de raconter cette vie tourmentée, explosive et autodestructrice. Béchard devra laisser longtemps percoler les émotions avant de trouver la distance nécessaire pour nous livrer ce récit admirablement construit et très bien écrit. C’est une touchante entreprise de réconciliation, avec le père et avec soi-même auquel il nous convie. Nous assistons en prime à la genèse d’une vocation d’écrivain, quand les besoins inassouvis, le vertige du vide et de l’absence trouvent à exister dans leur mise en parole.

Remèdes pour la faim est aussi passionnant qu’un roman policier tout en ayant la profondeur d’une quête existentielle. Un très très beau livre, sans aucun bémol.

Deni Y. Béchard, Remèdes pour la faim, Alto, 2013, 581 pages