Merci Monsieur Laroui, Fouad de son prénom

Par Unemarocaine

Ca faisait presque 3 mois que je n'avais pas lu un livre. Honte à moi ! Mais, il y a des périodes où on a la tête prise par tellement de choses qu'on ne trouve pas le temps et encore moins l'envie de lire un livre. Je signale tout de même que je continuais à lire mais plutôt les magazines, hebdos et journaux même si ils ne remplacent jamais le plaisir de lire un livre. Il faut dire aussi que j'avais épuisé mon stock de bouquins ou presque. J'avais commencé un livre depuis un certain temps déjà, bp même, mais j'ai de sérieuses difficultés à le terminer. Toutefois, je ne lâche pas l'affaire, je suis même sure que je vais y arriver. Je vais tjrs au bout de ce que j'entreprends :)

Dans de telles périodes pour revenir vers les bouquins, ma méthode est simple : je reprends la lecture via les romans. Le hic cette fois c'est que j'avais épuisé tout mon stock et celui de ma soeur. Je n'avais sous la main que des essais politiques ou théologiques. Franchement, je n'avais pas envie de me prendre la tête avec. La seule issue qui restait donc c'est de me ravitailler. Aussitôt dit aussiôt fait. Vendredi dernier, j'avais une p'tite fenêtre à la fin de la journée, j'ai donc fait un saut à la fnac. J'avais déjà une p'tite idée sur un roman et un bouquin que je voulais acheter. Pour le premier, il s'agit du dernier roman de Fouad Laroui "La femme la plus riche de Yorkshire". Je l'avais feuilleté chez l'adorable Raja. Il m'avait captivé. Le second est le dernier bouquin de Amin Maalouf "Origines" que j'avais parcouru à sa sortie grâce à un ami fan de bouquins. Extra, vraiment extra. Je lui consacrerai un billet dès que je l'aurais terminé.

Pour revenir à Fouad Laroui, je le remerciais donc parce qu'il m'a sorti de cette période de non lecture. MERCI MONSIEUR LAROUI. Doublement merci même. La première raison, je viens de l'invoquer. La seconde, c'est que j'ai pris un malin plaisir à lire son roman. Et pour cause un vrai chef d'oeuvre. Dès que je l'ai eu entre les miens, je ne l'ai lâché qu'une fois que je l'avais fini et c'était 3 heures après.

Selon moi, à travers ce roman "la femme la plus riche de Yorkshire", Fouad Laroui fustige d'abord et surtout les techniques utilisées par l'ethnologie particulièrement celle qui a nourrit, porté et conceptualisé la colonisation plus que l'ethnologie en tant que telle. Il fustige au passage les préjugés et les clichés qui essentialisent des régions entières du globe tout en démontrant avec ironie et humour leur grossierté et surtout la non réciprocité de ceux qui les appliquent. Ils refusent d'être "ethnologisés" pour reprendre le mot d'un personnage anglais dans ce roman. A ce titre, la lecture de ce roman m'a fait penser au billet que j'avais écrit sur le mouvement "les indigènes de la république". Voyez-vous, je préfère de loin très très très très loin même un roman comme celui-ci écrit avec bp d'humour et une telle légèreté qui fait qu'on ne peut s'empêcher de sourire parfois même de rire à pleins poumons mais dont la subtilité fait justement réfléchir plutôt que ceux qui se croient sérieux et avec leurs propos malplacés et même malformulés causent plus de dégâts que n'apportent de solutions. Au lieu de la jouer frontal, Fouad Laroui l'a jouée toute en finesse. En appliquant le principe de la réciprocité  : vous nous avez observé et vous avez tiré des conclusions. A notre tour de vous observer avec ces mêmes méthodes que vous avez vous-mêmes inventées (sympa comme il est, il n'a utilisé que les méthodes les plus light). Ne nous cassent-ils pas tjrs les pieds avec ces histoires de principes universels ?! Il était temps de les leur appliquer ;) :)))))))) Sauf qu'intelligent comme il est à la fin du roman il n'est pas tombé dans le travers qu'il leur reprochait et par la même il a donné une leçon d'humanisme à tous. C'est ce qu'on appelle prendre de la hauteur. Mais, il faut dire aussi que LA FINESSE DE L'INTELLIGENCE et L'INTELLIGENCE DE LA FINESSE ne sont pas données à tout le monde !

L'hitsoire est portée par un personnage qui se nomme Adam Serghini dont le parcours est identique à celui de l'auteur soit dit en passant. Jeune universitaire marocain, titulaire d'une chaire d'économétrie à l'université de York, il se retrouve plongé dans l'univers étrange et mouillé de la campagne anglaise. Pour échapper à l'ennui qui le guette, il se trouve, par un pur hasard, un passe-temps : faire une étude ethnographique du peuple anglais, se servant des méthodes utilisées par les ethnologues occidentaux quand ils étudient les peuples primitifs ! Partant du principe que le pub est à l'Anglais ce que l'arbre à palabres est aux Bambaras, il y installe ses pénates et note scrupuleusement sur un petit carnet les détails de la vie quotidienne, les murs et les rites de ces curieux indigènes. De cette étude va naître une rencontre avec une terrifiante et richissime vieille dame anglaise.

Le passage qui m'a le plus fait rire est le suivant :

"Elle [cette terrifiante, richissime et cruelle dame] ne semble pas lui tenir rigueur [du fait qu'il ait omis de lui préciser qu'il était marocain et non pas français] ; au contraire, il a l'impression d'avoir, de façon imperceptible, grimpé dans son estime (elle a l'air de mépriser les Français encore plus que leurs métèques, ce qui paraît insolite à Adam, en tout cas inhabituel (il fut ce jour-là guéri du complexe que lui avait donné la suédoise de la rue Saint-André-des Arts)) [extra le passage où il raconte son histoire avec la Suédoise]. Mais, elle en profite, au cours des semaines qui suivent, pour lui apprendre beaucoup de choses qu'il ignorait sur le pays de ses ancêtres, sur leurs moeurs, sur leur religion. Florilège :

- You Prohet was a bad man : il a épousé une gamine de six ans. Votre roi Bourguiba est un tyran. Le Nil n'est pas le plus long fleuve du monde, c'est l'Amazone (et alors ?). Vous ne produisez pas les meilleurs chameaux du monde, la Norvège fait mieux [Perso, celle-là m'a scié, j'ai été par terre] (si ahurissant que cela puisse paraître, elle a vraiment dit ça, à moins qu'Adam n'ait mal compris ; mais enfin Norway, c'est la Norvège, non ?). Marrakech doit tout à Churchill (il se mord les lèvres pour ne pas convoquer à leur table Youssef Ibn Tachafine, dix rois et vingt caids (à quoi bon ?)). Les Africains qui réussissent sont tous, d'une façon ou d'une autre, des métis (tu es un peu métis, non ? (Non.)). Arabic est un langage incompréhensible, on n'entend que des "grkh" et des "qgdr" (elle produit des sons gutturaux dont aucun n'existe en arabe). Vous martyrisez vos femmes. Vous leur coupez la foufoune ... (Là, quand même (l'impassibilité, c'est bien, mais il ne faut rien exagérer), Adam l'arrête et se lance dans un grand topo sur l'excision féminine, qui n'existe pas en Afrique du Nord (on ne sait même pas ce que c'est), qui n'a rien à voir avec quelque religion que ce soit, qui est une coutume de Somaliens et de Soudanais (tous des wogs[*], lui disent les yeux furibonds de la Cruelle (On a osé la contredire)), coutume qui est heureusement en voie de disparition (Adam s'avance un peu) ; et, dans son élan, il lui parle de la loi anglaise pour laquelle, il y a encore deux siècles, la femme était propriété de son mari, au même titre que sa chemise et sa pipe. La Cruelle se lève sans répondre, hausse les épaules et s'en va bouder. Adam a commis une faute professionnelle : il a indisposé l'indigène.)

Suite du florilège :

- Casablanca est une ville espagnole, comme son nom l'indique, vous n'avez rien construit vous-mêmes. Tanger est une invention d'Anglais ou d'Américains.

Adam ne sait comment faire face à cette situation. Il a une vision : le capitaine Cook met les pieds dans une île et entreprend, assis en tailleur dans la case du chef, de mieux connaître les sauvages ; au lieu de quoi, ceux-ci l'informent des meilleurs pubs de Londres, lui révèlent les secrets de la Couronne et récitent en choeur le monologue de Hamlet, au son de tam-tam. Comment aurait-il réagi, le capitaine Cook ?"

[*] Voici le passage où il explique ce que c'est qu'un wog :

Adam a appris avant-hier ce vilain mot, qui veut dire quelque chose comme "bougnole". Son collègue Edward, qui a fait Oxford, lui a affirmé que c'était l'acronyme de westernized oriental gentleman. Ca convient tout à fait à Adam : gentleman, il s'efforce de l'être, oriental, c'est indubitable -encore qu'il soit né plus à l'ouest que Rome, Berlin ou Paris, mais passons - et "westernized, c'est assez probable, finalement (il n'a pas oublié le discours du Philosophe, au pub). Du coup, il joue avec l'idée d'imprimer des cartes de visite à la gare (on y trouve une machine qui ne fait que ça, ça coûte deux livres), des cartes de visite qui porteraient cette simple mention :

Adam Serghini

wog

Bref, le roman entier est plein de clins d'oeil à ces clichés et ces préjugés qui perdurent et biaisent les relations nord-sud mais aussi nord-nord. Il a traité des clichés que les anglais ont vis-à-vis des français. Une leçon d'humanisme vous disais-je.

PS 1 : tout comme pour Mohamed Arkoun, je lis ICI et LA des propos sur Fouad Laroui pas très réjouissants. Je ne sais pas ce que les détracteurs de cet excellent romancier (l'ensemble de ces bouquins est un vrai délice à lire. Tjrs autant de légerté, d'humour et comme d'hab de finesse) lui reprochent à moins qu'il y ait des choses à son sujet qui m'échappent. 

PS 2 : j'avais déjà fait un billet sur ces "points de vue" sur Medi 1. Il me fait tjrs rire et réfléchir. Que demander de plus ?!