Quatuor

Publié le 12 août 2016 par Mentalo @lafillementalo

Il est à peine plus de sept heures et tu es dans mon lit depuis quelques minutes déjà. J'ai sûrement soupiré pour la forme, en entendant tes petits pieds nus sur le plancher comme des pas de souris. J'ai ouvert un demi-œil juste à temps pour apercevoir ta tête ébouriffée du matin, tes joues rosies par la nuit, tes lapins sous le bras, et ton rire déjà quand je soulève la couette pour que tu te glisses encore quelques instants dans ma chaleur, le temps de nous réveiller. Vois-tu, c'est mercredi, ou dimanche, et qu'est-ce que je suis heureuse de passer cette journée avec toi. Et ton frère, et tes sœurs.

Nous descendons sans faire trop de bruit, je grille les tartines, je fais chauffer le lait, pendant que tu vas saluer le lapin et le libérer de sa cage. Tu me racontes tes rêves, tu me racontes ta vie, les deux se mélangent un peu, je ne cherche pas à les démêler, c'est bien plus joli ainsi. Tu tiens à étaler le miel, à mélanger ton cacao. Je te regarde grandir à vue d'œil et je suis si reconnaissante de pouvoir assister à cette métamorphose, d'avoir pris le temps d'être auprès de toi.

Bientôt ton frère, l'autre lève-tôt, apparaît, la magie de notre duo se brise, nous réinventons un trio sur le champ. Avec lui, point de rêveries, il veut savoir ce que nous ferons, où nous irons, ce que nous mangerons aujourd'hui. Bien sûr il y aura l'entretien nécessaire de la maison, puis après nous nous échapperons, une journée de juillet sans courir sur les sentiers n'est pas une vraie journée de vacances. Peut-être irons-nous rejoindre vos cousins à la recherche du Rocher des Nutons, écouter votre oncle nous en raconter les légendes, vous expliquer qu'une légende, on ne sait plus trop bien s'il faut y croire, c'est comme le yéti ou le dahu, après tout, personne n'en a jamais vu - si! moi! criera bien une petite voix - construire une cabane, ou pique-niquer dans les bois (avez-vous remarqué que le saucisson a toujours meilleur goût quand on le sort d'un sac à dos ?), barbouiller nos mains, nos lèvres et même nos joues de myrtilles. Peut-être ferons-nous un concours de plongeons, si le temps le permet. Ou un jeu de l'oie, s'il fait vraiment trop froid. Un gâteau au chocolat, évidemment. Certainement, la salle de jeux aura l'air d'avoir été soufflée par une explosion ce soir, et je râlerai que si c'est comme ça, tout ce qui traîne encore dans dix minutes sera confisqué et donné au centre de réfugiés comme la dernière fois.

Votre sœur marmotte émerge à son tour en douceur, il lui faut toujours un peu de temps, avant de s'indigner sur une règle de jeu mal respectée, ou le menu du midi qui contient décidément bien trop de courgettes à son goût.

J'ai hâte à présent de voir se lever la grande, il n'est pas impossible que je passe l'aspirateur juste sous son plancher pour accélérer les choses. Ou qu'on mette la musique un peu fort, en bas, pour chanter et danser juste sous ses fenêtres, promis, on n'a pas fait exprès, mais c'est plus chouette quand tu es là.

La fratrie est au complet maintenant, on ramasse les miettes, les équipes se forment, mouvantes, en fonction des occupations, pleines de vie. On vote à mains sûrement poisseuses levées et à grands cris de joie et peut-être un peu de grognements déçus - j'ai toujours le pouvoir de veto, je sais c'est moche mais je suis la plus grande, hé hé - le programme de la journée. Enfin, quand vous aurez effacé vos moustaches de chocolat, lavé vos dents et peigné vos cheveux, je ne sors pas avec des petits sauvageons. Après le vélo, il va bien falloir remplir le frigo. Après les Lego, tondre la pelouse, laver les vitres, ramasser les pièces du puzzle avant d'en perdre. Eponger un verre de lait renversé. Arbitrer un conflit. Se cacher dans l'angle du mur pour vous regarder tous les quatre jouer à Hôtel de Luxe, avec la petite qui fait la banque avec le plus grand sérieux. Obliger certains à monter se laver, en obliger d'autres à sortir de la douche pour faire la place au suivant. Raconter une histoire. Se coucher enfin. Lire quelques pages et piquer du nez. Et demain, recommencer.

Ne jamais regretter, ne jamais douter, si ce n'est d'être assez douée pour arriver à faire de vous des gens bons, des gens bien. Dans votre corps et dans vos idées. Chaque matin sur le métier remettre l'ouvrage, et se dire que c'est là une bien belle aventure, riche jusqu'à l'indescriptible. Certainement pas une famille Ricoré, il y a bien trop de couacs, de décibels et de larmes parfois dans la même journée. Mais la même joie, à chaque fois, de la passer avec vous, cette journée boule à facettes, cette journée qui dure mille vies, cette journée qui commence parfois bien trop tôt, mais à quoi bon la passer à dormir?

Je ne suis pas fatiguée de vous. Je ne suis pas fatiguée de la vie. Du temps que je vous consacre et qui passe toujours trop vite.

Je ne suis pas fatiguée.

Pour Peach.