La chronique de Guillaume Richez : L’été meurtrier de Sébastien Japrisot

Par Anneju71 @LesMotordus

« J’ai allumé l’intérieur de la voiture pour voir son visage. Elle a eu un recul, parce qu’elle ne s’y attendait pas. C’était un visage défait mais merveilleux, un visage d’après la pluie. Le rimmel, le rouge à lèvres, tout était parti. Il ne restait que la douceur, et un peu de chagrin ou de crainte ou de Dieu sait quoi au bord des lèvres, mais la douceur était terrible, elle était comme un entêtement de gosse au fond du regard. Je pense, aujourd’hui, qu’à ce moment elle voulait tout arrêter, qu’il aurait suffi d’un mot pour qu’elle pleure encore et qu’elle me demande de la raccompagner chez elle et que rien n’arrive, mais j’ai fait un geste, juste pour éteindre, parce que je ne pouvais pas supporter qu’elle me regarde comme ça, et j’ai dit la connerie de ma vie.

J’ai dit d’accord. »

« Sublime, forcément sublime », écrivait Duras dans Libération à propos de Christine Villemin qu’elle croyait infanticide, ou comment sublimer le fait divers pour qu’il devienne tragédie.

De fait, L’Été meurtrier est une tragédie racontée par les personnages eux-mêmes, « Pin-Pon » le bourreau, Éliane que l’on appelle « Elle » ou « Celle-là », dans le rôle de la victime, la tante sourde dans le rôle du témoin, la mère que l’on appelle « Eva Braun » parce qu’on la croit Allemande.

Chacun d’entre eux s’adresse directement au lecteur (ou à l’avocat, ce qui revient à peu près au même), comme un acteur de Sophocle, à l’avant-scène.

De La Supplication de Svetlana Alexievitch à De Beaux lendemains de Russell Banks, le roman polyphonique a toujours décuplé la force d’émotion d’une œuvre. Il en est ainsi de ce magnifique roman noir que l’on ne parvient pas à lâcher, la gorge nouée, jusqu’à la fin.

Sublime, forcément sublime.

L’Été meurtrier de Sébastien Japrisot, in Romans policiers, éditions Gallimard, collection Quarto.