[Critique] Dédale : le bug, c’est la vie ?

Publié le 30 juillet 2016 par Paoru

Alors que le concours photo décolle tranquillement (je vous poste les premières photos ce weekend) je tente de rattraper un peu de mon retard manga et anime du mois sur juin-juillet. Hier je remerciais Flying Witch pour sa zenitude sur Journal du Japon et aujourd’hui je voulais évoquer un coup de cœur au format papier : Dédale de TAKAMICHI chez Doki Doki, un éditeur que j’apprécie toujours autant pour sa capacité à sortir des trucs qui viennent de nulle part et qui enchante ma vie de lecteur de manga.

Ce manga en deux volumes, répondant au nom japonais de Hyakumanjou Labyrinth nous vient des pages du magazine Young Comic Cherry d’un éditeur assez méconnu en France, Shônen Gahosha mais que connait bien Doki Doki puisqu’on lui doit Sun-Ken Rock et Gewalt ou, chez d’autres, Samidare et Drifters. À l’exception de l’ami Ken, c’est donc le genre de titre qui sont des petites pépites mais qui ne paient pas de mine, et qui se retrouvent davantage plébiscités par quelques amateurs curieux que par le grand public. Alors vu que le titre a été nominé aux alléchants Manga Taisho Awards , il est temps de vous le faire connaître… En route pour cette critique !

  

Bienvenue… dans le Labyrinthe

« On a beau courir, et courir encore, où qu’on aille c’est toujours la même chose… Des tatamis, encore des tatamis ! De chaque côté de ce couloir sans fin, derrière toutes les portes rien que des… HEIN ?!« 

Reika et Yôko, deux étudiantes, ont été projetées dans un gigantesque bâtiment, un dédale sans fin, sans se souvenir de comment ou de pourquoi. Elles errent, à la recherche d’une sortie ou d’une logique dans cet assemblage de pièces incongru, qui semble répondre à des lois mystérieuses. Un seul indice les guide pour le moment : un message énigmatique laissé sur une table basse par un certain Tagami, célèbre créateur de jeu vidéo. Il est lié à ce monde pour une raison qui reste à découvrir mais il va guider les de notre tadem, dans ce qui ressemble de plus en plus furieusement à un univers vidéo-ludique. Et cela tombe bien : nos deux héroïnes sont des passionnées de ces univers, travaillant comme débuggeuses dans le monde réel…

Mais la partie est loin d’être gagnée pour autant : il va falloir comprendre comment fonctionne cet environnement, ses règles et les transgressions possibles, puis se méfier des ennemis qui dévorent les pièces les unes après les autres, ou ceux, armés et attentifs, qui ressemblent à des gardiens du sanctuaire… Néanmoins Reiko adore les bugs et elle se balade dans cette réalité alternative comme un poisson dans l’eau : elle teste tout, tout le temps et partout, et ne cesse de monter en compétence . Néanmoins, même si elles progressent plus vite que les autres, cela ne répond pas aux questions qu’elles se posent : quelle est la nature de cet étrange lieu ? Qu’est-ce qu’elles font ici ? Et pourquoi Tagami leur dit qu’elles sont le seul espoir de l’humanité ?

Dédale, ce survival qui n’en est pas un (et c’est tant mieux !)

« Un survival différent« , « un feel good survival« , « Un survival comme vous ne l’avez jamais vu : positif et intelligent ! »

On a beau essayer de chercher la bonne terminologie, c’est vrai que cette étiquette de survival finit par devenir encombrante tant la thématique est surchargée chez nos libraires. Et oui, ENCOOORE du survival !

Ouai, merci Bohorte… Mais bon, en réalité, Dédale n’a pas grand chose à voir avec un survival game comme on l’entend. Cette étiquette, forgée par quelques dizaines de manga ces cinq dernières années et synonyme de morts, d’une ambiance sombre et de gerbes de sang,  est ici inadaptée… et c’est justement là que ça commence à devenir intéressant.

Ce récit part plutôt d’une question, assez simple : « Et si la vie réelle pouvait bugger ? ». C’est la base d’une aventure au sein de ce fameux « dédale », qui tient plus de l’énigme vidéo-ludique que d’une course meurtrière pour la survie : le bâtiment est fait de pièces de tous les jours (des salons et des cuisines pour l’essentiel, quelques chambres aussi) qui sont des copies de notre dimension et qui s’avèrent connectés à cette dernière, mais sans les personnes qui les habitent… le tout érigé dans un enchevêtrement qui défie toute logique. Pour mener leur quête à bien, les deux filles vont devoir trouver certains objets pour avancer et, pourquoi pas, tricher pour aller plus vite que leurs poursuivants. Mais nul besoin de se tuer entre elles, nulle règle qui dit que seul l’une d’entre elles pourra survivre.

Dans le premier tome tout est plutôt fait pour amuser le lecteur, tout comme cela amuse la pétillante Reiko d’ailleurs. Grâce à une bonne rythmique entre action et réflexion, on s’immerge rapidement aux côtés de cette héroïne. Toute personne qui a un jour un peu tâté de la manette pour du RPG se prend au jeu : il pense aux même astuces qu’elle, en même temps qu’elle ! Exemple, essayer de vous imaginer dans un jeu vidéo et lisez ce qui suit : dans ce monde fait de pièces recouvertes de tatamis, les tables basses constituent un motif récurent donc que se passe-t-il si vous posez un objet sur l’une d’entre elles ? Bingo, il apparaît dupliqué sur les autres ! Et là on se dit que ce qui marche pour les tables basses doit marcher pour autre chose… Tiens, au fait, si on met une table basse sur une table basse, il se passe quoi ?

C’est ce genre de logique de gamer qui donne autant de sel que de fraîcheur à ce seinen addictif, où la curiosité est une qualité qui prévaut sur tout et qui engendre ce sens si particulier de la moralité dans ce type de jeu : rentrer chez les gens, donner un coup de hache pour ouvrir leur coffre et être récompensé pour ça avec allégresse, c’est quand même un fondamental assez unique, non ? Bon et bien, dans Dédale, c’est pareil. Ce goût de l’aventure, de la découverte, est celui qui prime, même si on risque sa peau.

On avance donc d’énigme prenante en exploration casse-cou pendant les premiers chapitres, tandis que le scénario de fond pose les jalons de son univers : les ennemis, qui ils sont, d’où ils viennent, le de ce monde avec la réalité, comment y retourner, as-t-on envie d’y retourner… Toutes les questions trouvent des réponses à intervalles réguliers mais comme elles en amènent aussi d’autres (parfois pratiques et conceptuelles, parfois plus philosophiques) on conserve toujours ce qu’il faut de mystère pour nous donner envie de dévorer les chapitres les uns après les autres.

On ne s’ennuie donc jamais, et les deux tomes de Dédale filent à toute allure, sans que la conclusion de l’histoire nous laisse forcément sur notre faim d’ailleurs… même si les fins et notre façon de les apprécier, c’est assez subjectif, donc je ne m’étends pas plus. Bref, tout ça pour vous dire qu’on oublie totalement l’aspect survival. Le mangaka TAKAMACHI nous offre tellement plus d’enthousiasme, d’optimisme et de fraîcheur qu’un monde où 12 adolescents doivent se trahir et coucher ensemble pour survivre ! Bon, certes, on en finit par aimer davantage ce monde alternatif que notre réalité, donc ça en dit long quelque part sur notre envie d’ailleurs, mais pour une fois ce voyage est tellement amusant, inventif et intelligent ! S’il suffit d’un Pokémon Go pour que l’on sorte de chez soi, imaginez un univers tout entier à découvrir, maîtriser, façonner !?

   

Ah, je m’emporte et j’allais finir cet article sur une envolée lyrique en oubliant l’essentiel… Scénario et narration ont beau être fichtrement réussis, ce titre a aussi pour lui un graphisme simple et irréprochable : décors nickels (avec beaucoup de soin sur la logique d’architecture, labyrinthe oblige) et un chara-design aux petits oignons pour les deux héroïnes, qui nous permet de les adopter en quelques pages sans pour autant être déçu par la suite. Reiko est la fonceuse passionnée qui doit sa réussite à son talent mais qui vit, c’est le cas de dire, sur une autre planète… En adéquation avec les caractéristiques lunatique et lunaire que l’on attribue souvent aux génies. Complémentaire, Yôko, la solide Yôko, a les pieds sur terre, résonne comme vous et moi, sait prendre du recul et reste finalement très humaine, attachée à sa réalité et voulant la défendre. Vous ajoutez le mystérieux Tagami et on a notre trio : l’épée, le bouclier et le vieux sage un peu magicien !

Voilà j’ai tout dit ou presque : scénario original, mise en scène intrigante et enjouée, narration efficace et personnages malins et attachants : Dédale vient totalement rafraîchir un genre au point de ne pas vraiment lui appartenir, et le tout en seulement deux tomes.

Essayez-le ! Adoptez-le ! Partagez-le !

   

Fiche descriptive

Titre : Dédale
Auteur : TAKAMICHI
Date de parution du dernier tome : 6 juillet 2017
Éditeurs fr/jp : Doki-Doki / Shônen Gahôsha
Nombre de pages : 240 n&b
Prix de vente : 8.50 €
Nombre de volumes : 2 (terminé)

Visuels : © TAKAMACHI / SHÔNEN GAHÔSHA

Pour en savoir plus vous pouvez jeter un œil sur le site web de Doki-Doki ou sur le site web de l’auteur, même si celui est un peu pauvre. À défaut, on termine avec la preview du titre, pour vous faire un avis : elle est ici !