[Critique] NEIL YOUNG : HEART OF GOLD

Par Onrembobine @OnRembobinefr

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Titre original : Neil Young : Heart of Gold

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Jonathan Demme
Distribution : Neil Young, Emmylou Harris, Ben Keith, Grant Boatwright, Pegi Young, Rick Rosas, Anthony Crawford, Chad Cromwell, Spooner Oldham, Clinton Gregory, Wayne Jackson…
Genre : Rockumentaire/Musique
Date de sortie : 27 septembre 2006

Le Pitch :
Pendant l’été 2005, Neil Young débarque au Ryman Auditorium de Nashville dans le Tennessee pour le dévoilement historique de son album Prairie Wind

La Critique :
Comment trouver les mots pour décrire l’expérience cathartique et inexplicablement émouvante qu’est le magistral Neil Young : Heart of Gold de Jonathan Demme ? En surface, ça a juste l’air d’être un rockumentaire on-ne-peut-plus banal pour les papys, alors comment justifier toutes les nuances profondément émotionnelles de générosité, de camaraderie et de bienveillance qui semblent surgir de tous les recoins (recoins qui sont impeccablement choisis par Demme, au passage) ?

Le film commence comme un simple enregistrement d’une performance musicale, et quelque part en cours de route finit par devenir quelque chose de carrément religieux – se rangeant finalement aux côtes de La Dernière Valse de Martin Scorsese et Stop Making Sense de Demme lui-même sur la liste (très) courte de ciné-concerts qui, d’une façon ou d’une autre, sont capables de retranscrire des moments de musique transformateurs et insaisissables dans un médium un peu plus permanent.

Filmé avec Neil Young au légendaire Ryman Auditorium de Nashville pendant un concert de deux nuits, en août 2005, l’occasion est la première mondiale de son album Prairie Wind. Durant cette période, les années n’avaient pas beaucoup souries dernièrement au troubadour infatigablement prolifique, et ce disque particulier fut enregistré en vitesse – presque en panique – immédiatement après que le chanteur, alors âgé de 60 ans, fut diagnostiqué d’un anévrisme potentiellement fatal du cerveau. Young venait aussi tout juste d’enterrer son père, une figure qui occupe une place très large dans sa carrière musicale, et qui dans ses dernières années souffrait horriblement de démence.

Et en effet, Prairie Wind donne souvent l’impression que Neil Young annonçait alors son dernier testament. C’est un album souvent très sentimental, et peut-être un poil trop personnel et tape à l’oreille pour les plus « cools » de la classe. Mais magnifiés sur scène, les morceaux, aussi nostalgiques qu’ils soient, sont plus ou moins écrasants.

Demme prépare le terrain avec des images numériques filmées caméra à l’épaule, qui sont visuellement pourries à regarder et encore pires à entendre. Avec beaucoup de mal, on écoute les vieux potes et collaborateurs de Young faire elliptiquement allusion à ses problèmes récents ; et très vite, on retrouve le chanteur lui-même en train d’expliquer avec modestie qu’il « veut juste bien jouer et partager la scène avec mes amis… que la muse nous emporte. »
Neil Young monte sur scène, et Heart of Gold change alors complètement d’esthétique, passant d’un coup du flou de la vidéo numérique à la clarté richement texturée du 35mm. Deux opérations neurologiques plus tard, et très conscient du fait qu’il a la chance d’être encore vivant et entouré de ses amis, le bonhomme semble être désespérément enthousiaste de partager cette sensation. Son cycle musical inclut l’album entier de Prairie Wind, suivi par un deuxième acte plus nostalgique cataloguant lourdement son Harvest de 1972 et sa suite spirituelle de 1992, Harvest Moon.

C’est du rock country plutôt doux et assez tranquille au final, mais la gratitude et les affinités que Young partage avec son groupe et ses vieux amis sont si magnifiquement capturées par Demme – dénichant les idiosyncrasies rigolotes de leurs interactions en pleine chanson – qu’on a souvent l’impression de regarder le spectacle et les coulisses en même temps. Ignorant complètement son public, Neil Young : Heart of Gold est le plus intime des ciné-concerts, se concentrant uniquement sur le groupe et leurs interactions quasi-subconscientes, et exprimant à la perfection cet étrange sixième sens avec laquelle communiquent les musiciens sur scène à travers une série de gestes et de regards précis. De temps en temps, Emmylou Harris descend de son siège céleste pour épauler Young et sa voix hésitante. Ayant jadis abrité le Grand Ole Opry, le Ryman, avec ses célèbres vitraux, ne fait que rajouter à l’ambiance cathédrale de l’ensemble.

Demme et sa chef opératrice Ellen Kuras ont pensé un éclairage différent pour chaque morceau, mettant toujours la caméra dans un endroit inattendu et la laissant là-bas pour nous donner le temps d’apprécier l’honnêteté émotionnelle de Young et ses paroles. Contrairement à d’autres cinéastes qui semblent avoir eu leur diplôme au collège du vidéoclip, Demme fait confiance au spectateur et compte sur lui pour simplement regarder la musique en train prendre forme, glissant lentement sa Steadycam sur scène d’instrument en instrument – mais la déplaçant uniquement quand il y a une sacrée bonne raison de le faire.

Et pourtant, tout cela ne suffit pas à expliquer à quel point Neil Young : Heart of Gold est touchant. Lisant entre les frettes et les cordes, Demme nous dit tout ce qu’on a besoin de savoir sur ces braves gens, et voir Young chanter à la gloire de ses amis musiciens sur scène devient extraordinairement émouvant, surtout si on considère les circonstances. C’est un film sur l’amitié et la communauté, et la joie que prennent les gens à faire de la musique ensemble. Des échanges sur scène entre Young et sa femme Pegi, chantant ici en tant que choriste, forment l’argument idéal pour un Walk The Line 2 (Et oui, Reese Witherspoon serait totalement parfaite pour le rôle, là aussi).

Mais il prend aussi le temps de parler sur notre façon de vivre aujourd’hui. Les anxiétés du 11 septembre résonnent beaucoup à travers Prairie Wind, faisant résonner un esprit d’équipe et de tendresse dans l’ombre de temps incertains – et c’est aussi peut-être le seul album country contemporain qui a l’audace d’aller citer des phrases de Chris Rock. En quelque sorte un espèce de cousin éloigné à The Last Show, l’œuvre ultime de Robert Altman sortie la même année. Regarder Neil Young : Heart of Gold s’apparente parfois à regarder un artiste faire une sorte d’adieu péremptoire – faisant face à la mortalité et aux souvenirs sur ses propres termes, en reprenant ses instruments pour remonter à ce que l’écrivain Greil Marcus appelait : « That old, weird America… ».

@ Daniel Rawnsley