(note de lecture) Gérard Titus-Carmel, "& Lointains", par Michaël Bishop

Par Florence Trocmé


L’œuvre poétique de Gérard Titus-Carmel (de La Tombée, Ceci posé et Travaux de fouille et d’oubli à Ici, rien n’est présent, Seul tenant et Ressac), s’entretissant intimement avec son œuvre plastique (de The Pocket Size Tlingit Coffin, Suite Narwa et Nielles à Feuillées, Jungles et Brisées), je veux la déclarer parmi les plus grandes des soixante-dix dernières années en France. & Lointains témoigne puissamment de cette grandeur. Poème de la rupture, de la distance, de l’aliénation, de l’inaboutissement et de la solitude, son inscription élégiaque offre pourtant infatigablement les signes d’un amour, d’une intarissable énergie caressante, curieusement radieuse même, consolatio transcendante étonnamment matérialisée face aux défis du réel. Et voici un long poème méticuleusement orchestré au sein des spontanéités qu’exige toute écriture de l’intense : quatre parties, chacune composée de douze neuvains librement versifiés, suivis de vingt-quatre strophes, numérotées elles aussi, plus libres, plus compactées, finement cohérentes malgré les tirets qui à la fois fragmentent et rythment. Livre-poème d’un amour perdu où ne restent que, comme nous le dit le poème III.11, « signes fugaces et intraitables d’un monde seul – / d’air et de sable – / livré vif à l’ailleurs indistinct des lisières – / au silence recouvrant les discours, les épopées, les fictions & autres fleuves de mots usés jusqu’à l’aveu d’avoir vécu », & Lointains déplie la longue et inachevable phrase d’une « existence d’art », comme dirait Jean-Paul Michel, la pleine et fragile splendeur de « l’indéchiffrable code des mots qui tombent au cœur indivis – / dans la cendre générale ». Œuvre faite de collages et de palimpsestes, d’une riche et foisonnante architexture psychique finement transcrite, celle de Gérard Titus-Carmel trouve ici son expression la plus subtile, la plus vigoureusement belle. Chaque micropoème du vaste macropoème qu’est le recueil – cette « cathédrale », disait Alain Robbe-Grillet, parlant de son art – s’articule entre impulsion et discipline, entre constance et incessante réouverture ; impose ses mathématiques délicates sans, pourtant, aucune obéïssance fastidieuse ; expose la profondeur de ses racines viscérales et sensuelles sans jamais abandonner une remarquable discrétion ; indistingue sensibilité et art, tout en sachant distiller l’émotion brute d’un vécu pour produire cette pure « émotion poétique » dont parle Reverdy et qui finit par fonder toute la beauté que, comme Titus-Carmel nous l’a dit avec une force et une élégance incomparables dans son essai Le Huitième pli de 2013, il ne cesse de traquer dans chacun de ses gestes écrits et peints.
 
Michaël Bishop
Gérard Titus-Carmel. & Lointains, Champ Vallon, 2016. 143 pages. 14 euros.